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«Je serai toujours présent pour mon pays»
ENTRETIEN AVEC SAFY BOUTELLA
Publié dans L'Expression le 29 - 01 - 2009

«Comment garder nos enfants, leur donner envie de rêver, de nourrir leurs projets et ceux de l'Algérie, est la question que nous devons nous poser», souligne l'artiste, avec gravité.
Ni mégalo, ni prétentieux, plutôt perfectionniste et rigoureux, artiste dans l'âme et dans le coeur, et jusqu'au bout des doigts, il était invité récemment au Festival international du film amazigh où il a pris part en tant que membre du jury et d'invité d'honneur. Safy Boutella compositeur, arrangeur et producteur à la riche carrière (plus d'une soixantaine de musiques de films et de nombreuses fresques musicales et chorégraphiques au compteur) a rehaussé la soirée de clôture d'une manière somptueuse. Plus tôt, il offrit au public de Sidi Bel Abbès, et en exclusivité 18 minutes de pur bonheur musical, extrait de son DVD, rappelant ses 30 ans de musique ayant été célébrés in live, en juillet 2007, au Théâtre de verdure d'Alger. Un moment magique qui fut tout simplement l'instant fort de cette cérémonie de clôture, en faisant soulever le jeune public pour danser sur la musique de Chebba de Khaled et entrer en communion avec le reste des morceaux, ceux des nombreux films dont Safy a signé la musique. Dans cet entretien, l'auteur du célèbre album Mejnoun, Safy Boutella revient sur sa carrière, son expérience en tant que membre du jury et dévoile, non sans une pointe de lassitude due au laxisme que rencontrent nos artistes ici, ses projets. Un coffret et un DVD retraçant sa carrière, devraient bientôt être disponibles. Après, ce sera de nouveau, un nouveau départ. Car Safy, a encore beaucoup de choses à donner...
L'Expression: Vous avez été récemment invité à prendre part au Festival international du film amazigh en tant que membre du jury et comme invité d'honneur. Un mot là-dessus?
Safy Boutella: En effet, j'ai été contacté en décembre dernier pour faire partie du jury du festival et en être aussi l'un des invités d'honneur. Et j'avoue que cela m'a profondément touché! C'est toujours gratifiant de faire partie d'un jury. C'est surtout très important, en ce qui me concerne, de participer à une action culturelle dans notre pays, compte tenu de la conjoncture. Cela relève pour moi autant du sacré que du devoir. Alors que le cinéma est en crise, notre présence à nous, professionnels du secteur, est plus qu'urgente. Toutes les occasions sont bonnes pour se rencontrer, dialoguer, débattre et envisager des solutions.
Pourquoi le jury s'est-il abstenu de remettre un prix pour le meilleur film long métrage?
Je pense que, dépendant des conjonctures, un jury peut décerner le prix qu'il veut à l'oeuvre qu'il choisit, en son âme et conscience. Mais en tout état de cause, il est hors de question d'inclure dans notre jugement, ne serait-ce qu'une once d'indigence ou de complaisance. Ce ne serait ni un cadeau pour les films en question ni pour leurs réalisateurs. Et encore moins pour un festival, dont la qualité de l'engagement, le courage et le sérieux le positionnent en référence dans ce secteur. Ce festival attend de nous une posture professionnelle, c'est ce que nous avons fait.
Un autre prix pour la meilleure musique a été, par ailleurs, rajouté, on devine que cela émane de votre choix.
Très probablement! Disons que quelles que soient les circonstances, la décision a été rendue par un jury sérieux, chacun de nous ayant ses compétences. En tout état de cause, la musique de ce film présentait des qualités indéniables d'inspiration, de justesse et de professionnalisme.
Justement, en votre qualité de compositeur de musiques de films également (une soixantaine) vous avez, lors du festival, animé une table ronde sous l'intitulé «Quelle musique pour notre cinéma national?», ne pensez-vous pas qu'il est quelque peu aberrant le fait de cantonner la musique, censée être universelle, à un cinéma «dit national», si tant est qu'il existe un cinéma national? A ce propos, et restant dans le domaine musical, où en êtes-vous avec le projet de création d'une école de musique en Algérie?
J'avoue très sincèrement, et je l'ai d'ailleurs dit lors de cette table ronde, que lorsque j'ai aperçu cette question dans le programme du festival, je me suis demandé si je n'étais pas en train de rêver... Ou si cela n'était pas, et pourquoi pas d'ailleurs, juste une provocation. Car où sont les films dont on parle? Combien en avons-nous produits cette année? Et avons-nous créé des écoles de cinéma? Enseigne-t-on la musique de film? Et d'ailleurs, quel est le nombre de salles de cinéma par ville? Dans quelle logique nous situons-nous? Prenons-nous en charge les vocations de nos jeunes qui voudraient se lancer dans ce secteur et qui malheureusement ne le peuvent pas?...Ce sujet a, dès lors, suscité en moi colère, affliction et indignation.
Il se trouve par ailleurs, que j'ai déposé, il y a cinq ans, un dossier très sérieux et urgent sur la création d'une école de musique populaire et diplômante. Je n'ai, à ce jour, aucune réponse. Vous pouvez aisément comprendre la déception que je ressens...J'en ai le coeur serré...Je me dis aussi que je m'y suis peut-être mal pris ou que je me suis mal fait comprendre. Peut-être ne m'a-t-on pas pris au sérieux et que je devrais reformuler ma proposition? Mais franchement, toutes les idées et toutes les initiatives qui vont dans le sens de la formation solide de notre jeunesse, ne devraient-elles pas être prises au sérieux? Car pendant qu'ailleurs, la jeunesse est formée, chez nous, elle se sauve par manque de perspectives et parce qu'on n'aura pas su la faire rêver. Car à quel prix nos enfants courent-ils après leurs rêves? Au prix de leur vie. Et ça, cela devrait, à nous tous, être insupportable. Nous devrions tous nous sentir indignés de voir fuir nos enfants, notre propre vitalité, et je dis bien NOTRE PROPRE VITALITE, l'avenir de notre pays, notre trésor à tous, notre propre inspiration, le Sacré. Je suis et je serai toujours présent pour mon pays. Et je suis d'autant plus touché et ébranlé que je sais parfaitement que chaque année perdue ne se rattrape plus, et que tout ce que l'on ne fait pas aujourd'hui comptera double, triple, quadruple demain...La tâche est rude, et loin de moi l'idée de penser qu'elle est facile ou que rien n'a été entrepris,. Mais il reste tant à faire en terme de qualité et d'exigence...Notre jeunesse mérite ce regard bienveillant. Il suffirait d'oser regarder la réalité en face et de prendre la vraie mesure de l'urgence. Alors, en effet, je considère pour ma part que la question, «quelle musique pour notre cinéma national?» est une question de luxe. J'adorerais qu'on en soit déjà là. Cela signifierait que l'on ait déjà posé toutes les bases pour se l'autoriser...Pour l'instant, la seule question que nous pouvons poser est la suivante: comment garder nos enfants, comment leur donner envie de rêver, de nourrir leurs projets et ceux de l'Algérie?
A la soirée de clôture du Festival du film amazigh, vous avez offert au public 18 minutes de pur bonheur musical, extrait de votre DVD rappelant vos 30 ans de musique ayant été célébrés in live en juillet 2007, au Théâtre de verdure d'Alger. Une belle énergie d'autant que vous avez rehaussé magistralement cette soirée avec votre musique une participation fortement remarquée. Qu'en pensez-vous?
C'est vrai que j'en ai pris conscience au moment de la projection, ce soir-là à Sidi Bel Abbès. Je me suis rendu compte qu'en dehors des 10.000 personnes qui avaient assisté à ce concert en 2007 à Alger, personne d'autre n'avait pu le voir. J'étais très heureux devant l'accueil chaleureux et l'enthousiasme qu'il a provoqués auprès du public ce soir-là et cela m'a renforcé dans l'idée de faire une tournée dans tout le pays.
Les gens me connaissent à différents endroits. Soit pour l'album Kutché avec Khaled qui a eu un retentissement mondial, soit pour mon album Mejnoun qui mélangeait le Jazz et la transe, soit pour mon spectacle «La Source» inaugurant le XVe Festival mondial de la Jeunesse en 2001 au stade du 5-Juillet, soit pour la soixantaine de films dont j'ai signé la musique chez nous et à l'étranger. Et comme tout était réuni dans ce concert anniversaire, ça a été l'occasion pour le public d'assembler les morceaux du puzzle pour mieux me connaître.
J'en profite pour annoncer que le DVD de ce concert devrait être disponible avant le début de l'été.
Vous avez, me semble-t-il, émis sur scène le voeu de revenir à Sidi Bel Abbès dans le cadre d'une tournée nationale. Qu'en est-il vraiment?
C'est vrai que cette tournée me tient particulièrement à coeur, tout comme elle tient à coeur à beaucoup de nos chanteurs et musiciens...Mais sachez que c'est très compliqué et laborieux à organiser. Nos villes n'ont malheureusement pas d'infrastructures adéquates pour accueillir des concerts de bonne facture, surtout en dehors de l'été. Il faut savoir aussi que l'organisation d'une tournée de dix dates nécessite la mobilisation de l'ensemble des intervenants pendant trente, voire quarante jours. Ces contraintes sont lourdes et coûtent cher en termes d'hébergement et de logistique.
Vous allez aussi sortir vers la fin du mois un coffret retraçant vos 30 ans et plus de carrière musicale. Juste quelques mots là-dessus, si vous le permettez.
Vous savez, je regarde rarement en arrière...Je préfère aller de l'avant. Mais par conscience professionnelle, je me devais de compiler une grande partie de ce que j'ai réalisé. Avec l'aide de nos instances culturelles, nous avons, en effet, envisagé de faire ce coffret et c'est cela qui m'a amené à regarder dans le rétroviseur et à constater, non sans une certaine fierté, que le trajet parcouru méritait peut-être effectivement de s'incarner dans un objet pérenne. D'autant qu'on me signale régulièrement que ma musique n'est pas disponible. Ce sera chose faite et je n'en dirai pas plus puisqu'une conférence de presse est prévue pour l'occasion. Rendez-vous donc à la fin du mois.
Un coffret et après? Car on croit savoir que Safy, à l'esprit constamment en ébullition, ne s'arrête jamais de travailler..
Je ne dirais pas que je suis un grand travailleur, mais par contre, j'ai d'autres qualités. Je fourmille d'idées, j'ai la tête toujours pleine de projets et les yeux et les oreilles grands ouverts sur le monde. Je lance toujours mes petits cailloux pour aller ensuite les ramasser, les transformer, les honorer. En un mot, je rêve, je transforme ensuite ce rêve en travail, et je partage ce rêve en plaisir. Ce coffret est important pour moi car il marque mon parcours mais surtout parce qu'il s'est déjà transformé dans ma tête en une nouvelle page blanche...


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