Cette nuit, il faisait froid dans la ville de Tizi Ouzou. Il est presque 20h au boulevard Lamali Mohamed qui longe le centre hospitalo-universitaire Nedir Mohamed, près du centre-ville. En dépit du ciel étoilé, le sol est humidifié par la rosée. Presque déserte, la rue est traversée par une brise intermittente. Des cartons, des bouteilles d'eau vides, des sachets en plastique et en papier sont emportés par le souffle d'air et jonchent sur les trottoirs. Au loin, sous un lampadaire, un homme des services d'hygiène de la municipalité est engoncé dans son imperméable jaune, portant des bottes en caoutchouc. Il ramasse à l'aide d'une pelle manuelle, sans manche et un balai les déchets laissés par les vendeurs à la sauvette dans la journée. Poussant son bac roulant, l'éboueur tempête contre l'incivisme de certains riverains mais surtout, à l'endroit de ces négociants qui répandent leurs emballages partout. « C'est le fait du manque d'éducation. Ils peuvent au moins rassembler leurs déchets dans un seul coin ! Qu'on leur place des bacs à ordures puisque de toute façon, ils ne partiront jamais. Même s'ils sont chassés, ils reviennent », dira le quinquagénaire en écrasant une bouteille d'eau vide en plastique avec ses mains nues et gercées. Les dernières voitures roulent à la hâte pour rentrer. Au même moment, au pied d'un poteau électrique face au portail du stade 1er Novembre, un groupe de jeunes, tous de capuchons vêtus, papotent en tirant sur des clopes. Apparemment, ce père de famille ne se sent pas seul, mais assure qu'il appréhende chaque passant à cette heure-ci. « Et ce, malgré la police qui patrouille. Je ne possède rien pour que des voleurs s'en prennent à moi, mais mieux vaut rester vigilant, car un drogué par exemple ne choisit pas sa victime ». Telles sont les soirées de celui qu'on dénomme improprement à Tizi Ouzou ou ailleurs « azébale ». Sur les trottoirs et dans les moindres artères, les trabendistes se sont appropriés tous les empans du boulevard et occupent la moindre ruelle. Ces marchands ne sont jamais inquiétés par la présence des services de l'ordre. Pour l'ouvrier de la voirie, ce sont des « pollueurs », mais il a de la compassion pour ces dizaines de jeunes qui ne cherchent qu'à subvenir à leurs besoins. Sur le long de l'escalier qui donne sur la sortie-est de la ville, la RN12, des étalages de produits chinois bordent toute l'allée. « On n'a pas le choix. Il n'y a pas de travail ici. On doit quand même gagner notre pain ! A Tizi Ouzou, il n'existe pas d'espace pour nous, pour qu'on puisse travailler licitement. Les plus forts ont accaparé tous les locaux destinés aux chômeurs. Et pour louer à plus de 20 000 DA, cela relève de l'impossible », justifie un commerçant qui tient un étalage de produits cosmétiques. Dans le meilleur des cas, les déchets sont brûlés et la cendre est laissée dans un coin. Chaque soir, les tables sont démontées. Les contreplaqués et les petites structures métalliques sont cachés derrière la muraille de l'hôpital et dans ce qui reste des espaces verts de la cité des Genêts, derrière les barreaux. Certains se servent même des toits des nouveaux abribus installés récemment sur les trottoirs. En fin de journée, des camionnettes, des fourgons rechargent les articles avec quiétude. D'autres, rentrent chez eux endossant de grands sacs pleins de vêtements. Les plus chanceux gardent leurs marchandises chez des amis dans des locaux. Ils laissent derrière eux toutes sortes d'emballages sans scrupule. Mais, l'homme à l'imperméable jaune repassera vers 18h.