Brahim, la trentaine, est un épicier qui tient un commerce dans le village voisin. Avec sa camionnette chargée de denrées alimentaires, il effectue une rotation chaque jour dans les villages reculés de la daïra de Tizi Ghenif, distante de 55 km de la ville de Tizi Ouzou, à l'extrême sud-ouest de la wilaya. C'est un fait de hasard, le marchand fait justement sa tournée à Tala Mokrane. Ce village se situe à la lisière de la daïra de Draâ El Mizan et à 2 km seulement du chef-lieu de la commune de Tizi Ghenif. La bourgade est isolée. Quotidiennement, Brahim dessert environ 500 personnes en provisions. « Comme il n'y a pas de boutiques dans ce village, je passe chaque matin pour livrer aux habitants des produits de première nécessité surtout », déclare-t-il, assis sur le bord de la ridelle de son véhicule. Rempli à ras-le-sol, on peut voir sur le plateau du véhicule un sac de sucre, du café, du lait en poudre, un carton de produits laitiers, des pâtes alimentaires et du pain, entre autres. « Ce n'est pas tout, je leur livre aussi du gaz butane et la semoule presque une fois tous les quinze jours, selon les commandes », dit-il. Il semble qu'existe entre le commerçant et les habitants une relation de connivence et d'entente. Une septuagénaire marquée de rides vient de s'acheter une baguette de pain sans sel. « Il (le marchand) nous rend vraiment service. Une vieille femme comme moi ne peut pas se déplacer en ville ! On a plus l'âge. Comme lui, il y a des vendeurs de fruits et légumes qui passent aussi », dit-elle avec volubilité. Mais, ceux qui le peuvent y vont à pied ou montent avec les taxis clandestins. C'est le seul moyen de transport public. Les écoliers, les lycéens et les collégiens parcourent une sacrée trotte afin de se rendre dans leurs établissements à plus de 4 km, en ville. « Il y a quelques années, on avait le transport scolaire, un minibus qui a été transféré vers un autre village », dit Saïd, un tôlier. Ils empruntent, en fait, une route délabrée à plusieurs endroits. Les tranchées creusées par Sonelgaz n'ont pas été colmatées après les travaux de raccordement des foyers au gaz naturel. Des ralentisseurs qui s'ajoutent aux innombrables nids-de-poule. Le revêtement du chemin qui vient de Draâ El Mizan s'arrête à l'entrée sud du village. Travaillant une pâte à l'aide de deux raclettes, il fulmine : « Ce qui prouve que de l'autre côté, des efforts sont en train de se faire, contrairement à ce que font nos notables. » Le village n'est doté d'aucune structure publique. Il n'y a pas d'aire de jeux et pas de foyer pour les jeunes. A défaut d'une salle de soins, « on se déplace pour un simple bobo en ville ou à Draâ El Mizan qui se trouve à 10 km d'ici ». Ce qui n'était qu'un hameau s'étend et ses besoins grandissent. L'assainissement est inexistant. Les eaux usées sont rejetées dans les champs et dans des fosses septiques improvisées aux abords de la route. L'eau est l'un des problèmes de taille que vit pratiquement toute la circonscription. « Nos foyers sont alimentés en eau une à deux fois tous les deux mois. En plus, la conduite qui approvisionne le village est très petite, du 40 mm de diamètre », ajoute un riverain. Des bras de fer entre la population et les autorités locales ne manquent pas. Il y a deux ans, raconte le tôlier, « les habitants ont dû fermer les deux châteaux d'eau qui alimentent certains quartiers en ville, pour réclamer une distribution équitable de l'eau ». A l'APC, aucun projet n'est programmé pour Tala Mokrane, excepté 2,8 millions de dinars qui sont alloués pour un projet d'assainissement dont les travaux n'ont pas encore commencé. Tout compte fait, les habitants devront compter, et ce pour un peu plus longtemps sur les services de Brahim, du moins, en provisions, en attendant l'aménagement de leur village.