L'aspect le plus important de la réforme qu'a connu le système éducatif marocain au cours des deux dernières décennies concerne l'arabisation des matières scientifiques. A partir de 1989-1990 tout l'enseignement secondaire a été arabisé. L'année 1990 a vu se former la première génération de bacheliers scientifiques arabisés. Dans cet article, nous allons nous pencher sur les raisons essentielles pour lesquelles les responsables de l'Education nationale tenaient tant à l'arabisation en général et à l'arabisation des matières scientifiques en particulier. A l'analyse de ce phénomène d'arabisation, nous entrevoyons deux motivations essentielles : d'une part les motivations socioculturelles et, d'autre part, les motivations pédagogiques. Arrêtons-nous sur ces dernières. L'une des raisons pédagogiques de l'arabisation de l'enseignement est la question de la baisse du niveau en français. A ce propos, en 1981 déjà Ben Yakhlef, (in « Propositions pour une arabisation de niveau », LAMALIF, N° 104, p.p. 46-52. ) note : « Ce qui est regrettable, c'est que l'élève moyen marocain ne semble maîtriser aujourd'hui, ni l'arabe, ni le français. Il utilise volontiers des tournures grammaticales empruntées à l'autre langue et même parfois, des mots déclinés inversement pour donner un curieux mélange linguistique franco-arabe ». Pour sa part, un autre chercheur, M. Bentolila (1999), affirme « qu'une partie importante des élèves marocains parlent mal, lisent mal et écrivent encore plus mal dans leur propre langue : l'arabe. Sur les bases mal établies de leur propre langue maternelle, ils ne peuvent évidemment pas construire une maîtrise convenable de quelque langue d'ouverture que ce soit ». Si on arabise les disciplines scientifiques pour résoudre le problème de la baisse du niveau en français, et en sachant que les étudiants ayant un baccalauréat arabisé vont s'inscrire à l'université où les études sont dispensées en français, n'assistera-t-on pas à une vraie baisse de niveau dès l'instant où les étudiants devront faire un double effort. Motivations pédagogiques D'abord celui de maîtriser la compétence linguistique pour pouvoir capter le message scientifique. Le deuxième effort a trait à la compétence scientifique pour comprendre et s'approprier le message. En tout état de cause, le Maroc a opté pour l'arabisation de l'enseignement scientifique au niveau primaire et secondaire et pour le maintien du français au niveau universitaire. L'enseignement des disciplines scientifiques en français, aux niveaux du supérieur, renforce le pouvoir de cette langue et rehausse sa valeur. De plus, préconisée comme première langue étrangère, cette langue est valorisée en tant que code de la communication scientifique. Elle bénéficie ainsi d'une place de choix dans le discours politique, qui l'attache à une nécessité. Le français est la langue qui permettrait le contact avec le progrès scientifique et technique. C'est la langue de l'ouverture et de l'enrichissement sur la connaissance moderne. Tout laisse donc à croire au maintien, à long terme, du français au supérieur dont le rapport établi n'est pas le même que celui qui existe avec les autres langues étrangères. En 1999, dans un article intitulé : « Pouvoir linguistique et éducation : L'enseignement en proie aux antagonismes des langues » (in Le journal, spéciale rentrée scolaire, Septembre N°88) A. Bentolila écrit : « En attendant que la langue arabe soit restructurée pour devenir plus fonctionnelle, l'apprentissage du français restera, faute de mieux, obligatoire. Son usage sera très répandu, en particulier au niveau de l'enseignement supérieur. Cette langue sert à diffuser une abondante information scolaire et universitaire. Cette information en français est véhiculée à grand renfort d'ouvrages scientifiques, de revues spécialisées, de travaux de recherche, de mise à jour constante des connaissances humaines et du savoir. » A partir de cette discontinuité linguistique qui caractérise le système éducatif marocain, il s'avère nécessaire de s'interroger sur son efficacité. Enseigner les disciplines scientifiques en arabe, au primaire et au secondaire et en français au supérieur, ne manquerait pas de mettre en péril l'avenir de l'élève issu des sections scientifiques. Jusqu'au baccalauréat, les élèves des sections scientifiques ont accès aux matières essentielles (physique, chimie, sciences naturelles, mathématiques) par le biais de la langue arabe, avec tout ce que cela suppose comme raisonnement scientifique, acquisition des mécanismes syntaxiques et discursifs propres à cette langue. Sans oublier la transcription et la reproduction des signes et symboles universels et l'interprétation dans la langue d'apprentissage. De ce fait, le changement de la langue d'apprentissage engendre une situation paradoxale qui risquerait d'entraver l'insertion normale des bacheliers scientifiques dans l'université. Mais soucieux de limiter les risques d'une telle situation, les responsables de l'Education nationale du Maroc ont pris certaines mesures didactiques et pédagogiques permettant à ce nouveau profil d'étudiants de poursuivre leurs études supérieures scientifiques et techniques. Les actions menées jusqu'à présent et les procédés de renforcement ont-ils eu un effet pour vaincre le problème de la communication pédagogique soulevée dans l'enseignement supérieur scientifique et technique ? Ont-ils comblé les lacunes signalées par les professeurs de sciences et doté les élèves de compétences adéquates afin d'intégrer leurs études supérieures et de suivre efficacement les disciplines de spécialité assurées en langue française ? Il n'est nul doute que l'ambition des responsables étant d'inscrire le processus d'arabisation dans l'évolution globale du système d'enseignement et l'amélioration de la formation de l'individu, mais il y a lieu de s'interroger sur les répercussions d'une telle situation dans la réalité, sur le terrain, en classe et en profondeur pour pouvoir juger de l'efficacité des mesures et des moyens préconisés à cet effet par l'institution, et aussi pour vérifier si les changements opérés touchent les vrais problèmes car l'enjeu est de taille.