Dans un colloque qui s'est tenu du 22 au 24 novembre dernier à l'université Badji Mokhtar de Annaba, des scientifiques des deux rives de la Méditerranée ont élevé la région de Annaba - El Kala au rang de capitale méditerranéenne de l'écologie animale. 135 chercheurs, dont une quinzaine d'Européens et une vingtaine venue des pays du Maghreb, ont comparé avec leurs homologues de différentes universités du pays les travaux en écologie animale et environnement menés depuis plus de vingt ans autour du bassin occidental de la Méditerranée. Pendant trois jours, on a parlé de l'adaptation des animaux aux changements de leur environnement provoqués par l'homme. On a passé en revue l'inventaire des ressources biologiques et on a tenté de mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes de nos régions à travers l'étude des populations animales et végétales. Les changements sont rapides et les perturbations qu'ils provoquent amènent des réponses adaptatives, la régression et la disparition comme c'est plus souvent le cas ou la mise en place de conditions favorables à un foisonnement dont les conséquences sont imprévisibles, notamment sur la santé avec l'apparition de nouvelles pathologies. On a également mis en évidence, une fois de plus dirons-nous, la vulnérabilité des écosystèmes méditerranéens en soulignant qu'ils sont menacés tout autant par le développement industriel poussé à son paroxysme que par le sous-développement chronique. Pour le premier cas, Yassine Chabbi, chef du département biologie de Annaba, cite le cas très particulier de la Caulerpa taxifolia, l'algue tueuse des tropiques, la peste verte des fonds marins, introduite en Europe pour agrémenter les aquariums et qui se répand, au détriment des herbiers de Posidonies, à une vitesse effarante propagée de port en port par les plaisanciers. Aux dernières nouvelles, elle a traversé la Méditerranée pour s'implanter autour de Sousse (Tunisie) dans les eaux plus chaudes de la rive sud propices à son extension rapide. A l'opposé, constate Slim Benyacoub, professeur en écologie, des populations en pleine croissance, aux besoins économiques et sociaux immenses, placées face à des pouvoirs publics impuissants parce qu'omnipotents, dilapident à un rythme exponentiel des ressources naturelles irremplaçables. Le simple bon sens suffirait à inverser cette tendance désastreuse. C'est à la faveur de sa situation privilégiée, à l'extrême sud de Paléarctique occidental, région biogéographique qui s'étend de la Scandinavie à l'Afrique du Nord, que l'Algérie est un terrain exceptionnel pour la compréhension du fonctionnement des écosystèmes méditerranéens. La variété des milieux naturels dans le nord-est du pays offre pour sa part et par son impressionnante diversité biologique une zone d'investigation de prédilection pour les naturalistes. Il est le centre le plus important de la Méditerranée occidentale pour sa diversité biologique. C'est probablement pour cette raison qu'à l'échelle du Maghreb Annaba a été reconnue comme étant largement en tête des travaux de recherche en écologie animale menés depuis une vingtaine d'années.Mais là encore, il faut tempérer ce cocorico national car, dans le même laps de temps, les espaces et les espèces naturels de cette région ont connu un recul comme jamais encore dans le cours de son évolution récente, quelques centaines de milliers d'années. Cet inestimable patrimoine de la connaissance universelle se délite, s'effrite et disparaît à vue d'œil et à l'échelle d'une seule génération - il n'y a qu'à observer la régression drastique des forêts et prendre acte de la disparition définitive du cerf de Barbarie, pour ne citer que le plus célèbre des mammifères. L'utilisation irrationnelle, pour ne pas dire le gaspillage pur et simple, des ressources naturelles comme la couverture végétale, l'eau ou les espaces, au profit, nous assène-t-on, du « développement des populations locales » toujours oppressées par le chômage et la pauvreté, a irrémédiablement hypothéqué les innombrables atouts économiques, sociaux, culturels et scientifiques comme le confirment les participants du colloque. La « mise en défense » théorique de ce territoire par un chapelet de textes, de programmes, de projets ou de politiques, et la création il y a vingt ans du Parc national d'El Kala sur 80 000 ha dont la vocation première est de tout mettre en œuvre pour l'investigation scientifique, n'ont pas réussi à marquer la différence avec les autres régions du pays frappées par le même fléau. Défrichements des forêts et des maquis pour de nouvelles parcelles agricoles qui ne trouvent pas preneur, défoncements agricoles sans lendemain pour des projets en friche, réduction des aires naturelles pour favoriser l'élevage extensif d'un troupeau qui fuit par les frontières, l'avancée du béton par l'explosion des agglomérations et l'extension des zones éparses jusque dans les secteurs les plus « sauvages », c'est le lot quotidien du développement rural et local. Contrairement à l'idée répandue, ce n'est pas uniquement l'œuvre des populations vouées à elles-mêmes par carence délibérée de l'autorité. Le plus souvent, ce sont les pouvoirs publics qui donnent le plus mauvais exemple en ignorant tout simplement les textes qui contrecarrent leurs projets « visibles », mais qui assurent à court terme une carrière politique ou une rapide promotion.