Cinq jours après une escalade meurtrière, surtout dans le nord de la bande de Ghaza, l'armée israélienne, qui avait occupé un large secteur à l'est de la ville de Jabaliya, s'est retirée hier à l'aube, laissant derrière elle plus de cent vingt morts, des centaines de blessés, des dizaines de familles sans abri, des dizaines de maisons démolies, pour certaines sur les têtes de leurs occupants, des centaines d'hectares de terres agricoles dévastées, une infrastructure de base détruite. Et ce n'est pas fini, car, hier, l'aviation israélienne a mené deux raids contre le nord de ce territoire, qui ont fait deux tués palestiniens et deux blessés, a-t-on appris de source médicale palestinienne. En résumé, cette région parait avoir subi un séisme dévastateur. Malgré les douloureuses histoires vécues, les habitants de ce territoire semblaient contents de voir partir ces soldats « barbares » comme ils les qualifient, qui ont fait une intrusion dramatique dans leur vie de paisibles citoyens, au train de vie modeste, qui n'ont jamais fait de mal à personne. Abou Ibrahim, un homme de 50 ans, agriculteur, la voix étouffée, nous a raconté l'histoire de la mort de ses deux neveux, Mohamed et Faouzi. Son frère habite à moins de 15 mètres de chez lui : « C'était samedi, le premier jour de l'opération terrestre. La nuit était tombée depuis plusieurs heures, alors que l'électricité était coupée dans tout le secteur, nous avons entendu une forte explosion qui paraissait proche de la maison. Nous avons senti l'odeur de la poudre. Des cris fusaient de la maison de mon frère, malgré les tirs qui étaient très proches, je me suis précipité chez lui. Une épaisse poussière se dégageait de la maison. Tout le monde criait et sanglotait. Un obus de mortier avait transpercé le mur de la chambre où se trouvaient deux de ses fils. Ils ont été atteints dans leur sommeil, ils ne se sont plus réveillés. C'étaient des adolescents de 12 et 10 ans respectivement. Les ambulances n'ont pu pénétrer dans le secteur que le matin. De quoi étaient coupables ces enfants sans défense. Cette localité a vécu deux jours d'événements très sanglants comme jamais auparavant. Même du temps où Israël occupait directement la bande de Ghaza, nous n'avons jamais vu autant de morts. La où vous vous dirigerez, vous entendrez des histoires aussi dramatiques que la nôtre. » Imad, 28 ans, un autre citoyen nous a dit : « Pendant tout le temps, j'ai essayé d'empêcher mon épouse et mes trois enfants de s'approcher des fenêtres ou de quitter la chambre dans laquelle on s'étaient abrités. J'avais peur qu'ils voient les deux cadavres que j'ai introduits dans la maison ou qu'ils étaient, eux aussi, ciblés par les snipers israéliens qui tirent sur tout ce qui bouge. Ce n'est que ce matin que les ambulances ont pu les évacuer. Je n'ai jamais enduré des conditions aussi difficiles et je souhaite ne plus revivre une telle expérience. Je ne connais pas les deux morts. Je n'ai même pas cherché dans leurs vêtements pour savoir s'ils avaient des cartes d'identité. » Le drame vécu par ces deux citoyens est en tout point identique à celui de centaines de personnes habitant cette localité à caractère agricole. J'ai quitté cet endroit où planait, encore, l'odeur de la mort, semée dans tous les recoins par des soldats censés appartenir à l'une des armées les plus puissantes du monde. Ici, ils ont étalé tout leur savoir-faire contre des civils innocents, sans discernement, entre enfants et adultes, entre femmes et hommes. Ils tiraient sur tout ce qui était palestinien. En plus des dégâts matériels très importants que les pauvres citoyens de Ezbet Abd Rabo, située à l'est de la ville de Jabaliya, ont subi, ce sont les probables retombées psychologiques sur les enfants et les adultes qui ont accaparé ma pensée sur le chemin du retour. Il était évident que l'armée israélienne voulait faire peur à tout le monde. Terroriser. Mais vu l'intensité des combats et les pertes israéliennes, il est sûr qu'il en faut beaucoup plus pour effrayer des gens qui n'ont pas grand chose à perdre. Certains m'ont dit : « Le mort n'a plus peur d'être tué encore une fois. » « Rendez-nous nos armes » Dans le centre-ville de Ghaza, où je me suis directement dirigé, le mouvement Fatah a rassemblé des milliers de ses partisans en signe de protestation contre les crimes israéliens. Les Fathaouis assuraient qu'ils étaient une force essentielle et que personne ne pouvait les marginaliser ni les empêcher de mener le combat contre Israël. Ils ont à maintes reprises demandé qu'on leur rende leurs armes, confisquées par le Hamas suite au coup de force de juin 2007. les Hamsaouis, qui étaient sortis manifester leur joie et fêter ce qu'ils ont qualifié de victoire contre l'armée israélienne, ne se sont pas mêlés aux Fathaouis. Chaque parcours des manifestants des deux camps, à l'image de leurs politiques, avait une direction opposée. Ahmad, un jeune Fathaoui de 22 ans dont la voix était presque éteinte, tellement il criait fort nous a déclaré : « Le mouvement Fatah a toujours été leader dans sa lutte pour les droits du peuple. Nous ne permettons à personne de nous mettre sur la touche. Il faut qu'il nous rendent nos armes, nous aussi nous sommes des militants prêts à mourir pour la cause palestinienne. » Quant aux dirigeants israéliens, leurs déclarations ne laissent aucun doute sur leur volonté de poursuivre les crimes contre la population palestinienne où qu'elle soit. Le message est clair. Il est donc temps pour les Palestiniens, au Hamas en premier lieu – car coupable de putsch armé contre l'Autorité palestinienne dans la bande de ghaza durant l'été dernier – de remettre les pendules à l'heure et de tout faire pour une réconciliation nationale.