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Sidi Boumediène, Jérusalem et l'Algérie
Publié dans El Watan le 26 - 11 - 2007

Qu'en 1937, à Tlemcen, en pleine crise de l'artisanat, seule ressource de la majorité des ménages, voire de subsides de nombreux chefs de famille, de veuves et d'orphelin(e)s, après avoir contribué à la fois pour l'achat de l' assiette de Dar El Hadith(1) et la réalisation de cette dernière (Sari Dj. 1987 :7), la ville parvienne à transférer à l'imam Amine Housseini(2) le montant des quêtes recueillies au terme d'une semaine de manifestation de solidarité en faveur de la Palestine, cela ne saurait surprendre l'observateur averti.
Le repos éternel du Qutb, le soufi Sidi Boumediène (1125-1197) dans la banlieue paradisiaque d'El Eubbad (Tlemcen) serait-il l'explication la plus plausible qui soit, indépendamment du fait historique avéré-son combat héroïque aux côtés de Salah Ed Dine Al Ayyoubi (1138-11193) (Saladin) - au combat libérateur de Jérusalem en 1187 au terme de la mémorable victoire de Hattin ? Sont-ce alors les seules raisons qui rendent compte des sacrifices consentis par les Tlemcénien(e)s ? Avant tout, ne convient-il pas de se référer à d'autres liens naguère matérialisés au cœur même de la ville sainte, au surplus dûment attesté par d'authentiques actes et que la communauté internationale a dû ratifier, précisément en 1948 ? D'authentiques actes remontant à des Habous remontant à Sidi Boumediène et que le grand muphti d'Alger a défendu énergiquement le 28 octobre 1948 à Paris (3), précisément au lendemain du partage de la Palestine, contrairement aux positions diamétralement opposées, au demeurant exprimées par l'Association des oulémas musulmans d'Algérie.
Le waqf de Sidi Boumediène : Le symbole tant de la libération de Jérusalem des Croisés que de la légitimation historique de la ville sainte
« Le lieu occupé par le Waqf Abû Madyan a une valeur exceptionnelle pour l'Islam tout entier, et aussi, très particulièrement, pour l'Islam maghrébin », souligne L. Massignon (1951 : 84) en réponse à la diatribe acerbe parue à la une d' El Baçaïr (3 et 10 avril 1950), alors que l'auteur de la magistrale thèse sur El Halladj s'est tenu essentiellement à affirmer les fondements historiques du Waqf remontant à la bataille de Hittin en 1187, sous le commandement de Salah Ed Dine Al Ayyoubi (1138-1193), (Saladin), la bataille libératrice de la ville sainte et à laquelle le Qputb Sidi Boumediène avait pris part en perdant l'un de ses bras. Or c'est bien son petit-fils qui a répertorié en 730/1320 les propriétés offertes à son grand-père par Salah Ed Dine (L. Massignon, 1951). Du reste, l'un de ces immeubles renfermait une mosquée et une zaouïa destinée à l'hébergement des pèlerins maghrébins, le tout localisé dans le quartier dit Hay Al Maghariba attenant au Temple de Jérusalem, en sus du domaine d'Aïn Karm, renfermant des terres incultes et de labours, des locaux d'habitation pour les fermiers, des jardins avec sources et puits pour l'irrigation. Par ailleurs, il est spécifié que les revenus qui s'y rattachent depuis le XIVe siècle ont été toujours destinés aux Maghrébins résidant dans la ville sainte ou de passage, se rendant aux Hedjaz, et le cas échéant aux Maghrébins nécessiteux résidant à la Mecque et à Médine, et le cas échéant au profit des deux villes saintes. De plus, il est stipulé « qu'aucun gouverné, aucune autorité exerçant un pouvoir absolu ne pourront modifier le présent waqf, l'annuel, le méconnaître, (…) » Pour ce qui est du décret du mur ouest ou mur des Lamentations en 1931, on y relève en annexe I : « C'est aux musulmans seuls qu'est reconnue la pérennité du mur ouest, c'est à eux seuls qu'appartient le fonds qui, avec l'enceinte du Lieu Saint, est un tout indivisible ; cette enceinte est un bien ouakf. C'est également aux musulmans qu'appartient la chaussée bordant le mur de la cité dite “quartier des Maghrébins” faisant vis-à-vis audit mur. Il est précisé aussi que « les juifs pourront se rendre librement au mur ouest, en vue de leurs lamentations, à tout instant, mais à charge pour eux de se conformer aux dispositions suivantes (diverses). Quoique sous domination coloniale, le principal responsable du culte algérien, le grand muphti d'Alger, Si Mohamed El Assimi, a réagi à chaud au lendemain de la constitution de l'Etat d'Israël (15 mai 1948) et ses retombées sur la ville sainte… C'est ainsi que dès la fin octobre 1948, il s'est rendu à Paris pour faire part au Quai d'Orsay « des appréhensions que ressentent les musulmans d'Algérie devant les menaces qui planent sur la Palestine et spécialement sur la vieille ville de Jérusalem où se trouve la mosquée d'El Aqça (…) ».
Appréhensions et revendications du grand muphti d'Alger
Indéniablement, avec le recul dans le temps, pareille position ne peut laisser indifférent l'observateur impartial, même si l'entrevue en question n'est rapportée que superficiellement par le quotidien parisien du soir Le Monde, daté du 31 octobre 1948 (dernière page). D'autant que pour des raisons bien évidentes, le même organe tend à s'aligner sur une position moins tranchée, une position qui se veut avant tout modérée. Or, aussitôt on y relève cette phrase relevant du bon sens, du réalisme : « Ils (les sionistes) ne pourront survivre au milieu d'un monde arabe qu'à la condition d'avoir été acceptés par lui. Par ailleurs, non moins courageuse est la phrase prêtée au grand muphti, une phrase exprimant parfaitement l'opinion générale tant en Algérie qu'ailleurs. Au sein de la communauté musulmane « Dans l'immédiat, cependant, le grand muphti considère qu'il est essentiel d'empêcher l'irréparable et il souhaite, qu'au moins, à titre provisoire, que la ville et la région soient placées sous une garantie internationale des Nations unies. » Quant aux précisions qui suivent, tout en s'identifiant à celles précitées ci-dessus (annexe I), elles tendent à rassurer avant tout. En revanche, surprenante est la position des Oulémas, telle qu'elle a été exprimée par El Baçaïr des 3 et 10 avril 1950, même en tenant compte du contexte d'alors, l'opposition systématique à l'ordre colonial. Fallait-il pour autant se tromper de cible au nom d'une cause. En fait, une cause perdue à jamais, celle relative à la revendication de biens habous classés dès les débuts de l'agression coloniale ? S'accrocher à une chimère et sacrifier ainsi El Qods, de surcroît à un tournant crucial... c'est bien ce qui ressort clairement de l'interrogation suivante formulée à l'adresse de Louis Massignon : « Pourquoi n'avez-vous pas revendiqué les biens waqf d'Algérie alors que vous avez commencé par ceux de Sidi Boumediène en Palestine ? », lit-on dans El Baçaïr du 10 avril 1950. L'interrogation à laquelle il a répliqué après avoir rétabli les faits historiques à travers une magistrale publication (1951), évitant ainsi toute polémique à propos des deux articles d'El Baçaïr des 3 et 10 avril 1950, les deux articles l'ayant « incriminé » à tort. Bien plus, dans la même analyse, il ne s'est pas limité au seul habous de Sidi Boumediène mais aussi aux autres biens de même nature juridique usurpés par Israël dès sa création, à l'instar notamment des habous d'Al Khalil (Hébron). Au juste, qui s'est penché sur le sort des Algériens contraints de s'expatrier au XIXe siècle à Safad, localité située en Galilée, précisément au nord du lac Tibériade ? Et ces autres immigrés disséminés au Sud-Liban forcés de fuir cette contrée consécutivement à l'invasion israélienne de 1982 ? En conséquence, s'en prendre violemment à l'éminent arabisant et islamologue de renom, de surcroît le taxer de valet du colonialisme, c'est manifestement une fausse manœuvre, alors qu'il accomplit 28 pèlerinages en Terre sainte et jordanienne, auprès des réfugiés arabes de Palestine, tout comme ses 83 journées de jeûne, et qu'entre 1953 et 1962, il a fait avec un groupe d'amis de tous les pays, pour que surgisse « une paix sereine en Afrique du Nord », a tenu à témoigner l'une des premières et acharnées défenseurs de la cause algérienne, Denise Barrat (1987). D'autant qu'en s'en tenant strictement à des faits historiques dûment établis, Louis Massignon (1883-1962) a vécu activement et intensément les événements directement sur le terrain (encadré ci-dessous). Souvent douloureusement ! « (…) Je me souviens de la colère de Lawrence, à mes côtés dans l'auto, à l'entrée solennelle à Jérusalem, le 11 décembre 1917, lorsqu'il pressentit la déclaration Balfour sur le Jewish National Home. Massignon L. (1983 : 227) En tout état de cause, le dogmatisme n'a jamais été payant. Plus que jamais, partout, de l'Atlantique au Golfe, les générations montantes en paient le prix le plus fort !
Notes
(1) De surcroît « le plus grand établissement » de tout le réseau des médersas libres édifiées sous l'égide de l'Association des oulémas musulmans d'Algérie (A. Merad, 1967).
(2) Avant tout, c'est grâce aux bons soins du militant Mohamed (Hamdane) Kahia Tani, (1904-1976), employé de banque à Tlemcen, que le transfert a été effectué et a été parvenu à destination (Jérusalem) via le Crédit Lyonnais de Paris. Du reste, le transfert a été confirmé par la Revue d'Al Azhar Er Rissala (Merzouk Kh., 2003 : 54).
Références bibliographiques
Barrat D. : Louis Massignon présent, in Présence de Massignon, Massignon D. (1987) : Paris, Maisonneuve et Larose, 300 p.
El Baçaïr : Comité France Islam, 3 et 4 avril 1950, p 1. Le Monde (1948) : L'internationalisation de Jérusalem peut seule sauvegarder tous les intérêts religieux en présence, 31 octobre, p 8.
Massignon L (1951) ; Documents sur certains waqfs des Lieux Saints de l'Islam, principalement sur le waqf Tamimi à Hébron et sur le waqf tlemcénien Abû Madyan à Jérusalem, Revue des Etudes Islamiques, Paris, p 73-120.
Massignon L. (1983) : Paroles données, Paris, Seuil, 440 p. Merad A. (1967) : Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940, Paris, Mouton, 472 p.
Merzouk Kh. (2003) : L'itinéraire du Cheikh Si Mohamed Merzouk (1884-1939), Tlemcen, 220 p.
Rizk Ch. (1992) : Les Arabes ou l'histoire à contresens, Le monde arabe d'aujourd' hui. Paris, Albin Michel, 351 p. Sari Dj. (1987) : Un symbole de la résistance culturelle : Dar El Hadith (Tlemcen), El Moudjahid, 16 sept. p 7.


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