Avec un premier film remarqué qui voyage entre Montpellier, Beyrouth et Alger, il poursuit à la fois ses origines et son style. Ce départ au Liban, c'était prendre de la distance et m'imprégner de la politique et de l'histoire du monde arabe, comme je le fais du monde berbère. Question classique pour un jeune créateur : quel itinéraire avez-vous emprunté pour arriver au cinéma ? C'est une grande question dans tous les cas. Je suis d'abord passé par les arts plastiques de là, je suis arrivé à la photographie à partir d'une formation à l'école de photographie d'Arles. C'est là que j'ai pu monter mon premier projet audiovisuel qui porte sur mon quartier de naissance, La Paillade, à Montpellier. Ce film raconte la vie quotidienne de mon quartier, où se côtoient des gens de différentes origines et ethnies. A travers ce travail, je voulais surtout m'exprimer sur l'immigration, bien enracinée dans ce lieu. Dans une deuxième étape, je suis monté à Lille rejoindre l'Ecole des arts contemporains. C'est là que j'ai fini ma petite trilogie intitulée : Corps traversés. Cette œuvre m'a permis de voyager dans trois univers fondateurs pour moi, c'est-à-dire : la Paillade, mon quartier de naissance, El Djazaïr, ou les îlots, pour parler de ma famille qui se trouve éparpillée entre Alger et la Kabylie. Cette partie consacrée à mon pays d'origine est aussi un hommage à ma grand-mère décédée en avril dernier. Enfin, le troisième lieu, Beyrouth, avec toutes les blessures des guerres incessantes qui l'ont dévastée. Mon travail est un questionnement d'ordre théorique qui apparaît dans mes films, c'est-à-dire qu'en filmant, je me pose toujours des questions sur ma pratique. Qu'est ce qu'un film ? Qu'est ce qu'un scénario ? Comment raconter l'histoire d'un film ? De quel point doit-on partir et où va-t-on aboutir pour rendre accessible notre travail au spectateur ? En un mot, mon film est la recherche d'une origine qui me manquait et que j'ai essayé de retrouver et de ré-imaginer à travers les images. Je dois cette attirance envers l'Algérie à mon père qui vient de Kabylie et, bien que je sois de mère française, nous avons toujours gardé dans ma famille un œil et une affection particulière pour l'autre côté de la Méditérranée. Quelles sont vos références ou vos modèles dans la photographie et le cinéma ? Ou vos influences les plus marquantes ? J'aime beaucoup les travaux d'artistes qui se construisent sur la notion d'archive, d'autant plus quand cette pratique se présente comme une « nécessité ». Mais aussi, il me parait vital d'interroger la manière d'apparition de l'image. J'aimerais citer le cinéaste arménien Artavazd Pelechian qui, par son montage éclaté produisant flux et reflux, croissance et dégradation, construction et déconstruction, propose nombre de notions liées à ma manière de penser mes pièces vidéo. J'entends par-là que le montage de Pelechian m'a permis de mieux cerner ma recherche. En donnant de l'importance et de l'attention au mouvement constitutif premier du cinéma, le cinéaste libère le montage du récit pour lui rendre sa nature même : le mouvement et ainsi interroger l'individu emporté par celui-ci. Dans Les habitants, Pelechian filme l'envol de milliers d'oiseaux, le départ vers une destination inconnue de troupeaux entiers mus par un signal invisible. Aujourd'hui, j'essaie de comprendre et de mettre en forme ce signal qui serait attaché à la recherche d'un commencement et, dans un même mouvement, de sa progression. En effet, je suis issu en partie d'une immigration. Mais encore, les films de Pelechian sont construits dans une logique qui les lie tous et c'est aussi dans « Les saisons » où l'individu est toujours dépassé par le mouvement que j'ai retrouvé une manière d'être au monde par une œuvre. Pelechian montre à travers ce film la culture paysanne de son pays d'une manière très imaginative pour l'époque. On se sent dépassé et emporté par le flux du film qui transporte la force d'une pulsion de vie. C'est ce même sentiment qui anime ma recherche à travers un mélange culturel. Une recherche que je voudrais faire advenir par une logique plastique appartenant à mon temps historique. Votre créativité et votre expression vous semblent-elles plus aisées avec le cinéma qu'avec la photographie ? Mon approche de l'image fait avancer en parallèle ma pratique photographique et ma « tentative cinématographique ». La photographie m'a permis d'aborder la notion de temps d'une autre manière en vidéo. La stase photographique ouvre un hors-champ faisant flotter le temps en le libérant du vecteur inévitable d'un scénario. Ainsi, il peut en advenir de la poésie, ancrée dans l'absorption directe d'une réalité, sans aucune mise en scène. Votre film Corps traversés a été classé dans la catégorie « cinéma expérimental ». Comment définissez-vous ce genre ? Je préfère plutôt vous donner ma vision et ma position par rapport à ce genre. Donc, ce qui m'a intéressé, moi, à travers cette expérience artistique originale, c'est de montrer des réalités complexes, surtout celles concernant mon quartier. N'oubliez pas que la question des quartiers ou des banlieues en France est actuellement très soulevée politiquement. Je voulais montrer, en partant de l'intérieur, l'expérience de la vie dans ces lieux avec la vision de quelqu'un complètement immergé dans cette réalité et qui ne recherche pas les effets qui donnent des clichés très connotés. Il y a dans mon approche la partie sensible qui vise à perpétuer une mémoire qui est déjà là, tandis que dans l'autre volet, consacré à la ville de Beyrouth, je voulais prolonger cette expérience que je considère comme engagée, mais tout en prenant de la distance. A Beyrouth, j'ai trouvé un écho aux sentiments vécus sur mon quartier et à tous ceux relatifs à mon manque d'origine. En un mot, je voulais trouver un écho dans la blessure. Mon film, je le considère comme une mémoire enregistrée que je viens déposer devant les spectateurs. Une mémoire authentique qui restitue le réel sans mise en scène, sauf celui des montages cinématographiques. Je peux dire que le cinéma que je fais m'a aidé à me construire. Le titre complet de votre film est Paillade-Beyrouth-Alger, corps traversés. Quelles sont les correspondances entre ces trois lieux de la Méditerranée ? J'ai commencé par la Paillade comme genèse de mon travail, car la vie sur ce lieu génère des regards et des tensions vers d'autres lieux sur l'autre rive de la Méditerranée. Tout cela coïncidait avec un projet de retour en Algérie en 2005 avec ma grand-mère. Hélas, deux mois avant la date de notre voyage, elle est décédée et je me suis retrouvé comme coupé du dernier lien qui me liait à l'Algérie. J'ai vécu ça comme une profonde blessure car nous étions très proches. J'ai donc décidé de me rendre à Beyrouth et, pour cela, j'ai proposé à l'école d'Arles un projet de photographies à réaliser. Ce départ au Liban, je le voulais surtout comme une expérience de tout ce que j'avais ressenti pendant le deuil de ma grand mère mais, en même temps, c'était prendre de la distance et m'imprégner de la politique et de l'histoire du monde arabe, comme je le fais du monde berbère. En plus, j'étais particulièrement intéressé de voir de près ce qui se passe au Moyen-Orient et tout autour de la Méditerranée. De ce point de vue, Beyrouth, de par sa position stratégique et son histoire, offrait un lieu idéal pour satisfaire toutes mes curiosités. Puis, l'année dernière, j'ai décidé de boucler le troisième volet de mon travail en faisant l'expérience du territoire d'origine et donc en revenant en Algérie voir ma famille. Dans cette partie du film, j'ai essayé de garder une forme d'objectivité pour restituer les questionnements des gens de chez nous sur la notion d'exil et même l'exil à l'intérieur d'un territoire. En fait, j'ai posé des bases pour de futurs projets moins expérimentaux. Puisque vous en parlez, peut-on avoir une idée de ces futurs projets ? En ce moment, j'ai un projet en cours que je réalise dans le cadre de ma formation au Studio national des arts contemporains du Fresnoy, près de Tourcoing, et qui consiste à projeter mon travail sur des installations comprenant de grands murs dans les grandes cités d'habitation. Puis, j'aimerais filmer un geste qui rassemble les Algériens de là-bas et les immigrés d'ici et je ne peux pas en dire plus sur ce projet. Il faut attendre juin 2008 pour voir cette œuvre. Suivez-vous la situation du cinéma en Algérie ? Quels sont les films ou les réalisateurs que vous connaissez ? En ce moment, en France, il y a beaucoup de « choses » qui traitent de l'Algérie, et donc beaucoup d'histoires à rattraper... Mais je voudrais citer le seul film que ma grand-mère ait vu avec moi et mon père avant de nous quitter, dans une salle de cinéma ! Ce film a été réalisé par Abderrahmane Bouguermouh, d'après un livre de Mouloud Mammeri, La colline oubliée... Repères Mehdi Meddaci est né en 1980 à Montpellier dans une famille émigrée algérienne. Il est titulaire d'une licence en arts plastiques de l'Université de Toulouse et d'un diplôme de l'Ecole nationale supérieure de photographie d'Arles. Sa vocation initiale vers la photographie l'a conduit progressivement vers le cinéma qu'il étudie et pratique actuellement au Studio national des arts contemporains de Fresnoy. Lors du 29e Festival Cinémed de Montpellier, en octobre dernier, son film, La Paillade- Beyrouth- Al Djazaïr, corps traversés, présenté dans la catégorie cinéma expérimental, a été remarqué par les professionnels et les publics. A travers le cinéma, Mehdi Meddaci poursuit le travail qu'il a entamé dans la photographie sur la sauvegarde d'une mémoire qui, malgré l'exil, continue de nourrir la sève des origines. A partir de cette préoccupation, très tôt affirmée, il a participé à plusieurs expositions de photographies en France et certains de ses clichés ont été retenus pour des publications.