le 21 décembre 2001, mourait à Argelès-Gazost, dans les Pyrénées françaises, un vieil homme auquel la renommée littéraire, si souvent arbitraire, n'avait, en effet, pas rendu justice. A presque 85 ans, Malek Ouary s'était éteint sans que l'importance de son œuvre certes peu abondante - soit réellement soulignée dans des anthologies de la littérature algérienne où il fut toujours confiné dans l'ombre, forcément tutélaire, de Mouloud Feraoun ou celle de Mouloud Mammeri, ses immenses contemporains qui lui disputaient - lui enlevaient en fait - les faveurs du grand public. Malek Ouary n'avait de toute évidence pas le panache démonstratif des deux Mouloud. L'idée la plus communément répandue, et parfois franchement déclinée, était celle de l'intrusion de Malek Ouary dans cette veine littéraire que Mouloud Feraoun avait si admirablement illustrée dans sa relation de l'univers kabyle. un jeune homme doué Comme si cela ne suffisait pas, il se trouvait aussi que le nom même de Malek Ouary fut constamment associé à son lieu de naissance, Ighil Ali, village kabyle qui produisit, entre autres poètes ou mémorialistes émérites, Jean Amrouche, dont la notoriété personnelle surpassait celle de Malek Ouary. Celui-ci, pourtant, était de cette espèce d'individus qui ne recherchent ni l'excès d'honneurs ni ne méritent l'indignité. Il fut un sujet doué, si l'on ne le qualifie pas de brillant, se montrant apte à réussir ses études dans son village natal d'Ighil Ali, puis à Alger où il est un lycéen méritant. Le jeune homme discret et retenu qu'il était alors bifurqua vers un métier qui sous toutes les latitudes est celui de la parole : le journalisme radiophonique. Ce choix sera esssentiel dans la vie de Malek Ouary, car c'est son travail à Radio Alger qui le conduira à entreprendre la quête incessante, jusqu'aux ultimes instants de sa vie, de ses racines berbères et de son identité kabyle. Très tôt, il se lancera dans la collecte des éléments fondateurs du patrimoine poétique de sa région. Cette quête, inscrite dans une visée ethnologique menée à hauteur d'homme, ne préfigurait pas encore de la tentation romanesque qui ne tardera pas à saisir Malek Ouary. Ce tard venu à la littérature attendra d'atteindre la quarantaine pour livrer l'œuvre majeure qu'il couvait sans nul doute de date, Le Grain dans la meule, roman magistral dans lequel Malek Ouary raconte les rituels de la vendetta dans la Kabylie d'avant la conquête coloniale française de l'Algérie. La tonalité du roman, fait que Le Grain dans la meule est une tragédie aux connotations universalistes. Malek Ouary a mis peut-être beaucoup de lui-même dans cette parabole du déchirement sous-tendue par le questionnement sur les origines. Le roman propose, en effet, plusieurs palliers de lecture ; et il est permis de se demander si Idir - qui a tué Akli par vengeance - n'est pas Malek Ouary lui-même qui accomplit un meutre symbolique pour mieux renaÏtre à son identité. Pour effacer le poids du crime, Idir se voit proposer par les propres parents de sa victime de devenir Akli et de tirer un trait définitif sur sa personnalité passée. Ce drame du transfert ne recoupait-il pas le destin de l'auteur, certes intégré dans la société française de l'époque - ses grands-parents, comme ceux de Jean Amrouche s'étaient convertis au christianisme dans la foulée de la conquête coloniale -, mais Malek Ouary en découvrant ses racines berbères avait pris la mesure d'un malaise fortement existentiel dont son reportage, Par les chemins d'émigration, en 1955 avait annoncé les prémisses. Immergé dans la culture française, Malek Ouary était dans le même temps aspiré par la spirale puissante du ressourcement dans le bain des origines, se montrant fasciné par la plongée dans les eaux profondes d'une langue kabyle dont il s'attachera à se réapproprier les vestiges luxuriants comme le pêcheur de perles rares plonge pour chercher un trésor rare. Là est peut-être le sens profond de la vie à la fois humaine et littéraire de Malek Ouary qui désigne un homme discret et retenu, de toute évidence sensible à l'âpreté cruelle de la vie, à ces déchirures de l'Histoire broyeuses de l'innocence et de cette blancheur immaculée des âmes. Toute l'œuvre de Malek Ouary participe d'une certaine manière de la description lucide du tourment de la perte des repères, mais aussi de l'effort surdimensionné, de sa part, de se reconstruire à l'aune de la liberté que son deuxième roman, La Montagne aux chacals, paru en 1981, pose comme le seul crédo autour duquel vaut d'être articulée toute vie. le credo de la liberté La Robe kabyle de Baya, sorti en 2000, est celui d'un homme qui, au soir de sa vie, avait atteint à cette sérénité proche du détachement qui est la marque des grands stoïques. Il en fallait à un écrivain de sa trempe qui, sur le long cours, avait été le grand oublié des hommages convenus et des consécrations. Dans ce durable climat d'occultation, au milieu des années 1980, le réalisateur algérien Mohamed Ifticène s'était souvenu de lui dans l'unique adaptation de l'œuvre majeure de Malek Ouary, Le Grain dans la meule, engagée par la télévision nationale. L'auteur n'en restait pas moins absent des environnements littéraire et public algériens, lui qui avait fait le choix de s'établir ailleurs plus habitant de la planète littéraire qu'il était que citoyen restreint de la République des lettres qui a, quelquefois, la dramatique faiblesse d'ignorer les siens. Malek Ouary aura été pourtant au nombre des grands précurseurs de la revendication identitaire et l'avancée de l'amazighité, lui doit peu ou prou. A quelques jours du troisième anniversaire de sa disparition, la vie, l'œuvre de Malek Ouary (27 janvier 1916-21 décembre 2001) valent des temps d'arrêt féconds.