A la fin des années soixante, un critique littéraire égyptien s'employa à démontrer que le poète Lamartine était d'ascendance andalouse, donc d'origine arabo-berbère. En cela, il s'était plu à trouver une affinité entre ce poète et ses ancêtres qui, selon lui, auraient porté le patronyme de Al-Amartyen Andalousie du XIIe siècle. Il soutint même que la famille de Lamartine avait quitté l'Andalousie en direction de la France. Notre critique littéraire, se prenant pour le chantre de l'arabisme, mit encore une touche à sa trouvaille : il faut que l'Occident se résigne et nous restitue Lamartine et ses semblables ! Raisonnement on ne peut plus saugrenu dès lors que les intellectuels arabes, de nos jours, sont à la recherche d'un ailleurs, non pour produire en toute quiétude, mais pour vivre tout simplement. En fait, le meilleur retour à envisager pour ces « égarés », ou ces « déracinés », c'est de mettre en valeur leur œuvre, littéraire ou scientifique, produite sous d'autres cieux, car elle n'appartient plus à une contrée géographique précise. Lamartine, qu'il fût d'ascendance andalouse ou autre, est bien revenu chez lui, mais, avec honneur et gloire. Le poète libanais, Nicholas Fayadh, fit de son grand poème, Le lac, une rencontre arabo-française avec un accent andalou du bon vieux temps. En effet, on y trouve, à la fois, la rime et le côté nostalgique du poète Ibn Zaydoun (1003-1070). Celui-ci, c'est très connu dans l'histoire de la littérature arabe, avait pleuré sa belle aimée, Wallada, dans un poème qui fait encore le bonheur de celui qui se met à le déclamer. La littérature andalouse à l'ère classique occupe, à elle seule, une grande place dans les écrits et les recherches universitaires dans le monde arabe. S'il est vrai que la disparition de ce paradis laisse encore une plaie béante dans toute la rive sud de la Méditerranée, il n'en demeure pas moins que le côté nostalgique devrait être régulé afin de ne pas tomber dans le ridicule. Ce thème a trop été ressassé depuis déjà la chute de Séville en 1246, et les poètes comme Aboulbaka Aroundi (1204-1285), Ibn Al-Khatib (1313-1374), et tant d'autres jusqu'à Shawqi (1868-1932), n'ont pas véritablement réussi à broder quelque chose de nouveau à même d'ouvrir devant le lecteur d'autres « Andalousies », dans le sens où l'entendait Jacques Berque. Revendiquer la paternité de Lamartine ne rime donc à rien, sinon à prouver soit la déroute, soit l'indigence de la réflexion dans le champ littéraire arabe contemporain. Le type de revendication qui puisse exister en la matière, et qui amènerait l'adhésion de tous les lecteurs, c'est celui du poète Libanais, Nicholas Fayadh, dans sa superbe traduction du non moins superbe poème Le lac de ce Lamartine que l'on veut voir devenir « Al-Amarty » malgré lui, et en dépit du bon sens. Jacques Berque avait vu juste en évoquant de nouvelles « Andalousies » pour les deux rives de la Méditerranée, dans le sens de nouvelles perspectives pour des lendemains meilleurs pour l'ensemble. Lui, qui avait résumé l'état des lieux de la réflexion arabe moderne, n'avait manqué de dire qu'à la différence de Hamlet, qui s'interrogeait sur sa place dans le royaume du Danemark, le monde arabe n'arrive toujours pas à se situer. Laissons donc Lamartine, alias « Al-Amarty » , à sa place, au chaud.