L'envoyée spéciale des Nations Unies dit s'intéresser au statut de la femme algérienne, et plus particulièrement aux violences dont elles souffrent. Après avoir rencontré, durant les trois premiers jours de sa visite en Algérie, des membres du gouvernement dont son hôte, la ministre déléguée chargée de la Famille, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes, Mme Yakin Ertürk, a entendu, mardi en fin d'après-midi, au Centre d'information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes (Ciddef), la version de 13 associations, investies dans la défense des droits des femmes. Des représentantes du Ciddef, du Réseau Wassila, de RAFD, de Djazaïrouna, de Femmes en communication, du Collectif femmes du MDS et de l'UGTA, ainsi que de Bnet Fadhma n'Soumer se sont relayées pour apporter leurs témoignages sur la réalité du vécu de l'Algérienne et contredire, par là même, les thèses des autorités nationales sur la prise en charge effective des victimes des violences conjugales ou autres et sur la promotion des droits féminins. Avant de donner la parole à ses interlocutrices, Mme Ertürk a précisé que sa visite était programmée pour le mois de janvier 2006, mais que le gouvernement algérien l'a reportée pour diverses raisons. Elle a dit s'intéresser au statut de la femme algérienne, avec un accent particulier sur les formes de violences qu'elle subit. Tour à tour, les animatrices du mouvement associatif féminin ont tenté de redessiner les contours d'une situation assez complexe. Soumia Salhi, de la commission femmes de l'UGTA, a évoqué le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Elle a affirmé que les victimes éprouvent beaucoup de difficultés et de contraintes à dénoncer leurs bourreaux, malgré le fait que l'acte lui-même a été criminalisé par un article introduit récemment dans le code pénal. Le viol, par contre, n'est pas encore clairement qualifié dans les lois algériennes. Les victimes des violences sexuelles ne sont donc pas reconnues en tant que telles, soulignent les militantes de la cause féminine, présentes hier au Ciddef. L'affaire des femmes violentées à Hassi-Messaoud est citée en exemple. Naturellement, elles ont, à l'unanimité, relevé que la Constitution institue, sans ambiguïté, l'égalité entre les deux sexes. Un droit dénié par certains articles du code de la famille. Mme Yakin Ertürk a alors rétorqué que les nouvelles dispositions de la loi de 1984 et du code de la nationalité, en février 2006, sont pourtant perçues de manière positive par les institutions internationales. Leurs interlocutrices lui ont répondu que des amendements intéressants ont été certes apportés au code de la famille. Mais ils ne sont pas appliqués dans la réalité. D'autre part, les dispositions litigieuses, telles que la polygamie et le tutorat imposé aux femmes au-delà de leur majorité, sont maintenues en état. “Le code de la famille révisé n'a pas amélioré la situation de la femme algérienne. Il faut qu'il soit purement et simplement abrogé”, revendique-t-on. Les porte-parole des associations féminines ont rappelé que l'Etat algérien a ratifié la Convention internationale sur l'abolition de toute forme de discrimination à l'encontre des femmes, mais avec des réserves. “C'est inconstitutionnel. Malheureusement, nous n'avons pas qualité de saisir le Conseil constitutionnel, à ce propos”, a indiqué un membre de RAFD. Chérifa Kheddar, présidente de Djazaïrouna, a parlé du certificat de virginité, exigé à la future mariée, par des agents de l'administration communale, notamment à Blida et Chlef. “Pourtant, le gouvernement a clairement instruit de ne demander aux futurs époux que le bilan médical, tel que le stipule un article du code de la famille”, a-t-elle reconnu. Elle a dénoncé aussi le refus des autorités municipales d'inscrire à l'état civil des bébés nés moins de six mois après l'enregistrement du mariage de leurs parents. Plusieurs intervenantes ont exposé les contraintes financières auxquelles sont confrontées les associations défendant la cause féminine, non agréées pour la majorité. “Nous ne recevons pas de subventions de l'Etat. Nous comptons sur des dons d'institutions étrangères. La loi interdit le financement extérieur, sauf autorisation du ministère de l'Intérieur que nous n'avons jamais”, regrette-t-on. “Pourtant, nos charges sont importantes. Nous avons des difficultés à payer nos factures et à assurer le fonctionnement régulier des centres d'écoute”, a affirmé Rafika Medjahed. Une déléguée de l'association Bnet Fadhma n'Soumer a souligné le fait qu'on a l'impression que la violence contre les Algériennes a augmenté, ces dernières années, alors qu'elle est tout simplement davantage dénoncée. Une autre militante a soutenu que finalement la pauvreté et l'analphabétisme sont les grandes causes, aux côtés du machisme des Algériens, de la précarité de la situation des femmes dans notre pays. La rapporteuse spéciale des Nations unies s'est enquise, auprès de ses hôtes, de leur appréciation sur la stratégie nationale de lutte contre la violence contre les femmes, qui sera mise en œuvre par le ministère délégué chargé de la Famille, au début du mois de février prochain. Les avis ont été partagés. Les unes ont affirmé qu'elles n'ont pas été associées à l'élaboration du projet, et qu'elles n'en avaient pas beaucoup d'espoir. D'autres ont préféré attendre l'application de la démarche sur le terrain pour la juger. Mme Yakin Ertürk recueillera ce vendredi, dans la région de la Mitidja, les témoignages des victimes du terrorisme, des femmes vivant dans la misère et des militantes pour les droits humains. Souhila Hammadi