Alger, capitale de tout : politique, économique, démographique, de trafics en tous genres et récemment, de l'insécurité. C'est une métropole anarchique aux proportions démesurées, comme on sait en faire dans le tiers-monde. Un organisme urbain où l'entassement le dispute à l'inesthétique, défiant toutes les règles de l'aménagement urbain, tous les dogmes de l'art citadin contemporain. La ceinture « bidonvilloise », on a commencé à parler (dans les discours) et à ne s'y intéresser que ces deux dernières décennies. Avant, les bidonvilles et autres « bétonvilles » (Bachedjarah, Aïn Naâdja…) produisaient des petits malfrats et des voyous de type ordinaire. Après, ce sont des tueurs intégristes que les baraques ont crachés. Neuf fois sur dix, ce sont les mêmes mutants qui ont fait le saut périlleux d'une délinquance à l'autre. Mais la nouvelle mauvaise herbe n'a pas, pour autant, chassé l'ancienne qui continue à sévir et à proliférer. Alger, à l'instar de toutes les grandes villes du pays, n'a pas encore réussi à prévenir les excroissances irrationnelles de sa périphérie. On y trouve des rangées de baraques occupées principalement par des ruraux en quête d'un travail, ou simplement à la recherche d'un logement. En effet, les difficultés à survivre à la campagne, associées à la non-réalisation d'une réforme agraire, ont provoqué un processus d'urbanisation gigantesque et rapide. Il y a cinquante trois ans, en 1954, la population urbaine ne représentait que 25% de la population totale ; en 1977, ce pourcentage arrivait déjà à 40%, pour atteindre 58% en 1998, et dépassera actuellement les 65%. En vingt ans, soit de 1987 à 1998, le nombre de grandes villes ayant plus de 100 000 habitants est passé de seize à trente-deux. Or, ce sont particulièrement les pauvres de la campagne qui sont allés en masse vers les villes. Mais le nombre d'emplois urbains n'était pas suffisant pour absorber cet afflux de populations, et cette urbanisation est, en effet, une urbanisation de la pauvreté : les pauvres de la campagne, en déménageant vers les villes, concentrent la pauvreté. Les cultures vivrières et toute la production agricole sont sacrifiées sur l'autel du libre-échange (même l'ail nous vient de Chine !). L'Algérie devient une friche et un marché livré aux entreprises d'import-import. Le chômage ne cesse d'augmenter, et une paupérisation accélérée affecte la plupart des couches sociales. Au sein de la population, notamment les jeunes, règne un sentiment d'impuissance et d'absence d'alternative politique qui contribue à faire de l'émigration la seule échappatoire. L'insécurité est devenue un fléau national. Et chaque jour qui passe, on a la sensation que notre vie devient de plus en plus vulnérable, incertaine. Comme partout ailleurs, les Algériens font face aujourd'hui à une montée croissante de l'insécurité et de la criminalité. Dans les villes et campagnes du pays, les cas d'agression physique, de vols à main armée, d'embuscades sur les routes, de trafics, d'escroqueries en tout genre et récemment de rapt et kidnapping se comptent chaque semaine par dizaines. Certes, la question de la violence n'est certes +protectrice de la foule, vous n'êtes jamais à l'abri d'un canif pointé à la hanche pour vous soulager de votre portefeuille, de votre sac à main, ou de vos petits bijoux. À pied ou en voiture, à l'arrêt à un feu rouge, s'il vous prend d'utiliser votre portable, on vous l'arrache, et heureux encore si votre oreille ne part pas avec. Les citadins sont gagnés par l'inquiétude. Ils ne savent plus si la situation est encore maîtrisable, ou si la ville glisse vers un avenir imprévisible. Ce malaise n'est pas totalement nouveau, et il n'a rien d'une morosité passagère. Les conséquences de la violence urbaine sont multiples. Elle est non seulement source de préjudice, de blessure, voire de traumatisme dû au choc émotionnel, mais elle engendre aussi un sentiment d'insécurité qui conduit lui-même à la méfiance, à l'intolérance, au repli sur soi et, dans certains cas, à des réactions violentes. Cette montée de la criminalité est également à l'origine d'une transformation profonde de la vie quotidienne dans les zones urbaines. Dans certaines villes, par exemple, la violence et l'insécurité constituent une entrave aux mouvements de la population, qui hésite à utiliser les transports publics. Paralysés par la peur, les citadins — en particulier les femmes —évitent de s'aventurer dans les rues, les parcs et autres espaces publics. Le phénomène de l'insécurité urbaine et de la délinquance est si visible aujourd'hui à Alger, et l'ensemble des grandes villes a même fini par imposer une architecture nouvelle à la ville. Du plus riche au plus pauvre, dans les quartiers résidentiels comme dans les banlieues, les habitants installent des clôtures et des grilles métalliques pour protéger leurs biens et leur intimité. Les habitations sont devenues de véritables pénitenciers où l'aération fait défaut. L'élévation des clôtures et des murs autour des maisons constituent autant d'indices pour nous informer sur l'ampleur du fléau. Un autre phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur, celui de la drogue. Autrefois, on essayait d'imposer des limites au trafic et à la consommation des drogues. Aujourd'hui, le trafic de drogues dures se fait en plein jour et au su et vu de tout le monde. Autrefois également, on dénonçait la corruption pratiquée à de hauts échelons de l'administration publique, comme une transgression. Aujourd'hui, la corruption s'exerce verticalement à tous les échelons de l'administration, depuis les plus hauts jusqu'aux plus bas et les plus démunis. Tous les indicateurs – accroissement du chômage, déscolarisation, déficit de logements, corruption, drogue… – opèrent dans le sens d'une aggravation des situations d'exclusion et de violence. Celles-ci favorisent par contre un phénomène très large d'occupation des rues des grandes villes par des bandes d'enfants qui constituent autant de victimes probables, vu les risques encourus lors d'une utilisation non régulée de l'espace urbain. Leur existence n'est certes pas un phénomène nouveau, mais le nombre de jeunes impliqués, le niveau de violence et la position hégémonique font de l'expansion de celles-ci un trait marquant de la situation de la délinquance actuelle. A l'instar des autres pays sous développés en transition vers l'économie de marché, l'affaiblissement de l'Etat et l'ajustement structurel produisent une jeunesse déboussolée. Aujourd'hui, l'Algérie doit faire face au chômage sans cesse croissant des jeunes et la paupérisation grandissante des populations. Des pans entiers de la population sont dans une situation économique et sociale désespérée. Et ce sont eux qui nourrissent les réseaux de la criminalité et de trafique. Dans un pays où les possibilités de trouver un emploi et de gagner sa vie honnêtement sont très limitées, les braquages et autres formes de cambriolage, les agressions physiques, les meurtres, les escroqueries et du trafics ne peuvent que se multiplier. Où en est-on par rapport à la Déclaration d'Istanbul sur les établissements humains (juin 1996), qui préconise : « Il faut que nos villes soient des milieux où les êtres humains vivent et s'épanouissent dans la dignité, la sécurité, le bonheur et l'espoir » ? Nos politiques trouveront-ils les solutions pour sauver la ville de ses propres excès ?