Le salafisme «se développait sans inquiétude» pendant que le bruit, autour de ce qui est appelé communément «campagne d'évangélisation», devenait de plus en plus assourdissant. L'Etat veut mettre de l'ordre dans la pratique religieuse. Selon le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Yazid Zerhouni, plusieurs lieux de culte et de prière musulmans et non musulmans, sans autorisation, ont été fermés dans le pays. «Plusieurs lieux de culte et de prière musulman, chrétien ou autre, qui n'avaient pas d'autorisation ont été fermés», a indiqué M.Zerhouni à la presse, en marge de l'installation du nouveau wali de Tiaret. Le lieu et le moment choisis pour faire ces déclarations donneront du grain à moudre à plusieurs parties et pour plusieurs raisons. D'abord le lieu, Tiaret. Mardi dernier, le procureur de la République à Tiaret a requis trois ans de prison ferme contre une Algérienne convertie au christianisme et jugée pour exercice illégal d'un culte non musulman. La femme, Habiba Kouider, a été arrêtée début avril par des gendarmes sur la route reliant Tiaret et Oran en possession d'une dizaine d'exemplaires de la Bible. Le hasard (?) a fait que la secrétaire d'Etat française aux Droits de l'Homme, Rama Yade, a réagi hier à cette condamnation au moment où Yazid Zerhouni faisait sa déclaration à propos des lieux de culte. La ministre française a qualifié de «triste» et «choquant» le procès en Algérie d'une femme convertie au christianisme, disant espérer un «geste de clémence» à son égard, dans un entretien dimanche à Radio J. «C'est triste, c'est choquant, d'abord parce que cela contrevient à la Déclaration universelle des droits de l'Homme», qui proclame dans son article 18 la liberté de pensée, de conscience et de religion, a déclaré Mme Yade. «Conformément à l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et conformément à la tradition d'hospitalité de l'Algérie, je crois que ce serait bien d'avoir un geste de clémence.» Une autre coïncidence est venue se greffer à la déclaration de M.Zerhouni. Il s'agit de la démission de Mgr Henri Teissier et de la nomination par le pape Benoît XVI du nouvel archevêque à Alger, le père Ghaleb Moussa Abdallah Bader. Il y a donc trop de simultanéités dans cette affaire de culte en Algérie. Cela étant, la fermeture de ces lieux a été décidée pour des raisons claires. Ils étaient situés à l'intérieur d'appartements ou de caves d'immeubles, qui n'étaient pas déclarés ou ne disposaient pas de normes de sécurité, a-t-il poursuivi. «Nous avons fermé des "mossalate" (lieux de prière), ainsi que des lieux de culte chrétiens qui n'avaient pas d'autorisation, car les prêches étaient donnés par des gens non qualifiés ou ne remplissaient pas les conditions», a soutenu Yazid Zerhouni, ajoutant que rien ne permettait de savoir si les prêches donnés étaient religieux ou autre. La loi algérienne, a-t-il rappelé, stipule que pour exercer un culte, y compris musulman, il faut un agrément pour l'ouverture du lieu de culte et un autre agrément pour celui qui assure le prêche. Le 28 février 2006, le département des affaires religieuses de Abdallah Ghlamallah a élaboré une loi visant l'organisation du culte musulman puisqu'elle met fin aussi aux salles de prière anarchiques. La même loi stipule également que pour pratiquer un culte non musulman par un groupe, il doit s'organiser en association muni d'une autorisation préalable auprès du wali. Cette loi a soulevé un tollé international. Si bien que même les Etats-Unis ont réagi à la décision algérienne. D'après un rapport du département d'Etat américain publié au lendemain de l'adoption de cette loi, «la liberté du culte aurait régressé en Algérie, qui estime que l'ordonnance contre le prosélytisme religieux adoptée par le Parlement algérien est contraire aux engagements de notre pays». Une polémique sans précédent a commencé avec l'avènement de la loi régulant la pratique des cultes non musulmans. Les communautés chrétienne, catholique et protestante dénoncent «le zèle» avec lequel sont appliquées les dispositions de cette loi. Largement relayée par certains titres de la presse nationale, la campagne d'évangélisation a été dénoncée par des responsables politiques algériens. Dans un cas comme dans l'autre, les desseins sont flous. Car l'existence du christianisme en Algérie ne date pas de 2006 et la régulation de la pratique du culte n'est pas spécifique à l'Algérie. N'a-t-on pas entendu l'actuel président français, Nicolas Sarkozy, parler de l'Islam des caves en 2004, pour dénoncer une pratique anarchique de la religion en France? Le salafisme «se développait sans inquiétude» pendant que le bruit, autour de ce qui est appelé communément «campagne d'évangélisation», devenait de plus en plus assourdissant. Il y a une telle conjonction de phénomènes dans la société algérienne post-terrorisme qu'on ne sait plus où donner de la tête. Finalement en Algérie, y a-t-il réellement une campagne de christianisation, d'évangélisation, un retour du salafisme ou une absence de l'Etat? Il est à craindre que c'est tout cela à la fois.