Dans notre article précédent, nous avons dressé un tableau général de la situation désastreuse de l'enseignement universitaire en Algérie et mis en relief bon nombre de faiblesses consécutives à une série de facteurs, parmi lesquels figurent les méthodes et les contenus de l'enseignement qui s'avèrent inadaptés à la transmission d'un savoir de qualité, le manque de motivation, aussi bien chez les étudiants que chez la plupart des enseignants, tous grades confondus. (Cf El Watan des 23 et 27 avril …) Ces facteurs rejaillissent naturellement en négatif sur la qualité de l'enseignement dispensé, et achèvent de dévaluer, de ce fait, les diplômes obtenus par les étudiants pour qui le « papier » obtenu a plus de valeur symbolique à leurs yeux que le savoir qu'il pourrait refléter. Ce que ces étudiants visent n'est pas le diplôme en tant que reflet d'un savoir acquis au prix d'un effort motivé, mais le symbole rattaché à sa valeur marchande qui leur ouvrirait les portes de l'insertion économique. Ce diplôme visé est donc la formule magique d'Ali Baba : « sésame ouvre-toi ! » Il leur est indifférent, en effet, que ce diplôme soit de bonne ou de mauvaise qualité ; ce qui leur importe, c'est d'en obtenir la validation. Cet état d'esprit règne en effet de manière quasi absolue dans tous les établissements universitaires où nous avons pu entendre un nombre important d'étudiants. A Constantine, Batna, Biskra, M'sila et ailleurs, les étudiants n'ont aucun complexe à déclarer tout de go que ce qui les motive le plus, c'est moins le savoir désintéressé que le diplôme en lui-même. Les étudiants, le savoir et l'environnement urbain : La question qui vient immédiatement à l'esprit est celle-ci : pourquoi les étudiants tournent-ils le dos au savoir, au profit du diplôme pour lui-même ? A cette question, plusieurs réponses sont possibles. La première tient à une attente légitime, d'ordre économique, aussi bien de la part des étudiants que de leurs parents. Pour eux, le diplôme permet l'obtention d'un emploi qui améliorerait le sort de l'intéressé lui-même et de sa famille. La seconde tient au fait que ce qui est valorisé dans notre société, ce ne sont pas la science et/ou le savoir désintéressé, bien qu'il puisse représenter dans l'imaginaire social une certaine forme de prestige, mais la réussite matérielle. Cette dimension est d'autant plus importante qu'elle éclipse toutes les considérations rattachées à la quête du savoir et de la culture que les classes défavorisées se représentent comme des produits « de luxe » qui ne sont accessibles qu'aux couches des nantis. Bien qu'elle soit désirée et ardemment convoitée en secret, la culture pour ces couches nécessiteuses, se présente comme une denrée superflue, car elle ne relève pas des urgences du moment et ne nourrit guère, de ce fait, son bonhomme. Obtenir vaille que vaille un diplôme, quelle qu'en soit la qualité, passe avant toute chose. La troisième réponse à cette question réside dans l'environnement social et économique qui ne favorise guère la confrontation des idées, l'échange d'opinions et d'informations, la curiosité intellectuelle sur ce qui se fait autour de soi et chez les autres. Au sein de la famille même, l'échange entre les parents et le fils ou la fille qui étudie est réduit à sa plus simple expression. Dans les espaces publics, les lieux qui favorisent les rencontres, les échanges scientifiques, les découvertes des nouveautés, le goût pour la lecture sont inexistants ou quasi. Les cafés qui, sous d'autres latitudes, comme en Occident, en Asie, au Liban, en Syrie, et en Iran,..., servent souvent de lieux non seulement de convivialité et de chaleur, mais aussi de véritables espaces de lecture, d'écriture et de méditation pour toutes sortes de personnes. Ils se présentent chez nous sous l'aspect d'immenses écuries où se rassemblent des individus de toutes conditions sociales. Décors délabrés, murs fissurés, tables sales, chaises boiteuses et accueil rébarbatif des serveurs, voilà qui ne procure guère le goût ou le plaisir de s'attabler en ces lieux pour lire un livre ou apprécier le spectacle du monde. Quand la porte des toilettes n'est pas condamnée pour causes d'excréments qui obstruent les canalisations ou pour des raisons invoquées de travaux indéfinis, vous ne pouvez faire vos besoins qu'en passant par le patron qui détient la clef et qui ne vous la donne que de mauvaise grâce ou selon son humeur du moment. Dans l'enceinte de nos universités même, comme à Constantine et à M'sila, la situation sanitaire n'est guère plus réjouissante. Là aussi, pour accomplir ses besoins urgents, c'est le parcours du combattant. Courir de bloc en bloc à la recherche des toilettes, et quand vous en trouvez de relativement « propres », il vous faut courir à nouveau pour trouver de l'eau, ce qui n'est pas toujours évident. Car la vanne des robinets ne s'ouvre qu'une heure ou deux environ durant la journée. A l'université de Constantine, les toilettes sont bouchées par d'énormes monticules que submerge une masse jaunâtre de liquide, de laquelle se répand une odeur pestilentielle. Cent mètres plus loin, une odeur fétide, piquante et tenace vous poursuit, vous cingle les narines et vous donne le vomi. Les habitués de cet environnement (étudiants, enseignants, employés) semblent à l'observateur extérieur comme insensibles ou indifférents à cette atmosphère chargée d'air malsain, empoisonné. En inhalant, malgré moi,ces haleines fétides, une question naïve me vint à l'esprit : « Les responsables de cette université savent-ils que ces toilettes sont dans cet état piteux ? » L'on comprend aisément que dans un tel environnement, le goût pour le savoir et la science se trouve considérablement amoindri. Les facteurs hygiéniques et leurs retombées négatives sur les conduites culturelles… Pour que la culture puisse être sollicitée et prisée par le plus grand nombre, il faut que des conditions propices soient réunies, et parmi celles-ci la propreté des espaces publics, qui doit être intégrée dans les comportements et les conduites sociales et intériorisée par tout un chacun. Notre pays voudrait devenir une destination pour le tourisme étranger, alors qu'il ne se donne guère les moyens de sa politique pour assainir l'environnement au plus grand profit de sa population, aussi bien urbaine que campagnarde, que cernent de toutes parts d'immenses détritus. La propreté, ou son contraire, font partie intégrante de la culture d'un peuple. Selon qu'elle est présente ou absente, elle reflète le degré de développement et de la conscience civique et citoyenne d'une nation. Or, le problème de l'université se lie étroitement à celui de la société. Si nos étudiants, mais aussi beaucoup de nos enseignants, sont démotivés, les uns pour leurs études, les autres pour leur fonction enseignante, c'est qu'il y a des problèmes sérieux et des blocages institutionnels et sociaux qu'il faut pointer du doigt. Prenons maintenant le cas précis de l'Université de M'sila. C'est une université qui paraît en effet affligée de maints problèmes, dont les effets cumulés ont de retombées néfastes, aussi bien sur la qualité des enseignements dispensés que sur la recherche qui pâtit des pesanteurs diverses. Quels sont ces problèmes et comment affleurent-ils à la surface ? Dans le prochain article, nous nous efforcerons de donner quelques éléments de réponse à cette lancinante question. L'auteur est : Docteur d'Etat en histoire et en sociologie politique. E-mail : znit [email protected]