Bamako, le film du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, a été présenté en avant-première à la salle de cinéma Thakafa ABC à Alger-centre. Sora-distribution a fait ce pari. Habituant ses admirateurs à des films plutôt muets, celui projeté s'avère être trop bavard, assure celui qui a présenté le film. Et pour cause ! Dans la cour de la maison, où a vécu Sissako enfant, se tient un procès qu'a intenté « la société civile africaine », plus dynamique que le laissent penser certains clichés aux institutions financières mondiales. Melé et Chaka, un couple battant de l'aile, habitent une chambre de cette maison bruyante. Le pari du natif de Kiffa, en Mauritanie, est d'avoir réussi à réunir des acteurs professionnels et ceux qui ne le sont pas : deux avocats français, William Bourdon et Roland Rappaport ainsi que trois autres africains (sénégalais, malien et burkinabé), y ont également pris part. Entrecoupant la trame du film, une parodie d'un western spaghetti, Death in Timbuktu, montre des Blancs et des Noirs qui s'en prennent à des Noirs. Par cette scène, le réalisateur, qui a joué avec son producteur le rôle de cow-boy, insiste sur l'exploitation des habitants du continent par leurs propres frères. « Cette scène était pour moi une manière de montrer que les cow-boys ne sont pas tous blancs et que l'Occident n'est pas seul responsable des maux de l'Afrique. Nous avons, nous aussi, notre part de responsabilité », insiste-t-il. Sissako ne s'en cache pas : il affirme avoir voulu faire un film plus politique que ses autres productions. Celui qui assure aimer réaliser ses films avec la chaîne franco-allemande Arte, qui lui assure une marge de manœuvre suffisante, relève que Bamako est un dialogue et un questionnement et non l'ébauche d'une vérité que seul lui et ses partisans détiennent. L'ajustement structurel initié par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international y est battu en brèche par les témoins qui le considèrent comme une autre forme d'exploitation. Autre surprise dont raffole celui qui est revenu sur les traces de son père à Bamako : le fait que le chant du griot en sénoufo n'a pas été sous-titré. Pour Sissako, il s'agit d'un personnage qu'il a rencontré deux ans auparavant, au sud du Mali. « Il a chanté à la surprise générale et seul le président du jury était prévenu. Il s'agit d'un cri du cœur ; donc, les émotions n'ont pas besoin d'être traduites. Il a chanté pendant 17 minutes et j'en ai monté 3 minutes. Dans la vie, ils peuvent chanter une heure », relève-t-il dans l'un de ses entretiens.