C'est en tant que président de l'Association des réalisateurs professionnels algériens qu'il nous confie sa vision du cinéma. Comment l'ARPA a-t-elle repris ? La nécessité de se regrouper, de réfléchir à notre métier et d'agir était devenue impérieuse. Il nous fallait un cadre légal. On a créé une association. Pendant un an, nous n'avons pas eu l'agrément. Nous avons donc réactivé, auprès du ministère de l'Intérieur, l'ARPA, agréée dans les années 90 et gelée à cause de la conjoncture. Il s'agit pour nous de contribuer à la réorganisation du secteur. Aujourd'hui, n'importe qui fait n'importe quoi. Il y a une mécanique perverse qui fait que les vrais professionnels se marginalisent. A cela, s'ajoute la question du rapport complexe de notre société à l'image. Comment le gérer dans une société encore rigide et après plus de 130 ans de colonialisme où l'image a été utilisée de manière agressive envers l'Algérien. Ces dernières années, il y a surtout des films faits par d'autres sur nous qui nous obligent à chausser leurs regards. Je suis contre toute censure et, pour moi, un Algérien a le droit de faire un film sur lui, sa famille, sa société, qu'il vive ici ou dans l'Antarctique, et même si son regard ne me convient pas. Un étranger a le droit de faire un film sur l'Algérie, comme un Algérien sur un autre pays. Seulement, si en même temps, nous n'avons aucune image de nous-mêmes, faite par nous-mêmes, c'est très grave. Votre démarche n'est donc pas strictement corporatiste… Pas du tout. Notre profession est liée à un ensemble. Il faut agir sur tous les plans : professionnel, financement, structures, équipements, législation, réglementation, distribution et formation parce que les métiers n'existent plus. Comment l'ARPA a amorcé son démarrage ? La première AG a eu lieu en juin 2007. Un nouveau bureau a été élu. On a commencé à tracer un programme de travail avec les partenaires principaux : le Ministère de la culture et la Télévision nationale. Mais c'est surtout en notre sein que nous travaillons, d'abord en dressant un véritable état des lieux, pas pour nous contenter de dire que ça ne va pas ou que c'est à cause de l'autre. Pas de mentalité d'assisté. Non, réfléchir sereinement à notre métier. Probablement à la fin février, en marge du panorama des films produits dans Alger capitale de la culture arabe, nous organiserons une rencontre. Quels sont les critères d'adhésion ? Soit sortir d'une grande école de cinéma, soit avoir fait un film sur une chaîne TV reconnue ou avoir participé à des festivals reconnus. Si le candidat ne remplit aucune des conditions, il peut faire visionner un film par une commission de l'ARPA. Nous avons été souples. Nous avons à cœur de rassembler tous les gens du métier. Bien sûr, ces conditions n'ont rien à voir avec la carte professionnelle que le CNCA (Centre national du cinéma algérien) a la prérogative de délivrer. Une première réunion a eu lieu en vue de définir ensemble les critères d'octroi des cartes. Nous avons demandé aussi au ministère d'établir un agrément. Actuellement, n'importe qui peut ouvrir une société dans le secteur, sans aucune condition particulière, comme une pizzeria ! A la limite, cela ne nous dérange pas, mais quand il s'agit de l'argent public, nous considérons qu'il doit aller à des professionnels. Donc, ce n'est pas un agrément à l'exercice, mais à l'accès aux soutiens publics ? Voila. Une fois qu'une société obtient de l'aide, obligation lui sera faite d'employer des professionnels. Actuellement, des gens prennent de l'argent. Comme il n'y a aucun critère, il n'y a aucune sanction. On voit des gens employer leur cousin, leur nièce, leur fils. Tant que c'est leur argent, libre à eux, mais pour l'argent public, on doit faire travailler des professionnels, identifiés par leur carte. Ce que nous proposons existe partout. Si la profession se bat pour avoir le soutien de l'Etat, elle veut avoir la garantie que cette aide aille au soutien de la profession. Nous ne voulons pas fermer la porte à des gens de qualité, mais à ceux qui n'ont rien à voir avec la profession, ni avec la culture. Il en est qui, dès qu'ils sentent de l'argent en l'air, quelque soit le domaine, créent une boîte et répondent présent. Dans l'audiovisuel, c'est le cas. Quelles sont vos premières actions ? D'abord, le projet de loi sur la cinématographie que nous suivons de près. Ensuite la règlementation à mettre en place avec le CNCA. Le cinéma étant une activité internationale, nous travaillons aussi sur les accords bilatéraux comme, récemment, celui de coproduction algéro-français. On attend sa promulgation. Je souhaiterai aussi rencontrer au plus tôt nos collègues maghrébins pour envisager des partenariats. Les investissements dans le cinéma sont très lourds et pour les amortir, c'est plus facile au niveau de trois pays. Il peut y avoir des complémentarités, une entente. C'est l'intelligence économique primaire… Cette intelligence ne s'est pas beaucoup exercée… Malheureusement. Mais nous allons tenter de la faire avancer dans le cinéma. Dans le passé, il y a eu des productions maghrébines. Votre regard sur l'expérience marocaine ? Voila un pays qui, il y a disons une quinzaine d'années, était quasi absent. Comparativement à l'Algérie, son cinéma était auparavant à la traîne. Beaucoup de films se faisaient au Maroc avec des professionnels algériens et dans les années 90, où il n'y avait rien ici, plusieurs d'entre eux ont pu travailler au Maroc. Le cinéma marocain avait du retard et voilà qu'il a une véritable industrie, deux ou trois écoles de haut niveau. Des salles où les films locaux font des recettes plus élevées que les films américains. Plusieurs festivals dont quatre ou cinq d'envergure. Ils ont su rentabiliser leurs décors naturels. Des superproductions viennent y tourner, ramènent de l'argent, font la promotion du pays, avec obligation d'employer des stagiaires marocains. Le résultat est la : 12 à 15 longs métrages par an, 40 à 50 courts métrages et la formation relancée. Avec une loi sur la cinématographie … Bien sûr. Nous avons intérêt a mieux connaître leur expérience. Ils ont été confrontés à ce que nous vivons. Ils ont compris l'importance stratégique de l'image. Il y a eu aussi l'ouverture du champ télévisuel et une relance intelligente dans le sens où leur cinéma revisite leur passé récent, dans sa partie la plus noire. Il contribue à réconcilier la société marocaine avec elle-même dans une sorte de thérapie collective. Revenons aux préparatifs de la loi ici… L'ordonnance de 1968 est complètement dépassée. La relance a besoin d'une loi-cadre pour fixer les règles du jeu. Hélas, il y a l'incompréhension de certains décideurs qui pensent encore que le cinéma est négligeable. Il y a un travail à faire en leur direction pour souligner l'aspect stratégique du cinéma. Leur dire que de nos jours, des guerres se gagnent par l'image et le son. Même des guerres perdues sur le terrain sont gagnées sur les écrans… Exactement. Des pays l'utilisent à l'échelle planétaire. Nous, nous voulons simplement l'utiliser pour faire avancer notre pays. Si les décideurs ne comprennent pas cela, ce serait grave. Il semble qu'ils vous aient entendu. Vous êtes associés aux préparatifs de la Loi… A l'évidence, on sent que les choses changent. Une volonté se manifeste. Mais il y a aussi beaucoup de forces de pesanteurs. D'où l'importance de revenir à la société, de réintroduire le cinéma dans les écoles. Il peut être un levier culturel et un outil pédagogique. Nous tentons actuellement une expérience à Sétif et nous œuvrons pour développer les ciné-clubs qui reprennent un peu partout, même dans des villes isolées. On a été surpris. On voudrait les aider par la formation des animateurs et encourager la création de nouveaux ciné-clubs. Et les autres partenaires comme la cinémathèque… Elle ne joue plus son rôle et l'Etat doit s'en occuper. Il s'agit de la centrer sur ses missions vitales : archivage, conservation, répertoires classiques... Des tas de copies sont dans un état lamentable. A ce sujet, les négatifs des films de l'ENPA ou les copies tirées lors de l'Année de l'Algérie en France sont en souffrance. Il faut créer un blockhaus de conservation Etes-vous optimiste ? De toutes les façons, je ne peux être pessimiste. A partir du moment où des gens sont convaincus d'une chose et s'organisent pour la faire, pour moi, c'est de l'optimisme. On n'a rien pour rien. Si la relance se fait, les professionnels algériens dans le monde viendront travailler ici. Des investisseurs, veulent construire des salles. Il faut que la volonté politique s'affirme et que le socle soit vite établi. Et ce socle, c'est la loi. Repères Belkacem Hadjadj est né en 1950 à Tiguemounine (W. de Tizi-Ouzou). Après des études de littérature, il s'oriente vers le cinéma. Il est diplômé de l'INSAS de Bruxelles (1977) et a soutenu une thèse sur l'oralité et l'image à l'Université de Paris X (1987). Il a travaillé à la télévision belge jusqu'en 1978 puis à la RTA jusqu'en 1987. Il a enseigné aussi à l'INSIC d'Alger. Réalisateur de plusieurs téléfilms et documentaires, dont La Goutte, premier Prix du Festival d'Amiens 1982, et Bouziane El-Kalai, prix Venezia Genti, Mostra de Venise, 1984, il est aussi l'auteur de longs métrages remarqués : Machaho (1996), El Manara (2004). Il a créé sa propre société, Machaho Production à la fin des années 90, élargissant ainsi sa palette, puisqu'il est également comédien et scénariste. Depuis 2007, il a été élu Président de l'ARPA (Association algérienne des réalisateurs professionnels algériens).