Condamnée à la fois par la société et par l'Etat à occuper une place de second plan dans une hiérarchisation des sexes érigée en pacte entre un pouvoir fermé et une société laminée, la femme algérienne est seul protagoniste d'un combat pour affirmer son statut naturel d'égale de l'homme. Dans ce contexte de quête d'une place usurpée au nom d'un conservatisme aliéné et d'un autoritarisme vicieux, la situation de la femme algérienne a été au centre des Débats d'El Watan de jeudi dernier sous le thème « La condition de la femme à l'épreuve de la hiérarchie des sexes ». Quatre grandes dames de la communauté scientifique et du mouvement féministe ont été conviées à disséquer la réalité algérienne sous les maux de la femme. Dalila Iamarène Djerbal, Fatma Oussedik, Boutheina Cheriet et Wassyla Tamzali ont tour à tour dénudé ce voile que des esprits obscurcis ont cousu dans des matériaux juridiques de domination et jeté sur la moitié de la société algérienne dans l'objectif de l'empêcher d'arracher ses droits à une citoyenneté pleine et entière. La violence a été et demeure un des moyens de la mise sous domination de la femme algérienne. « Les violences faites aux femmes, qui sont un obstacle majeur à la lutte pour la citoyenneté, touchent toutes les catégories sociales à travers toutes les formes : insultes, menaces, violences physiques et sexuelles, et ce à la fois dans les familles et dans la société. C'est une violence qui est inscrite dans l'ordre social tel un facteur constant de la vie quotidienne pour les assigner dans certains espaces et maintenir la supériorité des hommes », explique la sociologue et coordinatrice du Réseau de femmes victimes de la violence, Dalila Iamarène Djerbal. Cette dernière, qui a eu la lourde tâche d'ouvrir le bal des débats en s'attaquant à la violence faite aux femmes, indique que le recours à la violence vise d'abord à les exclure de l'espace public, mais aussi à faire en sorte que cette subordination soit acceptée et devienne naturelle. « Même son corps, sa sexualité ne sont plus siens, ils appartiennent à la famille et elle est tenue de reproduire cet ordre sous peine de répudiation ou de recours à la polygamie qui la réduise à être un être interchangeable », dénonce la sociologue. Mme Djerbal estime que l'individuation imposée à l'homme algérien par l'ordre colonial a été reproduite sur la femme à la fois durant la colonisation, mais aussi dans l'Algérie post-indépendante. « Les violences dans les familles sont admises et non condamnées. Il est tellement difficile de prouver ces violences que les femmes renoncent à les dénoncer. Même le code pénal considère la famille comme victime des violences et non la femme qui a subi le mal, en parlant d'attentat à la pudeur ou d'atteinte aux mœurs. » « La violence pour maintenir la hiérarchisation des sexes » Harcèlements sexuels, viols et agressions constituent un réel danger pour la femme algérienne. « Les violences terroristes ont transformé le corps des femmes en champ de bataille. Et malheureusement, l'amnistie et la réconciliation nationale sont venues pour confirmer que le viol des femmes n'est pas un crime », précise Mme Djerbal en notant que la lutte des femmes est éminemment politique. Un avis que partage Fatma Oussedik, sociologue et maître de recherche au Cread, qui considère que les luttes féministes sont politiques et que dans tous les cas, les violences ont pour objectif de maintenir une hiérarchisation des sexes. « Il s'agit d'assignation directe lorsqu'elles sont physiques, et d'assignation indirecte lorsqu'elles sont juridiques. » Fatma Oussedik relèvera que durant tout le conflit libanais aucune femme n'a été violée, contrairement à l'Algérie ou à la Bosnie où elles ont été très nombreuses à subir ce châtiment dont la douleur est indélébile. « Au Liban, personne n'a voulu remettre en question l'ordre social. Il ne fallait donc pas toucher à la l'intégrité de la femme. Contrairement à l'Algérie, où le Pater familias a de tout temps incarné l'honneur dans le corps de la femme. » La sociologue refuse de parler de la condition de la femme en la distinguant de son environnement politico-économique. « L'équation pays riche, peuple pauvre et Etat faible pouvoir fort est au cœur du tumulte algérien », dira-t-elle en notant que les Algériens remettent en cause l'absence d'arbitrage et la distribution inéquitable des rôles et des richesses. Les institutions n'accompagnent pas le changement, car la logique autoritaire du pouvoir ne permet pas l'apparition d'Etat fort. Les espaces conquis par la femme à travers ces décennies sont le fruit de son propre combat soutenu par le recours à l'instruction. « C'est à travers l'école qu'elles ont vu leur condition changer, notamment le recul de l'âge de mariage et l'accès au travail. Toutefois, devant l'absence de culture démocratique, la violence devient un cadre d'expression et la femme une compensation. » Le mot est lâché, une compensation que le pouvoir jette en pâture à une société avide de faire entendre son mal-être. La violence devient un code de conduite de cette dernière qui prendra exemple sur un Etat-Pater familias qui use de ses lois pour assujettir ses citoyens. Le code de la famille est d'ailleurs l'expression criante de cette violence exercée par l'Etat sur la femme. Boutheina Cheriet, professeur en éducation comparée à l'université d'Alger et ancien ministre de la Condition féminine, avertit contre la fermeture du dossier du code de la famille. Relevant le caractère néo-patriarcal de l'Etat algérien, Mme Cheriet estime qu'il y a une ambiguïté dans le choix des référents devant mouler la société algérienne. Puisant à la fois de la culture européenne et islamique, l'Etat a joué sur deux référents et refuse de pencher pour une idéologie. « Le FLN a donné naissance au FIS à cause de cette ambiguïté dans les référents idéologiques », souligne la conférencière en notant que le code de la famille n'est pas tout à fait basé sur le religieux puisqu'il émane d'une totale liberté d'interprétation de la charia donnée à des législateurs qui ne connaissent rien à la charia. « Les femmes ne sont pas citoyennes, elles sont soumises au rapport mal à la fois de l'Etat et des citoyens. Nous devrions revisiter le code de la famille, cette page ne peut être fermée aussi facilement », dira-t-elle. Au lieu d'ambiguïté, Wassila Tamzali préfère, pour sa part, parler de duplicité de l'Etat. Cet essayiste et ex-directrice du programme des femmes à l'Unesco estime que la religion a été utilisée comme un prétexte, une couverture ou un emballage. « Depuis 1962, malgré notre enthousiasme, l'affaire était réglée. La religion n'est qu'une couverture, ce n'est donc pas l'ordre religieux qu'on a voulu établir, mais un ordre de domination du féminin par le masculin, selon un système structuré », dira Mme Tamzali. Réfutant l'existence des mentalités qu'on brandit chaque fois comme un frein à l'émancipation de la femme, Mme Tamzali souligne : « Ce n'est pas la démocratie qui a libéré les femmes occidentales ou encore la laïcité qui a libéré les femmes chrétiennes, elles ont dû mener un combat contre la domination. » La même conférencière considère que « la réformette du code de la famille par ordonnance, en prétextant que le peuple n'est pas aussi avancé que l'élite politique, renseigne sur la volonté de garder le pouvoir pour soi tout seul, et la domination du féminin c'est la compensation qu'on va laisser au citoyen algérien ».