L'Algérie est pour un psychanalyste ce qu'un terreau fertile est pour un laboureur. Il suffit de le tourner dans tous les sens pour découvrir les marques que le temps a laissées dans ses entrailles. Des violences ordinaires aux violences extrêmes, des tabous au silence imposé par la société, l'Algérien n'a pas encore exorcisé tous ses maux. La prise en charge psychologique du traumatisme résultant d'une violence subie est en deçà des besoins d'une réalité où les meurtrissures sont bien plus nombreuses et profondes que ce qui est apparent. Voulant faire la lumière sur l'aspect de la prise en charge psychologique face aux violences, l'Association pour l'aide psychologique, la recherche et la formation (SARP) a organisé une journée d'étude hier à l'Institut national de la formation professionnelle en invitant des spécialistes de la chose mentale, Algériens et Français. Cherifa Bouatta, présidente de la SARP, estime que les données chiffrées sur les cas de violence en Algérie et annoncées par les services de sécurité sont en deçà de la réalité. « Il y a encore des tabous qui persistent autour de la violence. Il y a des violences dont on ne parle pas ou peu, comme l'inceste, les violences faites aux femmes, la pédophilie. Il faut savoir que ce n'est pas en se cachant la figure ou en préservant les tabous qu'on va régler les choses. Il faut regarder la réalité en face et réfléchir à des moyens de prévention », dira-t-elle. Evoquant le cas des violences extrêmes, notamment le terrorisme et les catastrophes naturelles, le professeur en psychologie considère que les séquelles sont encore présentes. « On se demande ce que sont devenus les enfants dont les parents ont été victimes du terrorisme. Il faut savoir qu'un enfant à un âge très précoce voit les choses de l'ordre de la barbarie, il est marqué à vie », ajoute Mme Bouatta, précisant au sujet des kamikazes et du phénomène de harraga qu'il s'agit « d'une forme de suicide. C'est d'abord une violence contre soi-même. Je pense que ce qu'a vécu l'Algérie comme violence contribue à banaliser la violence ». Le docteur Noureddine Khaled estime que les violences extrêmes n'ont pas été clarifiées « si on persiste dans cette politique de ne pas vouloir parler de ce qui s'est passé, il y a un risque pour que la violence cyclique réapparaisse ». Le docteur Gérard Lopez de l'Institut de victimologie en France note dans son propos que la sauvagerie ne réside pas seulement dans l'acte de violence mais dans la non-dénonciation et le laisser-faire. « Il faut faire cesser les violences, si on est tolérant avec la violence comment voulez-vous que cela change », dira-t-il. Selon cet expert, la victime doit se retrouver dans un cadre sûr où nul abandon et nul risque de répétition de la violence ne sont possibles. « Il n'existe pas de cas de résilience mais des facteurs résilients. Il ne faut surtout pas tomber dans la banalisation », notera le docteur Lopez. Pour une meilleure prise en charge du trauma, il est aussi nécessaire de créer un réseau de coopération entre la justice, la police, le mouvement associatif et les psychologues.