A première vue, l'initiative – la énième du genre – du Haut Conseil islamique (HCI) peut être interprétée comme une grossière provocation. Car traiter du « phénomène d'évangélisation » et le restreindre à la seule région de la Kabylie, comme cela a été le cas hier lors d'une conférence-débat animée par l'écrivain chercheur et ex-député FFS Mohamed Arezki Ferrad, reviendrait, une fois encore, à stigmatiser cette région, la seule décidément à « porter la croix ». Un risque que l'auguste institution que préside le tout aussi auguste cheikh Bouamrane prend sans sourciller. Dans son exposé laminaire consacré donc aux « campagnes d'évangélisation dans la patrie des Zouaoua (le qualificatif est du conférencier, ndlr) », Arezki Ferrad est revenu sur la genèse du phénomène, passant en revue les successives campagnes de christianisation depuis la nuit coloniale jusqu'au lendemain de l'indépendance. Première constatation du chantre de l'« arabisation de tamazight », A. Ferrad : « L'évangélisation de la Kabylie a échoué sous l'occupation française, malgré l'activisme et les moyens colossaux que l'administration coloniale a mis en œuvre. » L'évangélisation a par contre « pris de l'ampleur » à l'indépendance. Le conférencier s'interroge : « Est-ce parce que nos systèmes politique, éducatif, culturel, universitaire avaient échoué à faire la transition d'un Islam traditionnel vers un Islam de rationalité ? » « L'évangélisation est-elle une question relevant exclusivement de la foi ou serait-ce une affaire aux relents politiques ? » « Le phénomène d'évangélisation a-t-il un quelconque rapport avec l'exclusion de l'amazighité du champs politique et culturel ? Qui est le bénéficiaire des ces campagnes ? » Le « mythe kabyle » secrété par la culture coloniale et l'exclusion de la dimension amazighe de l'identité nationale ont renforcé, d'après l'analyste, la « prédisposition » de la Kabylie à accueillir à cœur ouvert les campagnes de christianisation. C'est grâce aux revendications culturelles et identitaires portées par la population kabyle que « les Pères Blancs ont pu redorer leur blason ». Les seuls, dit-il, à tirer profit de ces campagnes d'évangélisation sont « les autonomistes ». Ces derniers, fait-il remarquer, effectuent un véritable travail de récupération politique en jouant sur l'exclusion identitaire et en aiguisant le ressenti kabyle à l'égard de la culture arabo-musulmane. Pour l'exemple, Ferrad cite une phrase du porte-parole du MAK, Ferhat Meheni, qui qualifiait Ibn Badis de « père spirituel du terrorisme ».