Doctorant en sociolinguistique, titulaire d'un magistère en langue et culture amazighes et d'un DEA en langues, littérature et société, Mouloud Lounaouci nous livre dans cet entretien son appréciation sur l'expérience de l'enseignement de tamazight et un état des lieux de la recherche dans ce domaine. Aussi, sa vision sur le futur conseil supérieur et l'académie pour tamazight. Il propose, comme urgence, la création d'un centre de terminologie couplé à un centre de traductologie pour la modernisation de la langue amazighe. L'enseignement de tamazight a été lancé depuis maintenant plus d'une décennie. Quel regard portez-vous sur cette expérience ? Pour être franc, c'est un regard mitigé. D'une part, il y a de quoi se réjouir dans la mesure où le tamazight est, aujourd'hui, pris en charge par le système éducatif algérien. Il faut peut-être rappeler que, jusqu'à des temps très proches, le fait même d'en parler pouvait vous valoir la prison. Le chemin parcouru est donc indéniablement positif. D'autre part, il y a chez moi un arrière-goût d'insuffisance. L'Etat n'a pas mis les moyens suffisants, tant sur le plan matériel, financier, qu'humain pour son développement, sa modernisation et sa diffusion. Il aurait fallu que lui soit appliqué un « coefficient de réparation historique ». Autrement dit, l'Etat aurait dû mettre les moyens pour qu'en des temps raisonnables le tamazight rattrape l'arabe en matière de développement. Ceci pour la question statutaire. Du point de vue de l'enseignement proprement dit, les insuffisances sont encore plus criantes. Au fait que les manuels didactiques soient très mal conçus, que les enseignants ne sont pas tous d'égal niveau de compétence, que son enseignement ne soit pas obligatoire, s'ajoutent les obstacles sciemment dressés par un certain nombre de chefs d'établissement pour décourager élèves et parents. Résultat, à l'engouement du début fait suite une déception en partie à l'origine du recul de l'enseignement dans de nombreuses wilayas. Le tamazight semble traverser toujours une période provisoire quant à l'utilisation du caractère alphabétique. Quelle est, selon vous, la graphie la plus appropriée pour faire avancer la langue et la recherche amazighes (latin, arabe, tifinagh) ? Et quels sont vos arguments ? Je suis toujours assez surpris quand on me pose la question du choix graphique. On a tendance à oublier que la langue appartient à ses locuteurs. Pour être clair, il n'appartient, théoriquement, ni aux institutions ni aux spécialistes de décider d'un caractère. Il se trouve, qu'en Kabylie, la question ne se pose plus puisque depuis douze années l'enseignement est fait en latin. Difficile d'effacer d'un coup de gomme une expérience aussi longue, d'autant qu'il y a manifestement une volonté de poursuivre l'enseignement dans ces caractères. Quant aux arguments, on peut en donner à profusion pour défendre telle ou telle transcription. Il serait trop long de tous les citer mais il faut savoir qu'ils ne sont que pseudo-scientifiques. Tous les caractères peuvent être utilisés pour transcrire une langue. Pour être clair, le choix n'est qu'idéologique et c'est la raison pour laquelle il y a tant de passion. Pour ma part, je pense que chaque communauté dialectale doit avoir la possibilité d'étudier son propre parler dans l'écriture qu'elle se sera choisie. Polynomie et polygraphie sont les maîtres mots pour résoudre sereinement la question. Il n'est pas gênant, par exemple, que les Kabyles étudient le kabyle en caractères latins, que les Chaouis étudient le chaouia en caractères arabes et que les Touareg étudient le tamachakt en caractères tifinagh. Viendra le jour où un dialecte, parce que plus dynamique, imposera naturellement sa norme et sa graphie. Tout le reste n'est que politique. Pouvez-vous nous dresser un petit inventaire sur les productions de référence dans la recherche en tamazight (histoire, linguistique, lexique, syntaxe ...) ? Plutôt que de dresser un inventaire fastidieux des travaux réalisés dans le domaine amazigh (il suffit de consulter les nombreuses bibliographies), je préfère mettre en exergue la volonté et le dynamisme de nos universitaires et enseignants. Actuellement, quasiment tous les dialectes ont été décrits. De nombreuses thèses doctorales, de mémoires de magistère et de licence leur ont été consacrés. Bien entendu, il reste beaucoup à faire, notamment en matière de modernisation de la langue. La création d'un centre de terminologie couplé à un centre de traductologie est une urgence. Ce centre, où siégerait une commission d'homologation, permettra à la fois la recherche néologique et l'évaluation de la socialisation des nouveaux termes. On éviterait alors tous les barbarismes créés de bonne foi par des autodidactes peu ou pas formés. Pour le reste, la recherche est tout à fait modeste. Il y a encore très peu de travaux sur la société amazighe, sur la question identitaire, sur les questions d'imaginaire et de représentations pour dire que nos jeunes chercheurs n'ont pas de quoi chômer. Faut-il encore qu'il y ait une volonté politique ! Que pensez-vous de la décision du gouvernement de créer un conseil supérieur à l'amazighité (CSA) et une académie nationale pour la langue amazighe ? Quelles sont vos suggestions pour que ces deux institutions puissent réellement remplir la mission qui leur incombe ? Un contenant n'a de sens que si l'on connaît son contenu. De prime abord, la création de ces deux institutions est positive s'il ne s'agit pas d'un simple changement de dénomination du HCA et du CNPLET. Nous savons que malgré la bonne volonté de leur composante humaine, ces deux organismes n'ont pas été à la hauteur de nos espoirs. Pour le premier, l'enveloppe budgétaire est pratiquement insignifiante. Les responsables ont eu, malgré tout, le mérite d'organiser des colloques de haut niveau et de publier nombre d'ouvrages et opuscules. Pour le second, dont l'objectif est la recherche, il est pour le moins curieux qu'il soit sous la tutelle du ministère de l'Education nationale alors que la recherche est dévolue à l'enseignement supérieur. Résultat, c'est une coquille vide et inefficace même si la compétence de l'équipe n'est pas à mettre en cause, loin s'en faut. Alors, conseil supérieur à l'amazighité et académie sont les bienvenus s'ils sont accompagnés d'une grosse enveloppe financière et si les scientifiques sont autonomes dans leurs mouvements et décisions. Ils pourront dans ce cas avoir des activités complémentaires. Le CSA assoirait une politique d'amazighisation comprise dans son sens large. L'académie aurait un rôle plus technique en évitant toutefois qu'elle soit trop prescriptive. Cette dernière mettra sur pied des ateliers de recherche en langue amazighe, en dialectologie et gérera le centre d'aménagement linguistique et de traductologie. L'académie sera également le siège de la commission d'homologation. A l'évidence, université et académie se compléteront l'une et l'autre faisant appel à des compétences similaires. Le CSA aura alors à mener des campagnes de sensibilisation, de vulgarisation et de socialisation par l'organisation de colloques, de conférences et de publication, mais aussi par l'encouragement de productions culturelles en tamazight. Si, comme nous l'avions dit, l'académie doit avoir pour interlocuteur l'université, le CSA se doit d'être en relation directe avec les autorités politiques les plus hautes. En quelques mots, la réussite de toute politique culturelle et linguistique passe par une forte demande sociale (ce qui est le cas pour tamazight), une volonté politique (qu'il faut affermir), des moyens matériels et financiers conséquents (largement insuffisants jusque-là) et des compétences (totalement inexploitées pour le moment).