Devant la dégradation de son image auprès de l'opinion publique, face au tourbillon de la misère qui l'aspire vers l'abîme de la déchéance sociale, ce retraité de la craie et du tablier nous offre ce cadeau. Du baume aux cœurs brisés de nos vaillants « soldats de l'ombre ». Cet hommage il le destine à ses aînés et à ses collègues retraités ou actifs. Emotion garantie. L'instituteur Telle une bougie allumée, il a consumé sa vie jusqu'à l'extinction. Pourquoi ? Eclairer le chemin ascendant des jeunes pousses qui lui ont été confiées. Que de nuits veillées, de bibliothèques visitées, d'ouvrages consultés. Pourquoi ? Dénicher l'artifice, le sésame de son obsession : la réussite. Non pas la sienne mais de celle de ses élèves. Simplifier une explication, tonifier des capacités en jachère, éveiller des consciences à la vie, entretenir la curiosité intellectuelle. Pourquoi ? Nourrir dans ces cœurs d'enfant l'amour des études. C'était là son devoir au quotidien. Plein d'humilité, de sagesse et de courage, il a bravé l'adversité. Indigène dévalorisé aux yeux de certains colons, il passait pour un renégat (un « m'tourni ») auprès des siens. Touché par la grâce divine de la vocation, il accueillait cette intolérance par l'indifférence. A l'indépendance du pays, il prit le relais d'un encadrement scolaire déserté. Au pied levé. Il vit son salaire revu à la baisse de 30%. Sans rechigner, il a continué sa mission sacrée avec le même dévouement. Par ses soins ont été formés des cadres, des médecins, ingénieurs, architectes, journalistes… aux compétences reconnues au-delà de nos frontières. La flamboyante jeunesse des années 1960 et 1970. Arrive le jour où les opportunistes de la pensée unique le mettent à l'ombre, lui le « m'tourni » des années de colonisation. Des arrivistes que le défunt Mostefa Lacheraf qualifiait de « rurbains ». Pour se donner contenance, ils s'autoproclament diplômés par décrets. Des parchemins frelatés, exhibés avec ostentation à l'instar de ces femmes de petite vertu avec leurs bijoux ou de ces maquignons véreux leurs fortunes. Ils ont squatté toutes les institutions publiques. Le secteur privé ne les recrutant pas pour cause d'incompétence avérée. Notre vaillant « soldat de l'ombre », lui, tout à son sacerdoce dévoué, n'émit aucune plainte. Aucun gémissement. Dans son cœur chauffait — elle chauffe toujours chez les survivants — la frustration de voir sa belle œuvre se désagréger sous les coups de vengeance des médiocres. Lui et ses collègues de labour s'en allèrent un par un. Certains poussés vers l'exil intérieur ou extérieur, d'autres décédés précocement ou placardés en retraite à la fleur de l'âge intellectuel. Laissant place nette aux diplômés analphabètes finaliser leur besogne. Et hop ! Transformé en une machine infernale à exporter les élites, le beau pays de Benhadouga et de Mohamed Dib. Les sables du désert jusque dans les têtes et les cœurs des Algériens. Quelle belle entreprise éducative que voilà ! Pour le dernier des Mohicans reclus dans sa misère sociale, il ne reste que les souvenirs à égrener. Souvenirs du temps jadis, où le sourire de l'innocence, la satisfaction d'une leçon bien faite valaient tous les trésors de la terre.Vous l'avez compris chers lecteurs, nous parlons de l'instituteur du temps jadis. Il reste vivant à tout jamais dans les consciences de ses anciens élèves. Cet homme et/ou cette femme au grand cœur, des ignares « rurbanisés » le (la) qualifient avec mépris de « petits instituteurs ». Mais dans leur ignorance crasse, ces rurbains oublient de chercher la signification du mot instituteur. Mais savent-ils utiliser un dictionnaire ? « C'est la personne qui institue l'humanité en l'enfant. » (dixit André Malraux). A l'opposé de cette race des seigneurs en voie d'extinction, il y a les « insti-tueurs », label authentifié et formaté dans des laboratoires uniques en leur genre et sans concurrence dans le monde. L'insti-tueur n'éduque pas. Il ne se casse pas la tête pour veiller à préparer, vérifier, corriger, chercher. Non ! Sa seule raison d'être est d'étouffer à sa racine — chez l'enfant — le génie créateur d'un peuple. A tous les INSTITUTEURS d'Algérie d'avant et d'après l'avènement du « rurbanisme », ce fléau générateur d'insti-tueurs, nous disons merci du fond du cœur. Vos anciens élèves vous sont reconnaissants pour l'éternité. Un instituteur à la retraite.