Lors du tête-à-tête entre les deux présidents, Vladimir Poutine a clairement souhaité que les entreprises russes jouiraient en Algérie des mêmes conditions que les compagnies européennes. Prévue pour deux jours, la visite officielle du président Abdelaziz Bouteflika à Moscou a été réduite à une seule journée. Aucune explication n'a été donnée à ce brusque changement. Reste que la Russie est occupée par au moins deux dossiers : les élections présidentielles du 2 mars 2008 à l'issue desquelles Vladimir Poutine quittera le Kremlin et la crise née de la proclamation unilatérale du Kosovo. Autant dire donc que le déplacement du chef de l'Etat algérien tombe au mauvais moment. Le fait d'être reçu à l'aéroport de Vloukouvou par le vice-ministre des Affaires étrangères, Alexandre Saltanov, en est peut-être un signe. En 2006, Abdelaziz Bouteflika était allé recevoir en personne Vladimir Poutine à l'aéroport d'Alger. L'affaire des Mig 29 pèse lourd sur le climat de coopération entre les deux pays. L'Algérie, selon le quotidien Kommersant, a décidé de restituer au fournisseur le consortium Russian Aircraft Corporation (RAC, ex-Mikouyan Gourevitch) 15 chasseurs Mig 29, suite à un accord signé avec les autorités militaires algériennes. Cette livraison fait partie d'un contrat relatif à la vente de 26 avions monoplaces Mig-29SMT et de six biplaces Mig-29UB signé en mars 2006. Le journal, qui a ses entrées dans le complexe militaro-industriel russe, a cité une source de la Compagnie aéronautique unifiée (OAK) qui concentre la totalité de l'industrie aéronautique russe. Approchée hier par l'agence russe Ria Novosti, la direction de Rosoboronexport, en charge de la vente à l'étranger de matériel de guerre russe, n'a ni confirmé ni démenti l'information. « Pas de commentaires. Je peux dire seulement que le contrat n'est pas résilié », a déclaré Elena Fedorova, porte-parole du consortium RAC-Mig. « Le matériel devait être entièrement livré à l'acheteur avant fin février 2008, mais en mai 2007, l'Algérie a arrêté la réception et suspendu tous les paiements dans le cadre des contrats militaires. La Russie n'a reçu qu'un acompte de 250 millions de dollars (sur un montant de 1,3 milliard de dollars, ndlr). La condition posée pour reprendre pleinement la réalisation des autres contrats devait être le renvoi à la Russie de 15 Mig déjà livrés », a rapporté, de son côté, le journal Gazeta, dans son édition d'hier. Citant des experts, le journal note qu'en cherchant bien, on peut trouver des défauts dans n'importe quels types d'équipements, « et à plus forte raison lorsqu'il s'agit de matériel militaire aussi compliqué que les avions de chasse ». Gazeta fait parler Oleg Panteleïev, chef du service analytique de l'agence Aviaport qui estime que « si un acheteur est intéressé par un type de matériel, il trouvera en commun avec le constructeur des mécanismes en vue d'y remédier. Mais si l'acheteur cherche à provoquer une rupture et à discréditer le producteur, alors c'est une autre question ». Côté algérien, aucun responsable n'a précisé ce que reproche exactement l'Algérie à la livraison des 15 Mig 29 même s'il a été dit, ici et là, que ces chasseurs avaient déjà servi. Si arnaque il y a eu, pourquoi le ministère de la Défense algérien n'assume pas et ne le dit pas publiquement ? Et pourquoi les responsables politiques ne disent rien ? Résultat des courses : une crise pointe à l'horizon et prend des allures inquiétantes. Le premier contrat d'armement établi en 2006 entre les deux pays a été fait après la décision de Moscou d'annuler la dette de 4,7 milliards de dollars que l'Algérie devait payer. Le deal est que l'Algérie achète, pour le même montant, des produits russes. La décision de « renvoyer » les 15 Mig 29 peut remettre en cause cet accord. Ce n'est pas par hasard que l'agence Ria Novosti a fait parler un expert disant ceci : « La dette ne serait annulée que lorsque la partie algérienne aurait exécuté les contrats d'achat de produits industriels et de matériels de guerre russes. » L'expert, qui se recrute parmi l'entourage de Vladimir Poutine, sait de quoi il parle. Là, on n'est plus dans le domaine strictement militaire. Le journal Gazeta a rebondi sur l'implication de la France dans le restitution surprise par l'Algérie des chasseurs Mig. « Les spécialistes qualifient unanimement les actions de l'Algérie de politiques et voient un lien évident entre ce renvoi et l'activité intense du président français Nicolas Sarkozy. La pression politique s'accompagne de la promotion des chasseurs français Rafale », a relevé le journal. D'où la question de savoir qui a ordonné le renvoi de la marchandise à la Russie malgré l'existence de dispositions contractuelles claires ? Est-ce le président Abdelaziz Bouteflika, chef suprême des forces armées, selon la Constitution, qui a eu son mot à dire d'autant plus que les critiques contre les avions russes sont d'abord sorties de l'entourage du chef de l'Etat (comme l'a souligné Kommersant) ? De sources diplomatiques, on apprend que Abdelaziz Bouteflika aurait exigé que tous les contrats d'armement — qui en Algérie sont tenus secrets — passent par son bureau. Son exigence a-t-elle été respectée ? On est visiblement, selon les observateurs, aux portes d'un scandale qui n'a pas livré tous ses secrets. A Moscou, on craint que l'intérêt manifesté par les médias complique les négociations éventuelles avec les Algériens. Une délégation militaire menée par le général Abdelmalek Guenaïzia, ministre délégué auprès du ministre de la Défense, dont la présence dans la délégation n'a été annoncée qu'à la dernière minute, aura à « peaufiner » les aspects techniques. Mais la mésentente actuelle, qui prend l'allure d'une crise, ne sera surmontée qu'avec des gestes politiques. Une source du Kremlin a indiqué à Ria Novosti que « les négociations » entre les les deux chefs d'Etat porteront « sur l'interaction entre les deux pays dans le domaine militaire et technique ». Il s'agit bien de « négociations ». Et Gazeta a expliqué pourquoi on parle en ces termes à Moscou. « Si le contrat avec l'Algérie n'est pas appliqué intégralement, les avions trouveront d'autres acheteurs. Il y a de nombreux clients potentiels, par exemple l'Inde, le Yémen, l'Erythrée, le Soudan, l'Egypte, la Syrie ou encore la Libye. Bref, la Russie ne subira pas de pertes importantes. En revanche, la réputation de l'Algérie sera compromise, estiment les experts », a précisé Gazeta. Et il y a comme une menace dans l'air puisque le journal, qui semble bien renseigné, a indiqué qu'en cas de rupture du contrat, « la Russie pourrait rayer l'Algérie de la liste des acheteurs potentiels de matériel militaire pour de nombreuses années ». A Moscou, Bouteflika n'a pas dit grand-chose sur cette question. Hier, au Kremlin, il a eu un tête-à-tête avec son homologue russe. Le président russe a clairement souhaité que les entreprises russes jouissent en Algérie des mêmes conditions que les compagnies européennes. Selon un communiqué du Kremlin, Vladimir Poutine a rappelé que d'ici 2012 une zone de libre-échange devrait être créée entre l'Algérie et l'Union européenne (UE) et que les droits de douane étaient déjà supprimés pour certains groupes de marchandises exportées vers Algérie. « Nous ne voudrions pas (...) que nos sociétés se retrouvent dans une situation difficile sur votre marché », a-t-il déclaré en s'adressant au président algérien. Le tête-à-tête avec Poutine est le seul point important de la visite, même si, par le passé, les deux hommes se sont rencontrés six fois. L'agence Itar-Tass a rappelé que Bouteflika a visité quatre fois l'Union soviétique lorsqu'il occupait le poste de ministre des Affaires étrangères, dans les années soixante.