La rue gronde dangereusement en Algérie. Comme s'ils s'étaient passé le mot, les jeunes de Gdyel à Oran, de Beni Abbès dans le lointain Béchar et ceux de la Nouvelle-Ville à Tizi Ouzou (re)descendent dans la rue pour crier leur malvie, mais surtout leur douleur de ne pas trouver une oreille attentive à leur détresse. On croyait pourtant avoir tout vu avec ces jeunes harraga qui se jettent dans l'écume des vagues incertaines dans l'espoir d'échouer quelque part au Nord dans une incroyable mésaventure humaine. Mais le « génie » de nos dirigeants qui ont complaisamment tourné le dos aux souffrances du peuple nous a offert cette image insoutenable d'un jeune Algérien en détresse s'automutilant devant le portail d'une administration. C'était mardi à Tizi Ouzou. Et c'est une première dans la liste noire de la « non-assistance à jeunesse en danger », qu'un Algérien en vienne à se larder le corps à coups de couteau pour attirer l'attention. Un geste de désespoir qui constitue à lui seul un baromètre de l'Etat de la jeunesse dans un pays qui exhibe avec arrogance ses milliards de dollars apparemment inutiles. Que le vent de l'émeute souffle à nouveau sur les quatre coins de l'Algérie est symptomatique d'un profond malaise social. L'émeute et autres manifestations de rue sont (re)devenues le défouloir et l'exutoire duquel sont évacuées les frustrations sociales des pans entiers de la population. Y a-t-il une oreille officielle pour écouter ces complaintes des petites gens ? Les pouvoirs publics peuvent-ils répondre autrement à ces cris de détresse qui fusent d'en bas que par la matraque ou le silence laxiste ? « Veulent-ils nous pousser à la délinquance ? », s'écriait, à juste titre, mardi un jeune hors de lui devant des journalistes à Tizi Ouzou. Cette formule sonne comme une condamnation sans appel d'un pouvoir autiste pris en flagrant délit d'irresponsabilité. Le constat vaut également pour les événements dangereux aux relents tribaux que vient de connaître la localité de Berriane à Ghardaïa. Il s'en est fallu d'un cheveu pour que l'affrontement entre les jeunes de la municipalité ne prenne l'allure d'un duel fratricide dans une région connue pour sa sensibilité sociologique. Coupables de n'avoir pas suffisamment pris au sérieux les étincelles, les autorités sont intervenues brusquement pour éteindre le feu. A Gdyel, l'intervention était déjà trop tardive. Les édifices publics ont été saccagés par une jeunesse désœuvrée ruminant une crise existentielle à quelques kilomètres de la deuxième métropole du pays, Oran. Défaut de réceptivité Ce n'est certainement pas verser dans l'alarmisme que de noter un désarroi social ambiant en Algérie. Le retour de la protestation sous une forme parfois violente dénote une galère citoyenne que les caméras de la télévision refusent de fixer. Que le directeur de la télévision dirige lui-même une émission « soft » sur le drame des « harraga » après que le phénomène se soit banalisé témoigne du degré de « réceptivité » des autorités face à ces douleurs muettes. A trop vouloir déceler de la « manip » dans chaque mouvement de protestation, les pouvoirs publics, aveuglés, répondent par une contre-manipulation. C'est ainsi qu'on a d'abord accolé l'adjectif peu glorieux de « criminels » aux jeunes harraga, avant de leur tendre, gentiment, le micro. Comme par enchantement… Tenu par son agenda, le pouvoir réagit par à-coups pour désamorcer un conflit qu'il a allumé par son silence. Depuis des mois que les fonctionnaires protestent, personne n'a osé les recevoir ne serait-ce que par respect à leur fonction sociale. Les syndicalistes autonomes qui donnent une belle leçon de solidarité et de démocratie sont « accueillis » par la matraque et le gourdin. C'est le tarif syndical pour qui ose défier l'ordre établi. Qu'il soit jeune chômeur, enseignant, médecin ou universitaire, d'Oran, de Timimoun, de Tizi, de Beni Abbès ou d'Alger, le protestataire n'a droit qu'à un traitement : la pression ou la répression. L'Etat qui a vocation à écouter ses citoyens semble avoir perdu sa mission élémentaire. C'est pour cela que la rue gronde en ce printemps… noir.