Le professeur Chelghoum est expert en génie parasismique et numérique sismologie. Il est directeur de recherche à l'université de Bab Ezzouar et il dirige un laboratoire de génie parasismique, dynamique et sismologie. Il est aussi président du Club des risques majeurs. Il a bien voulu répondre à nos questions relatives à l'activité sismique et la gestion des catastrophes dans notre pays. Nous commémorons aujourd'hui le 5e anniversaire de la catastrophe de Boumerdès, et un séisme vient de dévaster toute une province en Chine et nous rappeler que nous vivons dans une zone à forte sismicité. Que pouvez-vous nous dire de l'activité sismique dans le contexte algérien ? Comme nous l'avons toujours dit et répété au cours de plusieurs occasions, le Nord algérien demeure une région où l'activité sismique est permanente et l'aléa sismique omniprésent. Il y a eu une tentative de cartographier ces risques sismiques, malheureusement cela demeure une entreprise incomplète, sommaire et injustifiée sur les plans technique, scientifique, géologique et sismologique. Toute tentative ou pensée concernant la prévision ou la prédiction des séismes, en Algérie ou ailleurs, demeure plutôt absurde parce que ces phénomènes sont imprévisibles, imprédictibles et “non négociables”. Pour cela, je considère que la prédiction de ces phénomènes représente une belle, douce et pure utopie. De par le monde, cette option est abandonnée et les efforts sont plutôt concentrés sur la prévention et la protection des biens et des personnes. Pourquoi dites-vous que la tentative de cartographier ces risques est très sommaire, injustifiée et incomplète et que devrait-on faire pour assurer justement la sécurité des biens et des personnes ? La nouvelle cartographie a été élaborée juste après le séisme du 21 mai 2003. On a réagi dans la précipitation, sans réflexion profonde. On est passé à trois zones sismiques après Chellif en 1980, puis à cinq après Boumerdès. La zone 2 est divisée en deux sous-classes. La nouvelle carte renferme beaucoup d'aberrations. Par exemple, la commune de Sendjas (Chellif) est classée en zone 2 b alors qu'elle a été totalement rasée en 1980, elle devrait être en zone 3. Touggourt est actuellement déclarée comme étant une zone à sismicité ‘'zéro'' alors qu'il vient de s'y produire un séisme de 5,1 sur l'échelle de Richter. Il faut absolument tenir compte du fait que ce devrait être la carte géomorphologique et géologique qui devrait déterminer les zones de risque. On a décidé d'augmenter l'accélération de 5% par un arrêté ministériel alors qu'il faut plus d'un an de travail à une centaine d'experts pour décider de cela. Cela a été fait administrativement en deux mois. Constantine est classée en zone II. 1 alors qu'elle a été ravagée par un séisme avant. Oran est dite zone de sismicité modérée alors qu'elle a été dévastée par un séisme de plus de 7° sur l'échelle de Richter en 1790. La même chose pour Blida qui a subi une véritable catastrophe en 1826. Il nous faut trois zones : le Sud, les Hauts-Plateaux et le Nord. Sans trop de calculs d'épicier. Et que faut-il faire pour protéger le bâti et assurer une bonne urbanisation ? Il faut insister sur l'aspect sécuritaire. Dans sa fondation conceptuelle, une habitation, un quartier, une agglomération ou un village sont conçus pour protéger et sauvegarder des vies humaines. On sait que les dommages causés par un séisme sont une résultante de son intensité, de la localisation de la profondeur du foyer et du contenu fréquentiel de la secousse, d'une part. D'autre part, ils dépendent du système constructif du bâti et du type d'urbanisation. Aujourd'hui encore l'on continue à reproduire les mêmes erreurs pour ce qui est de l'urbanisation. A Alger, malgré l'étouffement de la ville et la nature du terrain qui représente un risque en cas de tremblement de terre, on a inscrit de très grands projets : la faculté de médecine à Chateauneuf, celle de droit à Saïd Hamdine et par-dessus tout une grande mosquée à Mohammadia sur un terrain non-aedificondi. L'urbanisme quant à lui est défini comme étant une « conjonction de la science et de l'art de l'ordonnancement urbain ». Il nous faut une urbanisation parasismique tenant compte de la protection d'un ouvrage par rapport à un autre. Souvenez-vous à Boumerdès, beaucoup d'immeubles s'étaient écroulés dans ce qu'on appelle ‘'effondrement en chaîne''. En Algérie, depuis 1970, l'urbanisme a été conçu comme un simple phénomène d'accroissement anarchique des villes et villages réalisés par greffes successives autour d'un noyau originel constitué généralement par des centres anciens du tissu colonial qui, par ailleurs, étaient parfaitement urbanisés et conçus. Quel est, selon vous, le meilleur moyen de faire face aux risques ? Il nous faut un plan national d'exposition aux risques de tout genre (catastrophes naturelles et accidents industriels entre autres). Tout doit être défini. Chaque commune, agglomération, village doit avoir une connaissance parfaite de la menace à laquelle ils sont exposés. Et cela relève des missions de la puissance publique qui n'a pas été suffisamment sensibilisée depuis octobre 1980 (séisme de Chellif). Voulez-vous dire que nous n'avons pas tiré les enseignements de tout ce que nous avons subi ? Il est regrettable de dire que les enseignements fondamentaux n'ont pas été tirés de toutes les catastrophes que nous avons vécues (inondations, séismes, accidents industriels). La puissance publique aurait dû mettre en place une autorité nationale avec tous les pouvoirs pour gérer ces risques avant, pendant et après la catastrophe. Cela veut dire qu'il faut s'intéresser à la prévention, la protection et l'organisation des secours. Il est grand temps de penser à ces mécanismes. Nous ne le dirons jamais assez : nous sommes exposés à des dangers réels.