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Nos reporters ont assisté à une opération de recherche de la marine
À la poursuite des harraga
Publié dans El Watan le 13 - 03 - 2008

Neuf jours d'attente. « Echargui », les vents puissants du Nord-Est fortement craints par la communauté des « bahria » (marins), tombe, et c'est le vent de l'Ouest qui prend le relais et qui, de l'Atlantique, s'engouffre par le détroit de Gibraltar, apportant avec lui la manne nourricière, des bancs infinis de poissons. Les pêcheurs, impatients, car laissés en rade des jours et des nuits durant, quittèrent les premiers, en ce début de soirée du mardi 20 février, le port de pêche d'Oran.
Après plus d'une semaine d'angoisse météorologique, il était temps. La mer est « calma », plate. « Ezit », une mare d'huile. Rien à voir avec celle qu'elle était pourtant la veille, déchaînée, hystérique. Aussi, il était temps pour nous d'embarquer, comme nous le commandait notre feuille de route, avec les gardes-côtes. En mer, nous aurons probablement meilleure connaissance du dispositif des forces navales, en vigueur depuis trois ans, à l'effet « d'endiguement » du phénomène « harraga », avec en prime, peut-être, une éventuelle rencontre avec les harraga eux-mêmes. « Pas de BMS aujourd'hui (bulletin météo spécial) », nous dit, sur le quai d'embarquement, le commandant Abdelwahab, du commandement des forces navales de la Façade maritime ouest, pour nous rassurer. « Vous aurez peut-être la chance de les croiser en mer », nous lance un autre officier du groupement des gardes-côtes. Les marins, tout comme nous et les harraga, ont passé ces derniers jours à scruter le ciel, la grande bleue et à renifler la queue des vents. Une véritable « obsession ».
Les renifleurs de vent
« Ils viennent souvent consulter les prévisions météo sur internet. Les moins initiés me demandent de l'aide pour savoir le temps qu'il fera en mer, le vent, la température, etc. Informations sommaires certes, mais disponibles sur les grands moteurs de recherche, Google, Yahoo, etc. », nous racontait, la veille, Abdelkrim, patron d'un cybercafé à Guarguentta, dans le cœur populaire d'Oran. S'assurer des bonnes conditions météo s'est s'assurer 50% des chances de réussite et de survie. « Ce qu'ignorent en revanche les harraga, se désole un officier du Centre de recherche et de sauvetage de la marine nationale (CROS), c'est que la Méditerranée, comme toutes les mers fermées, est changeante, imprévisible. En deux, trois heures, la mer peut passer de calme à très agitée », expliquait-il. Il est 17h30. Le Corse, navire passager français, quittait, lui aussi, précipitamment la gare maritime après avoir « libéré » ses passagers de leur mal de mer et... du pays. Il se fait néanmoins ravir la vedette par moins colosse que lui. Devant, sardiniers, chalutiers, glisseurs, floukate de misère ont déjà pris le large. Au large n'apparaissent désormais que les lumières mourantes des bateaux qui s'éloignent. Notre « traque » absurde des harraga, « anciens ou futurs », menée une semaine durant à travers les villes côtières de l'ouest d'Oran, Bouzedjar, Beni Saf, Zouanif, Madagh..., là où le phénomène a vraiment pris naissance en 2005, prend fin. Avec un goût d'inachevé. Une obsession : à quoi peut bien ressembler un Algérien harrag en pleine mer, dans l'exercice de ses fonctions ? Nous ne tarderons pas à le savoir. Après une nuit glaciale passée à boire du thé et à patrouiller désespérément le long d'une ligne de plus de 100 km du nord de Mostaganem à l'ouest de Beni Saf, jusqu'à 45 km des côtes espagnoles, Essahir, le navire du capitaine Abdelaziz, qui fait partie du lourd dispositif, qualifié d'« humanitaire » par le commandant Laroussi de la police maritime, s'apprête maintenant à rejoindre à plein gaz, cap au Sud-Est, au large de la baie d'Oran, un autre navire du même type, Al Bariz, commandé par le capitaine Ben Houa. Il est 11h. Al Bariz vient d'intercepter une embarcation de harraga. Arrivés au point de rencontre, nous sommes invités par radio à aborder illico presto l'autre navire. Notre cynique « pêche au harraga » s'est, hélas, révélée porteuse. Ils étaient dix, dix à tenter, en cette matinée du mercredi, le diable et Cabo de Gata, le célèbre rocher situé au nord-est de la plage d'Almeria. Carthagène comme Alméria sont les villes espagnoles les plus proches de la côte ouest algérienne, situées à moins de 170 km d'Oran. Beaucoup plus proches qu'Alger, loin de 500 km. Les harraga ont appareillé d'Arzew à 2h, à bord d'un « botté », glisseur de 4,50 m propulsé par un moteur de 30 CV. Entassés dans le rafiot, interdits de mouvements, ils ont en 7h de navigation, face au vent, avalé près de la moitié des 80 milles marins qui les séparent de leur rêve ibérique. Certains y mettent plus de 14h, d'autres moins que cela. Beaucoup font naufrage en haute mer ou partent à la dérive à cause de pannes sèches de moteur, du GPS. Pour s'éviter ces périlleuses situations, les harraga s'équipent. Un moteur de rechange, une boussole pour vérifier le cap et corriger les trajectoires, des lampes torches et des miroirs pour les signaux de détresse, des ballons de foot ou chambres à air remplaçant en cas de pépins les gilets de sauvetage, etc. Une génération de harraga « sophistiqués », en somme. La « 4 G », comme aime-t-on à la présenter à Oran.
Douche froide dans les eaux de la méditerranée
Pour couper l'élan aux « fugitifs » du quartier Plateau, dans le vieil Arzew, l'unité de combat des gardes-côtes a dû user de la manière forte. Voyant que ni les coups de sommation ni les appels à couper le moteur ne font obtempérer les harraga, le commandant du patrouilleur prend la décision de les faire chavirer, mettant ainsi fin à une demi-heure de course poursuite. Ils se font cueillir gentiment à bord, où ils recevront tous les égards qu'on doit aux naufragés : douche, boissons chaudes, couvertures, premiers soins, etc. Pour les rejoindre, nous quittons notre « vedette » pour une autre, plus « chanceuse », car elle tient dans son ventre chauffé par de puissantes turbines allemandes des compatriotes fuyant, comme la peste, sur une coquille de noix, leur pays. Une courte et valseuse échelle nous fait grimper du zodiaque d'abordage au premier pont d'Al Bariz, puis une autre nous fait descendre en nous comprimant les côtes, un étage au-dessous, dans la gueule de cette étrange et nouvelle espèce d'Algériens : les « harraga ». Mais (que) sont-ils au juste : sont-ce ces silhouettes fuyantes et tremblantes qui se barricadent, apeurées, mortes de rage et d'humiliation derrière des couvertures prêtées par l'équipage d'Al Bariz ? Sont-ce les harraga qui font trembler d'inquiétude Etat et opinion ? Des corps chétifs, décharnés par le désespoir, des corps de guépard usés par les courses inutiles, calés au fond du navire. Une voix sortie d'une couverture, la voix de Kada, nous remet, sans qu'on ait rien demandé, les pendules à l'heure : « Ih hena harguine, haraguine mine El Jazaïr, matehnache men el kemmar, ma kherjenache men Indounissia (oui, nous sommes des harraga, des Algériens. Nous ne sommes pas tombés de la lune, ni venus d'Indonésie, nous sommes tous Algériens et tous savons pourquoi nous en sommes arrivés là) ». « Bayane aâlah, bayenne wech jabna lehena », nous dit-il, pressé de finir sa phrase, et d'en finir avec un échange qui n'a pas encore commencé. L'interception à mi-chemin, à mi-rêve, la douche froide dans les eaux de la Méditerranée, la honte et la presse en bouquet sont autant de séquences infernales que même les plus costauds des harraga arrivent mal à gérer. « Vous, d'accord. Parce que vous dites que c'est votre boulot que de nous empêcher de partir, mais ‘‘essahafa aalah'' ? (la presse, pourquoi faire ?) », crie, de son coin, Houari, à l'adresse du commandant Laroussi. Celui-ci les rassure tant bien que mal. Leur « volonté » et leurs « droits » seront respectés. « Vous êtes libres. Si cela ne vous dit rien de causer à la presse ou de vous faire prendre en photo, personne ne vous y obligera. Mais sachez qu'ils (les journalistes) sont là comme intermédiaires entre vous et les autorités civiles », lui répond l'officier supérieur. Sur ce, tout le monde se calme et les couvertures tombent, laissant apparaître les torses nus, les regards de bêtes traquées et une insondable détresse.
L'Espagne, l'Ultima Esperenza des harraga
La sympathique grande gueule de Kada se lance la première dans la chikaya. Ses copains du « botté-break » anticipent avec des rires étouffés, la vanne qui sera expulsée d'un moment à l'autre. « Vous ne m'aurez pas la prochaine fois, s'adresse-t-il au commandant de bord. Necheri teyara ounahrague (s'il le faut, je m'achèterai un avion et je partirai). » Tous éclatent de rire. Petit vendeur de fruits et légumes au marché de la Bastille, Kada gagne à peine 500 DA par jour de chance. « Machi denia (ce n'est pas une vie pour un jeune de 30 ans). Les flics, quand ils me choppent, me tabassent d'abord, saisissent ma marchandise ensuite et me laissent filer avec un brossi sur la tête (une amende) de 1500 DA. Goul ! (dis). Elle n'est pas belle la justice de chez nous. On m'en veut à moi, un guelil, tandis que d'autres ont la chance que je n'ai pas : travailler toute la vie, cumuler les retraites et les emplois. A Arzew, on n'a rien pour nous. Ils viennent de partout rafler au plus grand complexe gazier d'Algérie des boulots, alors que nous ne savons même pas à quoi l'usine ressemble. » Abdellatif, le visage dévoré par une barbe d'un « akhina » B. C. B. G. et par l'angoisse du retour à la case départ, se lâche lui aussi. Licencié en sciences islamiques, il dit travailler au service de l'état civil de la commune… pour 7000 DA le mois ! Deux mois qu'il n'a pas été payé. « Neruh ya ben aâmi, nehrag, nedir l'avenir fi Espania kima esshabi (je pars pardi. Mon avenir, je le construirai ailleurs, en Espagne). » Ultima Esperenza, l'Espagne est sur toutes les lèvres. Une terra nueva habitée par les seuls esprits « harraga ». Homme à tout faire, « fi koul sbâa herfa », un métier pour chaque doigt, Abedelbaki, la trentaine bien entamée, est le plus amer d'entre ses copains. « Nous avons tout mis dans ce ‘‘botté''. Neuf millions chacun. Toutes nos économies. Et on se fait cueillir bêtement. Mais Ouallah, par Dieu, et si Dieu le veut, je ne renoncerai pas. Je vendrai tout : le démo, la télé, El Guessaâ (parabole), mes Adidas, et si besoin, la chaîne en or de ma mère, mais je repartirai », jure-t-il dans son coin. « Si seulement j'ai crevé. ç'aurait mieux valu pour moi et pour ma pauvre mère », soupire le petit Omar. La séance de déballage, aux couleurs du tragicomique, se poursuivra ainsi jusqu'à l'entrée au port d'Oran. Mais avant de livrer sa précieuse cargaison aux autorités judiciaires — qui n'en feront qu'une bouchée —, Al Bariz se doit d'attendre les caméras de l'Entv. Kada lance une dernière bouteille à la mer, un rappel de promesse au Président : « Vous avez promis aux jeunes de tourner la page, alors faites-le ! » Il est 14h. Les « bêtes de cirque » sont sous les feux des projecteurs. Sur le quai, la presse, les militaires, le Samu et une nuée de curieux font le pied de grue. Un « classique » des fins de sauvetage ou d'interception. Les harraga sortent des entrailles du navire, en file indienne, groggy, l'échine brisée, ou presque. Mais ce n'est probablement là que partie remise. Une semaine après, 25 harraga de Mostaganem, à bords de trois embarcations, réussissent à passer à travers les mailles du filet.


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