Méconnues, envahies par les herbes parfois même pillées : il faut absolument faire quelque chose pour recenser et protéger les sculptures en bois que l'on trouve dans les cimetières de l'ouest du pays, car elles remontent sans doute à la préhistoire. » En 2002, lorsque Farid Chentir, chercheur au Centre national de la recherche préhistorique, anthropologique et historique, spécialiste du paléolithique moyen (45 000 à 22 000 ans) se rend en mission dans la région de Beni Menasser, entre Tipaza et Cherchell, rien ne le prédisposait à s'intéresser aux rites funéraires. « Mais, je me suis retrouvé dans un cimetière musulman, face à des stèles en bois dont j'ignorais totalement l'existence », raconte-t-il. Ces sculptures, baptisées ‘'imenza'', ce qui signifie « les aînés, les ancêtres », ressemblent à des totems africains aux motifs géométriques gravés dans le bois. « Les appeler simplement ‘'stèles'' est bien réducteur, car ce mot ne renvoie qu'à un objet figé, précise le chercheur, alors qu'en réalité ‘'imenza'' est tout un concept qui renvoie à l'histoire : une fois la personne décédée, elle devient un ancêtre. » Chaque tombe en comprend deux. S'il s'agit d'un homme, les stèles se font face. S'il s'agit d'une femme, la deuxième est tournée à la perpendiculaire. Enfin, celles des enfants sont facilement reconnaissables à leur petite taille. Toutes différentes d'une tombe à une autre, elles marquent l'identité du défunt. Mais elles sont toutes construites sur le même principe : un pieu, trois formes superposées — trois ronds, trois losanges, trois triangles — représentant sans doute la tête, le tronc et le bas du corps, et parfois une protubérance sur la tête comme une houppette. Certains auteurs avancent que cela pourrait être lié au culte de la chevelure. « Dans les années 1920 et 1930, des Français avaient déjà signalé ces stèles en bois mais dans d'autres régions. Ils pensaient alors que cette pratique, liée au paganisme berbère, avait disparu. Or elle persiste aujourd'hui… » Pour l'instant, aucune datation n'a été effectuée sur les sculptures. « Elles remontent sûrement à la période ante-islamique, car l'Islam interdit toute représentation humaine, et ces sculptures ont clairement la forme d'une silhouette. Ensuite, elles sont fabriquées dans du bois, ce qui renvoie à l'origine des monuments funéraires au Maghreb, bien avant que les Musulmans, les Phéniciens importent le ciment ou le marbre. On peut même aller encore plus loin, ajoute-t-il, si on regarde les formes géométriques des gravures. Les ronds, les losanges, les triangles sont identiques à ceux des poteries, des textiles, des tatouages recensés depuis la préhistoire et qui dateraient, au moins, du néolithique ». Sur le terrain, les personnes interrogées par le chercheur n'ont pas su donner d'explication sur cette pratique. « Cette méconnaissance est d'ailleurs très intéressante car elle reflète la permanence de la culture, de la civilisation malgré elle ! Mais elle pointe aussi du doigt l'urgence de préserver ce patrimoine. Ces stèles sont de véritables œuvres d'art, elles incarnent tout le génie du monde rural maghrébin. » La pratique des artisans ayant disparu, les sculptures sont aujourd'hui plus rudimentaires, certaines se résument à de simples pieux en bois. Les plus anciennes sont abîmées par le temps, envahies par la végétation ou même arrachées pour être vendues à l'étranger. « J'en ai découvert il y a deux mois dans un cimetière du côté d'Ouled Fayet. Pour l'instant, aucune sculpture de ce type n'a été signalée à l'Est : elles se répartissent vraisemblablement de l'ouest algérois jusqu'au Maroc atlantique. Dans la région de Béni Menasser, j'ai compté douze cimetières. Je pense qu'ils correspondent à la répartition des tribus avant le regroupement colonial de 1889. Après cette date, les cimetières les plus éloignés de la ville ont été abandonnés. Voilà pourquoi Il est urgent de procéder à un véritable travail de recensement, insiste-t-il, car il risque d'être très long et rien ne garantit que les stèles découvertes en 2002 soient toujours là. »