Le Palais de la culture accueille depuis une semaine une exposition consacrée à Béjaïa et à sa région en tant que centre de transmission du savoir. Elle est organisée par le ministère de la Culture et le Centre National de Recherche Préhistoriques Anthropologique et Historiques (CNRPAH) et porte le cachet de la manifestation Alger, capitale de la culture arabe. Si l'on en croit certains détails, l'événement devait être présenté l'année dernière, puisque 2007 marquait le millénaire de la fondation de la Qalaâ des Beni Hammade (1007-2007). Mais sa préparation a probablement pris plus de temps que prévu. C'est que l'exposition a la lourde tâche de raconter Béjaïa et sa région en traversant l'histoire pour mettre en relief les grandes figures qui ont transité par ce centre ou qui y sont né et qui ont en fait un carrefour incontournable et incontestable du savoir et de sa transmission, depuis la préhistoire jusqu'au XIXe siècle. Cette même ville d'où les chiffres arabes ont été propulsés vers l'Europe. Béjaïa doit se révéler à travers différents supports : murs d'images, films documentaires et présentations d'objets et suivre un cheminement thématique précis. D'abord, l'abri sous-roche préhistorique d'Afalou Bou Rmel où plusieurs campagnes de fouilles ont permis la découverte d'une nécropole, de figurines zoomorphes et d'objets d'art figuratifs en terre cuite datant de plus de 15 000 ans… Puis, l'aqueduc de Saldae (Toudja) conçu par le librator (ingénieur militaire) Nonius Datus. Un monument mondialement connu qui a fournit une précieuse documentation épigraphique et dont on présentera les méthodes de calcul utilisées par son concepteur. Autre point, les traditions d'enseignement de la Qalaâ des Beni Hammade, première capitale du royaume des Hammadites qui a permis au Maghreb central de sortir de son isolement et de devenir plus tard un passage obligatoire du savoir et sa transmission. Ensuite, le milieu scientifique de la ville qui sera présenté à travers plusieurs savants : Qutb Sidi Boumedienne et son école, le métaphysicien Ibn Arabi et sa célèbre vision à Béjaïa, l'algébriste Al Qurashi et sa méthode en science des héritages, le philosophe Ibn Sabin et ses réponses aux questions siciliennes de l'empereur Frederick II, le géographe Al Idrisi, la carte mondiale et les plantes « utiles en médecine » du Gouraya et le médecin Ibn Andras à Béjaïa. Un autre point particulièrement important : la popularisation des chiffres arabe en Europe à travers Leonardo Fibonacci qui a étudié le système de numération, les méthodes de calcul et les techniques commerciales auprès d'un maître admirable, ce qui va propulser les mathématique outre-mer. L'exposition se penche également sur le philosophe catalan Raymond Lulle à Béjaïa (1307) et ses célèbres Disputes. A travers ce mot, il faut comprendre dialogue inter-religieux. Il en reste une seule trace : La disputatio, un livre qui révèle la seule discussion méthodique de Lulle avec des savants musulmans, dont il reste un compte rendu. Le septième point de l'exposition concerne l'école de jurisprudence de la ville et le renouveau du fiqh au Maghreb entre le 13e et le 14e siècle ; alors que le huitième est dédié à Ibn Khaldoun. Autre détail et non des moindres, les voyageurs dont il faut citer Léon l'Africain, Ibn Battuta et L'Hucine Al Wartilani qui ont laissés des écrits sur la ville. Ensuite, la Zawiyya - Institut de Chellata et le traité d'astronomie d'Ash Shellati, fondée au début du XVIIIe siècle et qui deviendra « l'un des centres religieux et scientifique les plus renommés de l'Afrique septentrionale ». Et la bibliothèque de manuscrits au fin fond de la Kabylie qui compte un grand nombre d'ouvrages en tous genres et de différentes époques. Certains sont très rares, voire même uniques, et traitent de voyage, d'éducation sexuelle, de droit… Selon les spécialistes, les plus importants ce sont les écrits en berbère et les traités de mathématiques. Enfin, les deux derniers points de l'exposition : la silsila des cheikhs Ameziane et Aziz Aheddad à travers les Idjaza (diplôme d'autorité) et les manuscrits de langue berbère qui proviennent de collections privées et de différentes Khizanas. Vue sous ses treize points, l'exposition semble être un pari gagnant, mais il faut bien l'avouer, une grande thématique ne suffit pas à elle seule. C'est que, une fois sur place, on risque une grosse déception. D'abord, la scénographie n'a rien de grandiose, du moins, n'est-elle pas à la hauteur de nos attentes. En fait, l'exposition se résume à de grands panneaux explicatifs et des objets en vitrine. Des objets rares et précieux de part leur origine et époque mais peut être mal exploité. Les bordures des vitrines en métal gênent le regard, de même que certains objets ne sont pas à la bonne hauteur. Et il s'agit là des pièces de monnaie. L'idée de les exposer derrière des loupes est excellente, mais fallait-il encore les surélever pour que le visiteur ne soit pas obligé de se courber par les observer. Autre petite déception : les manuscrits. Non pas qu'ils soient inintéressants, loin de là mais plutôt insuffisants. Nous nous attendions d'abord à plus d'ouvrages et surtout à plus d'explications et de références pour chacun d'eux. Autres détails : le sens de la visite. Rien n'est indiqué à ce propos à l'entrée. On ignore par quel côté commencer la visite… rien n'est indiqué. Pour certains, démarrer par la droite est de rigueur, pour d'autres, on se doit de suivre le sens des aiguilles d'une montre. Au final, la première option est la plus indiquée. Et le plafond. Entièrement sculpté et orné de lustres pendants, est en totale contradiction avec la thématique de cette exposition, d'autant qu'il est impossible de le remarquer, les panneaux explicatifs sont accrochés à sa base. Peut-être qu'un lieu plus neutre aurait été plus approprié pour exposer des objets aussi anciens, malgré la simplicité de la mise en scène. Sans mauvaise foi aucune, Béjaïa centre de transmission du savoir aurait pu être une grande exposition, si elle avait été conçue autrement. On en ressort avec une impression d'inachevé et on reste un peu sur sa faim. A son annonce, on espérait fortement voir des classes d'écoles défiler au Palais de la culture durant les vacances de printemps qui débutent ce week-end. Mais même si les parents et les chefs d'établissement faisaient des efforts, les enfants ont peu de chance d'être captivés par cette exposition. Les adultes auront peut-être plus de chance. Espérons seulement que la direction des lieux se décidera à aménager des horaires d'ouverture y compris pour la matinée et surtout à les rendre publics et affichés. La transmission du savoir demande de la transmission. *Béjaïa centre de transmission des savoirs. Palais de la Culture M. Z., salle Baya. Depuis le 6 mars 2008.