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Le système algérien captif de l'étatisme et de la logique rentière
La société et l'université algériennes face au défi de l'économie mondialisée axée sur le savoir La relégation des élites intellectuelles et professionnelles
Publié dans El Watan le 21 - 04 - 2008

La capacité d'action de l'Etat et de ses institutions ainsi que la compétitivité des entreprises économiques sont conditionnées par leur aptitude à mobiliser des connaissances complexes, variées et donc à faire collaborer de manière créative des compétences plus nombreuse et diverses. La transition vers une économie et une société de la connaissance passe, notamment, par la valorisation et la reconnaissance par l'Etat des groupes porteurs de savoir et de savoir-faire. Elle implique une coopération et un partage de responsabilité du groupe au pouvoir avec les élites professionnelles dans les domaines d'intervention où celles-ci sont compétentes. Or, les tentatives de réforme dans cette perspective se sont heurtées à la résistance des groupes d'intérêt, hostiles à toute ouverture et toute redistribution des pouvoirs au profit de nouveaux acteurs qui toucheraient à leur gestion privative des institutions de l'Etat. Les diverses élites professionnelles (universitaires, enseignants, médecins, ingénieurs, cadres techniques et de gestion) ne sont pas parvenues à s'émanciper de la dépendance du politico-administratif et faire reconnaître, chacune dans son domaine spécifique d'intervention, une autonomie relative de décision, un pouvoir social fondé sur la compétence technique. Elles ont été empêchées de s'ériger en acteurs collectifs autonomes, médiateurs entre l'Etat et la société, capables de déployer une stratégie collective de rationalisation des pratiques sociales dans leur champ respectif d'activité. La subordination directe, dans les institutions publiques, de la fonction technique à la fonction de contrôle politico-bureaucratique maintient les membres de chacune des catégories de l'élite professionnelle dans la dispersion et l'isolement. Marginalisés en tant que collectifs dans la prise de décision, ceux-ci ne peuvent, dans le domaine de leur spécialité, partager leurs savoirs et leur savoir-faire et favoriser ainsi l'éclosion d'une intelligence collective. Mis dans l'incapacité d'accumuler collectivement de la connaissance et d'assimiler les progrès des savoirs et des savoir-faire qui avancent à un rythme accéléré dans le monde, les professionnels sont guettés dans leur spécialité respective par l'obsolescence et la déqualification technique. De par la logique de domination sociale qui la définit, la société est ainsi portée à mésestimer le savoir et les porteurs de savoir. Les élites intellectuelles et professionnelles pâtissent d'un statut social et économique déprécié. Elles ne jouissent en compensation ni des conditions ni du pouvoir de décision qui leur permettent de déployer dans l'exercice de leur métier leurs compétences et de les valoriser. Il semble qu'elles n'aient le plus souvent d'autre choix qu'entre l'exil extérieur dans les pays étrangers et l'exil intérieur dans leur propre pays.
Une comparaison avec les pays voisins
Dans une société façonnée depuis quatre décennies dans son organisation, son fonctionnement et sa culture par une logique rentière, qui consomme plus qu'elle ne produit et compte sur les revenus des hydrocarbures pour couvrir la quasi-totalité de ses importations, on ne ressent pas l'obligation d'être compétitif, de rationaliser l'organisation et la gestion de l'économie et de la société ; nul besoin de promouvoir des élites professionnelles compétentes, de construire une université performante pour les former, de valoriser le savoir et les porteurs de savoir. Tant que le pays a encore assez de pétrole, on peut se dispenser d'avoir des idées. La comparaison avec les deux pays limitrophes du Maghreb est éclairante. Ceux-ci étaient loin d'avoir nos atouts de départ et présentaient un potentiel scientifique et technologique bien moindre que le nôtre pendant les années 60 et 70. Faute de rente pétrolière, ces deux pays étaient obligés de vivre de leur travail, de n'importer que les produits et services qu'ils sont susceptibles de faire couvrir par leurs exportations. Leurs entreprises ne sont viables que si elles sont compétitives au niveau international et donc dirigées par les cadres les plus compétents. L'université est soumise à une obligation de performance pour former des élites professionnelles de qualité qui sont vitales pour le pays. Les hommes au pouvoir sont dans l'obligation de s'appuyer sur les hommes de compétence pour organiser et gérer le plus rationnellement possible les institutions du pays, accompagner et soutenir son économie. A défaut de pétrole ou de richesses naturelles abondantes, ces sociétés ne pouvaient compter que sur la valorisation de leurs richesses humaines. Les différentes élites professionnelles jouissent d'un statut économique et social privilégié, même s'il ne s'accompagne pas actuellement dans le cas du régime autoritaire tunisien de la liberté d'expression politique. Il n'est donc pas surprenant, par exemple, que l'instituteur et l'universitaire tunisiens soient rémunérés trois fois plus (en équivalent dollars) que l'instituteur ou l'universitaire algérien ; que la « fuite des cerveaux » y soit bien moins dramatique que chez nous et que la majorité des cadres hautement qualifiés, formés à l'étranger, retournent au pays ; que ce pays, qui a un population trois fois moindre, a une production scientifique une fois et demie plus importante et que ses universités sont classées avant les nôtres dans les diverses évaluations internationales. Le Centre de recherche de l'organisation de la conférence islamique (SESRTCIC), situé à Ankara, a mesuré dans une étude assez récente(1), publiée sur son site web le 11 juillet 2007, un certain nombre d'indicateurs de la production scientifique dans les pays musulmans. Selon cette étude, sur une période de dix années (1996-2005), l'Algérie aurait publié un total de 4984 articles scientifiques et techniques, le Maroc 10 035 et la Tunisie 70 453. Rapporté à un million d'habitants, la production s'élèverait pour l'Algérie à 156,5 articles, pour le Maroc à 333,6 (soit deux fois plus environ que l'Algérie) et pour la Tunisie à 758,2 (soit presque cinq fois plus). Un second indicateur, aussi significatif, porte sur l'effort des dépenses en science et technologie : L'Algérie dépenserait par rapport à son PIB trois fois moins (0,20%)(2) que le Maroc (0,62%) et la Tunisie (0,63%).
Une société et une université en rupture avec le savoir
La raison fondamentale des déficiences de la recherche scientifique en Algérie réside dans la faiblesse de la demande de savoir émanant des institutions publics, des entreprises et de la société civile. La connaissance n'est pas une condition indispensable dans une société dont le fonctionnement est dépendant de la rente et non de la compétitivité et qui s'enracine ainsi durablement dans le non-développement. Pour les sociétés contemporaines que la mondialisation soumet à l'obligation de compétitivité, la maîtrise de la science et de ses applications constitue un impératif de survie. Pour faire face à des besoins vitaux et croissants en savoir et savoir-faire, les sociétés développées et les sociétés émergentes multiplient la mise en place d'institutions efficaces en matière d'innovation scientifique et technologique. En relation d'interdépendance avec toutes les sphères d'activité sociale, l'université tend par ses activités de formation et de recherche à devenir une institution centrale qui occupe le cœur de la dynamique des sociétés axées sur le savoir. Par contre, dans une société algérienne qui implique peu la science dans son fonctionnement, l'université est réduite à une institution marginale. L'environnement social n'éprouve pas la nécessité de s'ouvrir à l'université et de la pénétrer ; il la sollicite peu pour prendre en charge ses besoins en recherche et en formation continue et développer avec elle des relations d'interdépendance. Les représentants des institutions cultivent plutôt de la méfiance vis-à-vis des chercheurs et multiplient, devant eux, les obstacles pour l'accès au terrain et à l'information. Séparée de la société qui représente son objet d'étude, la recherche universitaire tourne à vide comme un moulin sans grains à moudre. Malgré un important déficit dans tous les domaines de la connaissance, les travaux de qualité que parviennent, à force de volontarisme, les chercheurs à effectuer sur la réalité sociale et économique ne semblent pas beaucoup attirer l'intérêt, sinon l'encouragement des institutions sensées en bénéficier. Dans une société de non-savoir, l'université ne peut se constituer conformément à son concept et se développer comme un espace productif de savoir, de savoir-faire et de savoir être. Elle devient une institution alibi qui participe à la consommation improductive de la rente globale et contribue à renforcer l'inertie de la société au lieu d'être, conformément à sa vocation prospective, la locomotive qui tire cette société vers l'avant. Sans prise sur la réalité sociale, coupée des réseaux internationaux d'une science en perpétuel renouvellement, l'université algérienne était vouée à se replier sur elle-même et à s'enfermer dans une stérile autoreproduction interne. Placée dans l'incapacité d'assumer de façon efficace sa fonction première de recherche qui est le vecteur de son ouverture vers son environnement, l'université n'est pas par conséquent en mesure d'assurer sa fonction de formation des étudiants et de dispenser un enseignement scientifiquement actualisé et pertinent par rapport aux besoins socios-économique du pays.
Une société qui renonce à se connaître pour maîtriser son devenir
Dans les sociétés de la connaissance, ce sont toutes les sphères de l'activité sociale qui tendent à devenir autant de lieux d'apprentissage et de création continue de savoir et de savoir-faire. Inversement dans notre pays, au sein de l'université, dans l'institution même qui lui est dédiée, le savoir présente si peu d'intérêt qu'il ne vient pas à l'esprit de ses responsables d'entreprendre l'effort de recenser et faire connaître les recherches produites par les universitaires dans les différents champs de la connaissance ainsi que le potentiel de chercheurs dans chaque domaine de compétences. L'insuffisance du financement de la recherche est surtout aggravé par l'absence de gestion des précieuses ressources, notamment humaines, disponibles. La recherche demeure ainsi peu visible, laissée aux penchants individuels, atomisée, caractérisée par la rareté des échanges entre les personnes et les équipes de recherche tant au niveau national que local. Aussi, le plus souvent abandonnés à eux-mêmes, les jeunes chercheurs surtout, ont-ils tendance à travailler isolément, méconnaissant les travaux de leurs prédécesseurs pouvant servir de référence par leur qualité. Ils ont encore moins accès à la production internationale en raison de la faible maîtrise des langues étrangères et de l'état d'abandon dans lequel se trouvent les bibliothèques universitaires et les centres de documentation. Il en résulte la redondance de la plupart des travaux réalisés et leur relative généralité. Le peu de visibilité du potentiel scientifique national et la quasi-absence de mise en réseaux des chercheurs sont symptomatiques de l'état de non gestion du secteur de la recherche qui en est toujours au point de départ et que les réformes successives n'ont pas réussi à faire décoller. Cette méconnaissance et cette dispersion expliquent la faible accumulation du savoir sur la société. Le progrès explosif de la connaissance fait que les savoirs universitaires sont dans un même champ scientifique de plus en plus complexes, spécialisés, mouvants, dispersés entre les chercheurs, d'où la nécessité de coordination, d'intégration, de faire collaborer, de faire travailler en convergence de manière créative les personnes, les équipes et les institutions de recherche. L'université algérienne dispose, pourtant, de riches potentialités humaines, d'un nombre non négligeable de chercheurs de haut niveau dans tous les domaines scientifiques. Elle souffre, cependant, d'un mode de gestion bureaucratique et autoritaire qui, de par sa nature, isole et stérilise les intelligences et dont on ne peut attendre qu'il fasse coopérer des compétences diverses et favoriser les synergies. Les institutions de l'Etat et les grandes entreprises économiques paraissent, a fortiori, peu se soucier de développer leurs capacités d'étude et de conception ; elles négligent de se doter d'un système d'information fiable pour pouvoir définir des politiques pertinentes et en assurer une mise en œuvre efficace. En raison de la rareté des études prospectives permettant d'anticiper les problèmes, elles perdent leur capacité stratégique, inscrivant ainsi leur gouvernance dans le court terme, or, dit-on « gouverner, c'est prévoir ». Les institutions et les organisations publiques se contentent alors d'une gestion au jour le jour et de la prise dans l'urgence de solutions palliatives, occultant ainsi les problèmes de fond en les laissant s'accumuler de manière souterraine et hypothéquer l'avenir. Fonctionnant de façon formelle et cahotante, ces organisations ne peuvent apprendre de leurs erreurs, accumuler de l'expérience, capitaliser de l'expertise ni se construire une mémoire institutionnelle. Elles sont incapables de faire face durablement même aux problèmes apparemment les plus simples qui tendent à revenir de façon récurrente, tant que les problèmes de fond auxquels ceux-là sont liés ne sont pas résolus.Chacun des grands domaines relevant des institutions publiques (éducation, santé, protection de la jeunesse, sécurité alimentaire, environnement, gestion des villes etc.) pose des problèmes d'une complexité telle qu'ils ne peuvent être analysés et pris en charge efficacement sans mobiliser, dans une approche multidisciplinaire, tout un réseau de centres et de laboratoires de recherche travaillant en complémentarité. La capacité d'intervention des institutions de l'Etat est ainsi directement fonction des investissements consentis dans le savoir, de l'aptitude de ces institutions à accumuler une masse de connaissances complexes, provenant de bases de données, de recherches et d'expertises diverses ainsi que de savoirs d'expérience détenus par une multiplicité d'acteurs du terrain pour les traduire ensuite en politiques, projets et programmes d'action. La nécessaire réforme de l'Etat, surtout, demeurera une simple proclamation d'intentions, tant que celles-ci ne sont pas traduites par la mise en place de nouveaux dispositifs institutionnels plus flexibles de régulation, favorisant la transparence de l'action publique et la participation de toutes les catégories d'acteurs concernées, les populations bénéficiaires de cette action, notamment. Cette réforme suppose des activités de recherche pour prendre connaissance des innovations les plus performantes qui ont fait leurs preuves dans le monde en matière d'instruments et de mécanismes de gouvernance et de gestion publique afin de les repenser en fonction du contexte algérien. Concluant leur étude sur trois grandes entreprises algériennes, parmi celles qui ont mis en place des structures de recherche développement, H. Ouchalal, H. Khalfaoui et Y. Ferfera(3) écrivent : « Ce qui frappe le plus dans ce qui a été observé lors de cette recherche, c'est l'incapacité quasi-générale à transformer l'effort de recherche en effort de développement. Malgré son statut administratif et le discours flatteur qui l'entoure, la R&D reste plus ancrée dans les organigrammes que dans les faits ».
(A suivre)


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