Le film Africa paradis de Sylvestre Amoussou fait partie de ces productions pérennes, voire même cultes, que peu de gens auront vu à sa sortie. Sur les écrans depuis février dernier, mal distribué, il est disponible en DVD depuis samedi 15 décembre, donnant une nouvelle carrière à cette réalisation africaine qui sort de l'ordinaire. La comédienne Mylène Wagram en parle. Vous êtes de la Martinique avec des racines au Sénégal. Comment s'est passé le tournage ? Je suis retournée au Sénégal pour ce film. Je dis retourner car je suis revenue vers l'histoire de mes ancêtres. J'ai vu l'île de Gorée, la maison des esclaves, j'ai mieux compris ce qu'était le commerce triangulaire… Pour moi, c'est une chose évidente, je suis Africaine. Forcément, je pense que dans mon métier, les Africains que je fréquente s'en rendent compte. J'ai beaucoup de camarades acteurs, actrices, qui sont originaires du Cameroun, du Sénégal, du Bénin. Ce que j'ai découvert avec eux, c'est que nous sommes frères et qu'il ne faut pas qu'on tombe dans le piège du « diviser pour mieux régner » ; il y a une diaspora noire, point barre. Ce film décrit un monde à l'envers, si on peut dire, avec une Afrique prospère et une Europe détruite. D'où viennent les immi C'était un tournage ordinaire ? Certainement pas. J'ai une anecdote avec Pauline, la Blanche qui est femme de ménage dans la famille noire dont je suis la fille. Je suis un personnage, surtout au début du film, odieux dans son racisme, et c'est vrai que dans le jeu, on a bien éclaté de rire de jouer ces situations pas évidentes, parce qu'elles ne sont pas l'ordre des choses du monde et non plus dans nos tempéraments. Le fait de mettre les choses à l'envers, c'est incroyable. Les acteurs qui étaient avec nous découvraient l'Afrique et ici, le Sénégal, pour la première. Ils ont pris une claque. Non seulement, ils étaient en train de tourner un film qui disait des choses et puis les gens étaient là autour d'eux, l'équipe sénégalaise et dans les villages ces gens qui étaient fiers qu'on tourne chez eux. On a vraiment rencontré l'humain. Il y a des histoires d'amour et d'amitié, et des chassés-croisés entre des personnages. On aurait pu ne garder que cela et enlever la charge militante antiraciste ? Difficile, car pour le spectateur, ce n'est pas possible. C'est une fable, et ils en rient, mais on doit en rire jaune. Il s'agit d'humains, on se reconnaît parfois, puis on se dit tout de même, ce n'est qu'une fable. Cette forme est nécessaire pour être acceptée, reçue et entendue. Et là, c'est le coup de maître du réalisateur. Il l'aurait fait au premier degré, brut de pomme, cela ne passait pas. J'en suis persuadée. Et, pour y voir une fiction, il y a une maturité à avoir. Je pense que nous ne sommes pas mûrs pour ça. Il y a cette histoire qu'on trimballe d'un côté comme de l'autre, la colonisation et les réflexes de néo-colonisateurs et de néo-colonisés. C'est pour ça que le cinéma, le théâtre, la littérature, la musique, c'est important. Pour dire qu'on peut aller vers l'autre, pour lui dire qui on est et qu'on ne vient pas pour manger son pain ou prendre son emploi ? Oui, bien sûr, et que l'autre a tout à gagner en nous découvrant. C'est là qu'est notre grandeur d'âme, c'est cela un chemin de vie, être humain. On se rencontre dans nos différences. Je reste persuadée que ce film, avec le temps, aura sa résonance. Multiplier les fictions de ce genre, c'est nécessaire. En savoir plus : http://africa.paradis.free.fr