Ce choix d'une vie simple, ce romancier au génie éclatant et infaillible, ennemi du luxe et des grands palaces, il l'a montré lors de son séjour à Bouira où il y a séjourné pendant deux mois. Cet honneur incommensurable, la ville de Bouira, qui n'était à l'époque qu'une bourgade où l'auteur du très célèbre roman Nedjma vint s'installer entre juillet et août 1974, elle le devait à l'un de ses fils les plus illustres : Ali Zaâmoum, décédé récemment. Ce grand révolutionnaire, qui occupait un poste important au ministère du Travail auquel était alors rattaché le Théâtre de Bouira, a connu naturellement Kateb Yacine dont il devint l'ami. Connaissant les goûts de l'écrivain pour tout ce qui avait trait aux choses simples et naturelles, il lui proposa pour cadre de travail l'un des plus beaux sites de la wilaya : la ferme pilote, située à la lisière de la forêt Errich. La ferme agricole comme on l'appelle encore, conçue à l'époque de la Révolution agraire, était un modèle de réussite. La formation qui était dispensée en direction des jeunes stagiaires, était assurée en partie par des Allemands vivant avec leurs familles. Ces derniers, en quittant la ferme après la débâcle des idées révolutionnaires qui ont été à l'origine de sa prospérité et de son rayonnement, devaient laisser leur nom à une partie de ce coin paradisiaque où s'élève aujourd'hui la cité appelée : les Allemands. En juillet 1974, Kateb avait un projet : adapter à la scène une pièce de théâtre écrite en 1956 et intitulée La Guerre de 2000 ans. Ayant besoin de calme et de silence pour mener son projet à bien, La ferme pilote s'y prêtait merveilleusement. La proposition d'un séjour à Bouira, qui après tout n'était pas loin de la capitale, agréée au dramaturge et l'école pilote fermée en été, accueillit Kateb et sa troupe théâtrale. Au sein de cette troupe, se révéla un jeune comédien de 19 ans, un prodige qui ne quittera plus le maître qui, hélas, abandonnera l'Association régionale du théâtre (ART) fondée à l'initiative de son ami Zaâmoum, au ministère du Travail. Cela se passera en 1988, lorsque Kateb tombe malade et nous quittera pour toujours en 1989. Ce jeune comédien qui reprendra plus tard la direction du théâtre régional de Sidi Bel Abbès, après la disparition du maître dont il se dit l'héritier, menait une double vie comme tous les collègues de sa troupe : pendant la journée il participait aux travaux des champs, et le soir, dans la cour de la ferme pilote, il répétait avec les autres. Le maître, lui, enfourchait son vélo et, se fiant à son instinct d'écrivain, de poète et de dramaturge qui ne l'a jamais laissé en plan, partait dans la direction où il puisait l'inspiration. Au retour de ses longues randonnées, il rentrait pour réunir la formidable provision d'idées et d'images nées au cours de ses virées. Ce fut à la ferme pilote deux mois de pur bonheur pour tous. La pièce La Guerre de 2000 ans, dont la générale eut lieu le 1er novembre à la salle El Mougar, à Alger, eut les faveurs du public. Ce succès ne devait plus se démentir. Après une tournée en France où il avait joué deux de ses pièces, celle qu'il monta à Bouira ainsi que Mohamed prends ta valise, Kateb ne résista pas au plaisir de revoir cette ville, qui l'avait conquis grâce aux conditions exceptionnelles de travail qu'elle lui avait offert pour la réalisation de sa pièce La Guerre de 2000 ans. Aussi, la troupe l'interprète donc ce 1er novembre 1975 à la salle Errich à Bouira. Le jeune comédien, Hassan Assous, y tenait un rôle. Avant-hier, il y était de nouveau, mais à titre de metteur en scène et de directeur pour jouer La poudre d'intelligence, alors, il parlera de Kateb avec nous, celui qui a laissé un souvenir impérissable à toute une génération. Emu par le succès qu'il venait de remporter avec cette pièce intelligemment adaptée, il nous remet un portrait en noir et blanc de Kateb Yacine carte avec ce titre : le séducteur des étoiles — Pourquoi les étoiles ? Parce qu'il a toujours été très près des étoiles, nous dit le directeur du TAS. Son étoile Nedjma est toujours là pour en témoigner jusqu'à la fin des temps.