Plusieurs associations militent pour le droit des femmes détenues à l'allaitement. Une revendication qui s'inscrit aussi dans la convention des Nations unies sur les droits de l'enfant. Aujourd'hui, c'est la journée mondiale de la femme. Plusieurs associations, militant pour la cause féminine et les droits de l'enfant de Annaba, ont saisi cette occasion pour appeler à l'ouverture d'un débat à différents niveaux institutionnels autour du très délicat dossier de la population carcérale féminine. Ces militants souhaiteraient que ce débat puisse toucher en particulier les femmes mères, détenues, et leur droit aux heures d'allaitement. Pour cause, sur plus d'une trentaine de femmes purgeant leur peine, ou en attente de jugement au niveau des établissements pénitentiaires de la wilaya, près d'une dizaine d'entre elles souffrent de cet obstacle. C'est ce que confirme Mme Bakli de Association des femmes algériennes pour le développement (Afad), faisant savoir que des parents de détenues l'ont approchée, à l'effet d'étudier la possibilité de permettre à des mères incarcérées de bénéficier d'heures pour allaiter leurs bébés. « Nous avons été contactés par des proches de détenues, mères de nourrissons, pour qu'elles puissent allaiter ceux-ci à l'extérieur de la prison, car l'allaitement à l'intérieur nécessiterait des procédures trop lentes, souvent vaines, que doit effectuer l'accompagnateur du bébé », a-t-elle indiqué. Interrogé à ce propos, Me Yamouna Mérabti, présidente de l'association des droits de l'enfant (Aden), précisera : « La législation algérienne ne prévoit rien en la matière. Le juge peut décider à titre humanitaire. En plus, il y a le substitut de l'allaitement maternel qui est le biberon. Un vide juridique fortement décrié En tant qu'association des droits de l'enfant, nous allons œuvrer pour inciter les instances judiciaires et politiques à ouvrir un débat autour de la question ». Selon l'avocate, ce dossier ouvre droit à un débat à tous les niveaux, afin de se rapprocher au maximum de la convention des Nations unies du 20/11/1989 sur les droits de l'enfant. Elle dira à ce propos : « Il y a quelques années, la maman d'un enfant de deux ans purgeait une peine de plusieurs mois pour adultère. Sa famille avait refusé de prendre en charge l'enfant. Nous avions alors entamé des procédures pour le placer dans une famille d'accueil en attendant la libération de la mère. Le juge de l'époque était très clément et avait donné son accord. La détenue s'était, en dernière minute, rétractée et avait préféré garder l'enfant près d'elle pour lui tenir compagnie. Mais elle n'avait pas mesuré les effets psychologiques de l'enfermement sur son enfant ». Dans ce contexte, plusieurs psychologues contactés ont affirmé, à l'unanimité, que si un enfant est gardé par sa mère en prison, il doit être logé avec elle dans des locaux distincts de ceux des autres détenues, car, il doit évoluer dans un environnement lui permettant les simulations sensorielles et la plus grande liberté de mouvements possible. Or, l'exiguïté extrême de nos établissements carcéraux est un handicap majeur pour réunir toutes ces conditions. Il y a également le cas des femmes qui se retrouvent en prison durant leur grossesse, risquant l'accouchement à même les lieux, où l'enfant ouvre les yeux dans un environnement empreint de brutalité. Mais, généralement elles accouchent à l'hôpital sous surveillance policière. En cas de refus des proches de la détenue d'accueillir l'enfant, il ira en prison avec la maman. En Algérie, aucun texte de loi n'oblige la mère de se séparer de son bébé, le choix revient à celle-ci ; précise Me Mérabti. D'autres hommes et femmes de loi appellent, par ailleurs, le législateur à se pencher sérieusement sur la question, vu son importance. Le vide juridique, dans notre pays, est fortement décrié par tous nos interlocuteurs juristes, qui n'ont pas manqué de faire allusion à ce qui est de mise ailleurs. A ce sujet, Me Mounia Mamine du barreau de Annaba expliquera :« En France, par exemple, avec son modèle dont s'est inspirée une grande partie de la législation algérienne, la limite d'âge pour le maintien de l'enfant en prison est fixée à 18 mois, mais, pouvant être prolongée si la mère le demande, sur décision du ministre de la Justice et avis d'une commission consultative. Parfois, des mamans de nouveaux-nés sont libérées sous conditions spéciales. En Allemagne, la présence de l'enfant avec la mère n est possible jusqu'à 6 ans. En Amérique, l'enfant est automatiquement enlevé à sa maman dès incarcération de celle-ci ». Me Adli B., du barreau de Souk Ahras a abondé dans le même sens, disant : « En Belgique, le maximum est fixé à 24 mois, mais l'accent est mis sur l'aménagement du lieu de vie, la nuance des peines et la responsabilisation des mères. Par contre, en Hollande, les juges recherchent plutôt les peines alternatives : détention semi-ouverte, assignation à résidence, peines de réparation, travaux d'utilité publique. La tolérance de la justice hollandaise est décriée par ses voisins de l'UE ». Une réflexion scientifique autour de ce sujet serait plus que pertinente, estime de son côté, Dr H. Harkati, pédopsychiatre. Selon elle, plusieurs questions restent posées, tant au niveau national qu'international : quel stade de développement l'enfant doit-il atteindre avant de supporter une séparation d'avec sa mère ? La séparation totale est-elle souhaitable, ou au contraire, va-t-elle compromettre le développement ultérieur ? Le contact de l'enfant avec le milieu carcéral compromet-il son évolution ? Si oui, comment diminuer les effets inhibiteurs du milieu carcéral sur son développement ? Et Me Mérabti de conclure : « Je serai curieuse, en tant que mère et membre de l'association des droits de l'enfant, de savoir combien de ces mamans se rendent compte de ce qu'elles font subir à leur progéniture. Même si cette dernière est protégée à l'intérieur des prisons, est-elle aussi heureuse et épanouie que la nôtre ? » Pour elle, il n'y a pas de solution idéale. D'un côté, l'enfant ne doit pas rester enfermé, de l'autre, la présence et l'amour d'une maman sont irremplaçables.