Selon le poète, le film, « première expression cinématographique spécifiquement algérienne » a été boycotté par les autorités coloniales. Belle initiative d'Arts & Lettres que d'évoquer par deux fois le premier film algérien, Les Plongeurs du désert, de Tahar Hanache. Dans un itinéraire comparé avec Félix Mesguich, Abderrezak Hellal avait donné de précieuses indications bio-filmiques sur le réalisateur (El Watan, 25 mai 2006) tandis qu'Abdenour Zahzah le cite succinctement en nous promettant d'y revenir (El Watan, 27 sept. 2007). Si c'est la première fois que la presse algérienne évoque ce pionnier - totalement ignoré ou occulté depuis 1962 dans tous les ouvrages, études d'ensemble et articles sur le cinéma algérien - son nom n'était point ignoré avant l'indépendance. Dans le premier traité sur le 7e art au Maghreb, « Cameras sous le soleil, le cinéma en Afrique du Nord » (Alger, à compte d'auteur, 1956), Maurice-Robert Bataille et Claude Veillot apprécient honnêtement celui qui « mit en chantier, seul et sans moyens, un court métrage très curieux sur Les Plongeurs du Désert, corporation quasiment inconnue des puisatiers du Sud capables de descendre à des profondeurs insoupçonnées, de demeurer sous l'eau pendant des périodes incroyables, risquant sans cesse leur vie dans un métier harassant, meurtrier et parfaitement anachronique à nos yeux d'Occidentaux. » Mais c'est à Jean Sénac que nous devons le plus d'informations sur le film de Hanache. Dans son essai Le Soleil sous les armes, Eléments d'une poésie de la résistance algérienne (Rodez, Subervie, 1957), il souligne à propos de la censure de la littérature et de l'art en Algérie : « Sait-on que le film Les plongeurs du désert, de Tahar Hannache, fut boycotté par le Gouvernement général (de l'Algérie) sous prétexte qu'il était entièrement financé, réalisé et joué par des ‘‘autochtones''. » Après une des rares projections de l'œuvre en question, en 1953 à la Casbah où on peut le reconnaître à droite de son ami l'artiste peintre Sauveur Galliéro, Sénac rédige un article enthousiaste resté inédit à ce jour. Cet écrit donne à lire combien le poète, lequel a entretenu des rapports féconds avec le cinéma, a su ''voir'' un film très maîtrisé dont il dénonce le schéma sociopolitique de sa censure, témoignant déjà de l'engagement de l'auteur pour un front culturel authentiquement algérien. Les plongeurs du désert, de Tahar Hannache Il est assez significatif que Les plongeurs du désert n'ait pas reçu des pouvoirs publics l'accueil qu'il était en droit d'espérer. Ce court-métrage, librement réalisé par Tahar Hannache, avec des moyens de fortune, apparaît dès à présent comme le meilleur documentaire produit en Algérie et la première expression cinématographique spécifiquement algérienne : producteur, scénariste, metteur en scène, interprètes, compositeur et assistants sont tous des autochtones. Cette bande relate l'exploit difficile des anciens puisatiers du Sud appelés à désembourber les puits au péril de leur vie, puis l'installation des pompes mécaniques chargées du même travail. Sur cet argument très banal, Tahar Hannache a construit une manière de conte très habilement exprimé en images. Les séquences sont en majorité excellentes, les prises de vue, le montage révèlent un parfait technicien. Le parti, à la fois sobre et divers qu'il a tiré du sable, de l'eau, des muscles, des machines, nous arrache aux habituels poncifs des documentaires sur le désert. Comme les Noces de sable de Swobada (*) auquel il se rattache, avec néanmoins une charge plus efficace d'authenticité, Les Plongeurs du désert est un poème à la gloire de l'Afrique du Nord, peuplée de mythes, de souffrances et d'espoirs terrassés. Il y a tout au long de ce court-métrage un rythme et un sens du geste presque rituels. Le mouvement, remarquablement organisé, en particulier dans la danse de Leïla, dans l'arrivée et la descente du plongeur, dans le passage des chèvres devant la falaise, contribue à établir tout au long de ce film une sorte de grâce qui touche au sacré. Himoud Brahimi, le plongeur, accentue nettement cette tendance. Son jeu, puissant et recueilli, possède une science instructive et consommée du mime. Le cinéma et le théâtre algérien possèdent désormais avec lui un interprète de classe. Très agréable, la musique d'Iguerbouchen, inspirée du folklore nord-africain, pêcherait par un excès d'influences occidentales. Par sa tenue, sa qualité, sa signification, Les plongeurs du désert est non seulement un bon documentaire, c'est aussi une preuve et un message, signe avant-coureur d'un cinéma en puissance. Nous comprenons dès lors, quels intérêts commandent qu'une œuvre de telle qualité soit écartée des manifestations où la propagande administrative présente ses pointures. Jean Sénac (Alger, 1953) (*) Dans le document ci-dessus de Sénac, il s'agit du Français André Zwobada, réalisateur au Maroc de Noces de sable (1949), avec Himoud Brahimi parmi les acteurs principaux (note de H. Nacer-Khodja)