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Le système algérien captif de l'étatisme et de la logique rentière (3e partie et fin ) La société et l'université algériennes face au défi de l'économie mondialisée axée sur le savoir
Rappelons également, pour prendre des exemples actuels, la pénurie de la pomme de terre, qui vient de durer plus de quatre mois dans un pays récemment exportateur, ou la désaffection pour la politique des citoyens, qui se sont massivement abstenus de participer notamment dans les grandes villes aux élections législatives de mai dernier (2007), sans qu'aucune étude sérieuse ne semble être entreprise pour identifier les causes des problèmes qui adviennent et envisager les correctifs nécessaires. Mais, les résultats des études ne risquent-ils pas d'apparaître comme politiquement incorrects et révéler de graves carences susceptibles de remettre en cause, de proche en proche, le mode de gouvernance globale du pays ? La démocratie repose sur la transparence, l'autocratie sur l'opacité L'Etat algérien avait bien, pendant les années 1970, développé, socialisme oblige, pour les besoins de la planification, une multiplicité d'organismes chargés du recensement de la population, de l'information statistique, des enquêtes et des études économiques et sociales. Cependant, la mission de ces organismes visant à construire et diffuser une image objective de la réalité a été détournée vers la légitimation de politiques, pour servir de base à l'élaboration de projets ambitieux et de bilans officiels à la gloire de la triple révolution agraire, industrielle et culturelle. Dans les pays de démocratie pluraliste et d'alternance au pouvoir, les institutions qui produisent du savoir sur la société sont en mesure d'assurer une mission de service public d'information du citoyen et d'exercer leurs activités en dehors de toute pression extérieure : leur autonomie est la condition de leur crédibilité scientifique. La démocratisation d'une société est fonction de sa transparence aux yeux de ses membres ; elle est donc liée à la capacité à se doter des moyens d'étude susceptibles d'éclairer l'action publique et de mettre en place des mécanismes efficaces d'information et de participation des citoyens à la conception et à la réalisation de cette action publique. La gouvernance autoritaire et centralisée des institutions d'un pays, où les rapports personnels d'allégeance et l'informel dominent sur la règle, sur le droit, implique la monopolisation au niveau des sphères dirigeantes de l'information qui est un élément fondamental du pouvoir. Les affaires publiques fonctionnent alors sur la base de l'opacité et de la culture du secret. Les institutions sont méfiantes à l'égard de toute tentative d'étude ou d'évaluation qui mettrait en lumière leurs activités ; que cette tentative soit menée par leurs propres services internes d'étude qui sont alors marginalisés et/ou instrumentalisés, ou surtout par des organismes extérieurs. Tout ce qui contribue à la transparence et à la participation à la gestion est perçu comme une menace directe pour les groupes d'intérêt dont le pouvoir repose sur l'opacité. Le paradoxe de la « malédiction du pétrole et son explication » Les écarts de croissance économique entre les pays seraient moins déterminés par les différences dans l'augmentation des capitaux physiques et du capital humain (nombre d'années de scolarisation de la population active) que par des facteurs moins tangibles liés à la maîtrise du savoir et de son utilisation : qualité de l'éducation et de la formation, capacités institutionnelles et de gestion, vitesse de circulation de l'information scientifique et technique. Autrement dit, les disparités de développement des nations s'expliqueraient moins par des différences d'accroissement des quantités d'intrants (en capital physique et humain) que par l'utilisation plus ou moins productive de ces intrants. Le facteur de productivité totale (FPT) qui mesure le rendement par unité d'intrant expliquerait, selon des études récentes, l'essentiel des différences de développement, pendant les quatre dernières décennies, entre le Ghana et la Corée du Sud (Solow 2001) comme plus généralement entre une pluralité de pays (Easterly et Levine 2000). Etroitement lié au mode d'utilisation du savoir dans la production, le FPT conditionne l'élévation du niveau de vie des pays. Le Ghana et la Corée du Sud avaient au départ à la fin des années 1950, un PIB similaire par habitant. C'est ensuite l'adoption par ce dernier pays d'une stratégie de développement axée sur le savoir qui a fait la différence entre les deux trajectoires. En particulier, la proportion des jeunes en âge d'accéder à l'enseignement supérieur est passée en Corée du Sud, entre 1960 et 2000, de 5 à 80%, tandis qu'elle a stagné à moins de 2% au Ghana. L'enseignement supérieur représente, en effet, l'élément fondamental parmi les facteurs qui définissent le FTP. Il contribue à former des professionnels qualifiés et capables d'adaptation : scientifiques et techniciens de haut niveau, enseignants du fondamental et du primaire, cadres des entreprises, fonctionnaires des administrations ; il constitue, d'autre part, un lieu privilégié pour développer les capacités de production de savoirs nouveaux ainsi que d'accès au savoir mondial pour l'adapter aux besoins locaux. Le secret de l'émergence de la Corée du Sud réside dans sa réussite à mettre en place et développer un cercle vertueux où les savoirs acquis ou produits au sein du système de formation et de recherche sont appliqués dans la production de richesses et traduits en croissance économique qui, à son tour, contribue à élargir la base du financement de la formation et de la recherche. L'enseignement supérieur ne joue pas seulement un rôle économique capital dans l'intégration compétitive d'un pays dans l'économie mondiale axée sur le savoir. Il assure aussi une mission au moins aussi fondamentale de transmission des normes, des valeurs et de l'éthique susceptibles de renforcer la cohésion sociale et conforter l'identité nationale ainsi que de favoriser la citoyenneté et la promotion d'une société civile démocratique. Les difficultés qu'a connues notre pays s'expliquent par la mise en œuvre d'une politique économique extensive qui se situe aux antipodes de celle intensive adoptée par la Corée qui a mis l'accent sur le FPT. Les décideurs ont investi massivement dans le capital physique et l'élévation de la durée de la scolarisation de la population sans se préoccuper de la productivité de chacun de ces facteurs. De grands complexes industriels ont ainsi été mis en place dès le début des années 1970 par l'Etat au moyen de contrats « clés en main » ou « produits en main », mais sans que les décideurs ne se soucient de réunir localement les conditions organisationnelles et les capacités technologiques pour assurer leur fonctionnement productif et donc leur viabilité. Plus l'Etat investissait dans la création d'entreprises nouvelles sans la capacité de rentabiliser leur fonctionnement, plus il creusait le gouffre des déficits de l'économie que la rente devait compenser, enfonçant ainsi davantage le pays dans le sous-développement. Traînant parfois sur des décennies des déficits impressionnants, la plupart des entreprises industrielles n'ont pas survécu ces dernières années ou ont été cédées au capital étranger même quand elles étaient potentiellement viables. Le concept de FPT résout ainsi le paradoxe dit du « mal hollandais » ou encore de la « malédiction du pétrole » : il explique pourquoi les pays faiblement dotés en ressources naturelles, qui investissent en quantité beaucoup moins que les pays producteurs de pétrole dans leur économie, ont connu pour la plupart une croissance nettement plus élevée que ces derniers pendant les trois dernières décennies. Les capitaux souvent énormes investis par les pays riches en hydrocarbures sont rendus inefficients par leur faible productivité. L'aisance financière que procure la rente tend à estomper les repères et les garde-fous économiques et à générer une baisse généralisée de productivité qui touche les secteurs de l'agriculture, de l'industrie et des services (notamment le système de formation et de recherche) ; cette baisse de productivité enferme à son tour l'économie dans un cercle vicieux qui la rend de plus en plus dépendante de la richesse pétrolière. La rente énergétique s'est ainsi accompagnée dans la grande majorité des pays en voie de développement qui en ont bénéficié par la désorganisation économique, la mauvaise gouvernance, la corruption, l'exacerbation des conflits politiques et de la violence sociale qui ont, dans les cas extrêmes, conduit jusqu'à la destruction des Etats et des sociétés. Conclusion : Pour sortir de l'impasse, convertir le pétrole en intelligence Après quatre décennies de consommation non productive de la manne pétrolière, la survie de l'économie nationale demeure plus qu'auparavant tributaire de la perfusion qu'offre la remontée des prix des hydrocarbures mais pour combien d'années encore, la société pourra-t-elle continuer sa marche suicidaire droit contre le mur de l'inéluctable effondrement économique ? L'expérience internationale a clairement montré que les dérives liées à la dépendance de la rente engendrent des processus cumulatifs qui conduisent les pays riches en ressources énergétiques, droit à la destruction de leur économie et de leur société, à moins qu'ils ne parviennent à se dégager à temps de ce piège. Par ailleurs, l'expérience des pays émergents d'Asie, pauvres en ressources naturelles, a confirmé que l'adoption d'une stratégie économique fondée sur le savoir constitue la voie obligée du développement. Le défi véritable pour notre pays est ainsi d'investir les revenus du pétrole en priorité dans le savoir, de les convertir en intelligence, en un capital de compétences et de capacités d'innovation. L'insertion positive dans l'économie mondiale passe en particulier par la refondation du système de formation supérieure et de recherche comme pierre angulaire de la construction d'une économie et d'une société du savoir. Le système universitaire est cependant solidaire dans sa structure organisationnelle et son fonctionnement des autres institutions de l'Etat. La réforme de l'université ne peut ainsi se faire isolément, sans une réforme d'ensemble de l'Etat, de ses modalités d'intervention et de ses rapports avec le marché et la société civile. L'économie de marché et la société civile n'émergent pas spontanément d'un simple retrait de l'Etat, mais nécessitent au contraire une forte implication de celui-ci pour les organiser dans leur autonomie. Le pays ne peut se dégager du piège de la dépendance de la rente et se délivrer ainsi de l'impasse d'une dynamique qui mène à l'autodestruction sans la mise sur pied d'un Etat assez fort de par sa légitimité et sa capacité d'action pour être en mesure d'opérer une restructuration d'ensemble de la société dans la perspective d'un développement durable et d'une insertion productive dans l'économie mondialisée de savoir. Un Etat fort est en effet un Etat régulateur qui parvient à tirer sa force moins de l'autoritarisme et de la coercition que de la participation autonome des populations qui se reconnaissent dans ses politiques et de la confiance que les citoyens ont dans l'efficacité de ses institutions ; c'est un Etat dont la capacité d'intervention repose sur son aptitude à anticiper et préparer les changements, à promouvoir et mobiliser l'intelligence collective de la nation pour éclairer ses décisions et construire progressivement une économie et une société de la connaissance, relevant ainsi les défis de la mondialisation. L'auteur est enseignant de sociologie, chercheur associé au CREAD