Djamel Aïdouni pousse son devoir de réserve un peu trop loin. Bien qu'étant à la tête du Syndicat national des magistrats (SNM), il se retient de prendre des positions franches sur les sujets brûlants de l'actualité, même sur les questions qui concernent directement son secteur. Intervenu hier au cours du Forum hebdomadaire d'El Moudjahid, ce conseiller à la cour d'Alger a cru anticiper les interpellations embarrassantes des journalistes en balisant les contours de son intervention. Il était là surtout pour rendre compte des recommandations de l'assemblée élective de jeudi dernier, l'ayant reconduit à la tête du SNM. Outre les amendements apportés à la loi organique, dans son chapitre électif, Djamel Aïdouni a inventorié les exigences socioprofessionnelles de ses pairs. De l'augmentation des salaires et la révision du régime de retraite (le départ devant être autorisé à partir de 25 ans de service) à la mise à la disposition des juges de logements et de centres de loisirs, des chapitres spécifiques à l'exercice de la fonction de juge, ont été évoqués, dont l'augmentation des effectifs (actuellement, il y a 2 800 magistrats), l'implantation de cours de justice dans toutes les wilayas et l'intensification des sessions de formation. Sur le plan politique, le SNM voudrait que les missions du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) soient consolidées, surtout dans la gestion de la carrière des juges. Par ailleurs, il appelle à l'installation rapide du bureau permanent de cette instance et sa dotation d'un siège. Cette dernière revendication relève d'un souci de doter le conseil d'une pleine autonomie et de couper définitivement ses liens avec la chancellerie. Cette proximité longtemps décriée distingue aussi les magistrats dont la partialité et l'assujettissement au pouvoir exécutif et au pouvoir de l'argent scandalisent les ONG nationales et internationales. Si, officiellement, l'indépendance de la justice est largement consacrée, les pouvoirs publics font mine de la promouvoir grâce à la mise en place d'une charte d'éthique. “Le ministère a mis en place une commission pour l'élaboration de la plate-forme de la charte et à laquelle deux magistrats membres du syndicat contribuent”, s'est contenté de dire M. Aïdouni. Rien dans la démarche de la chancellerie ne l'indispose. De même, il ne fait aucun reproche au conseil disciplinaire du CSM dont les décisions (lire sanctions) “sont à la hauteur” selon lui. Répliquant aux critiques des organisations de protection des droits de l'Homme, le président du SNM estime qu'elles ont des a priori, car “elles n'écoutent que certaines parties”. Le grief le plus répandu sur l'usage abusif de la détention préventive lui inspire le commentaire suivant : “On ne peut pas débattre de cette question car elle relève du pouvoir discrétionnaire du juge. Nous devons être sévères pour protéger les citoyens.” Que la mise sous mandat et la détention soient élargies aux journalistes pour des faits de diffamation ne choquent pas M. Aïdouni. “Nous sommes obligés de trancher les affaires des journalistes car elles sont très importantes”, soutient-il. Niant un quelconque harcèlement judiciaire, il considère que “les journalistes algériens ne font l'objet d'aucune pression”. Pour preuve, “beaucoup sont acquittés mais la presse n'en parle pas”, constate-t-il. Traçant un tableau rose de la justice : “Pas de contraintes sauf le manque d'effectifs”, le conseiller à la cour d'Alger est plein d'optimisme, même en ce qui concerne l'application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui, d'après lui, est la porte vers le progrès. Aux sceptiques et aux récalcitrants, il répond que le peuple a plébiscité ce projet et que l'ordonnance qui en a découlé est “comme une décision de justice” qui ne tolère aucune remise en cause. “Au niveau du SNM, nous applaudissons la charte, sans complexes”, observe M. Aïdouni. Sur ce point au moins, il a le mérite d'être précis. Pour d'autres questions comme l'abolition de la peine de mort, il préfère ajourner la position du SNM qui sera prise le cas échéant. Ultime sursaut d'honneur, le magistrat refuse que les juges algériens soient contrôlés par leurs homologues britanniques dans les procès des islamistes expulsables de Grande-Bretagne. Samia Lokmane