Les travaux de la 4e Conférence internationale de Tokyo pour le développement en Afrique (TICAD IV) s'ouvrent, aujourd'hui, dans la ville portuaire de Yokohama, au Japon, dans un contexte mondial marqué par une flambée sans précédent des prix des matières premières et une crise alimentaire aiguë en Afrique. Ces données pour le moins alarmantes font que cette quatrième édition de la TICAD, contrairement aux rencontres précédentes, ont suscité un fort intérêt des médias internationaux (ils seront près de 1800 à suivre l'événement). L'attention des médias est accentuée, il faut le dire, par les luttes d'intérêts et d'influences que se livrent, ces dernières années, les grandes puissances économiques par sociétés interposées pour l'accès aux matières premières en Afrique. De nombreux observateurs ici à Tokyo n'hésitent pas, à ce propos, à citer l'exemple de la « voracité » sur le continent africain de la Chine, un pays dont les succès commerciaux enregistrés dans de nombreuses régions semblent véritablement donner des cauchemars pas seulement au Japon mais aussi au Etats-Unis et à l'Europe occidentale. Il s'agira, donc, pour la cinquantaine de représentants des pays africains, dont ceux de l'Algérie (Ahmed Ouyahia en tant que représentant spécial du président Bouteflika) et Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines), devant participer aux travaux de la TICAD IV, outre de réfléchir au moyen d'accélérer la croissance, d'assurer la sécurité humaine et de prendre en ligne de compte dans la gestion, à l'avenir, les questions liées à l'environnement en Afrique, de veiller également à ce que le continent ne se transforme pas, lors des prochaines années, en un champ de bataille pour les grandes compagnies occidentales, asiatiques et américaines et de faire en sorte à ne pas rester ad vitam aeternam le parent pauvre de la mondialisation. L'Afrique, terre de conflits entre puissances économiques De nombreux journalistes africains présents à Yokohama n'hésitent pas en ce sens à dénoncer le fait que la majorité des gouvernements africains ont toujours du « fil à la patte » et ne travaillent pas pour les intérêts de leur peuple. Ils redoutent en effet que les rivalités entre puissances économiques deviennent un facteur supplémentaire de déstabilisation pour le continent déjà à genoux en raison de la multiplication des conflits, de la famine et des maladies. Ajouter à cela, les observateurs africains deviennent de plus en plus soupçonneux à l'égard des initiatives lancées au profit de l'Afrique « emballées » sous le label de l'assistance technique et de l'aide au développement. Ces derniers estiment, à cet effet, que l'altruisme manifesté par les « grands » de ce monde à l'égard de l'Afrique est « une duperie qui cache en réalité une nouvelle forme d'exploitation et de mercantilisme ». Et pour beaucoup, le gros des pays engagés dans l'humanitaire n'ont pour objectif que de se faire une place au soleil en Afrique à peu de frais pour pomper ses ressources naturelles. A ce propos, les moyens qualifiés d'« insignifiants » et de « risibles » investis dans ces actions humaines participent, pour beaucoup, à alimenter la crise de confiance qui caractérise les relations entre l'Afrique et les pays développés. Bien entendu, le gouvernement japonais — qui a fait également parvenir des cartons d'invitations à 12 pays d'Asie et à plusieurs organisations affiliées à l'ONU pour participer aux travaux de la TICAD IV — récuse fortement ses accusations et se défend de l'idée selon laquelle sa contribution apportée au développement du continent est conçue dans le seul but de se frayer un chemin vers les marchés africains. Pour prouver leur bonne foi, les autorités japonaises ont tenu à rappeler, il y a moins d'une semaine à Tokyo, les progrès réalisés par l'Afrique en termes de croissance économique grâce aux efforts déployés dans le cadre de la TICAD, initiative lancée par leurs soins en 1993. La mise sur pied de l'initiative du NEPAD par l'Afrique est aussi citée par les responsables japonais comme un motif de fierté dans la mesure où ils estiment avoir grandement contribué à convaincre les Etats africains de se doter de moyens susceptibles de leur permettre de sortir du cercle vicieux de l'assistance et d'être les artisans de leur propre développement. Projets d'avenir et retour sur l'investissement Si le Japon attend quand même, dans le futur, un « retour sur l'investissement » pour tous ses efforts investis pour permettre aux Africains de relever la tête, il reste que sa principale ambition, a indiqué un responsable du ministère japonais des Affaires étrangères (MOFA), reste de rééditer en Afrique le miracle qu'il a accompli en Asie. Prouesse qui a donné naissance aux dragons asiatiques (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taiwan), des pays dont la vitalité économique donne actuellement le vertige. Partant, le directeur général des affaires africaines au ministère des Affaires étrangères, Masato Kitera, s'est dit persuadé que « cette TICAD à laquelle sont conviées près de 5000 personnes sera historique » dans la mesure où elle participera à tracer des perspectives nouvelles pour l'Afrique. Un continent où, affirme-t-on, le Japon compte bien jouer un rôle majeur. Et pour ce faire, le gouvernement japonais a décidé de réorienter une bonne partie de son aide publique (APD) accordée justement jusque-là au développement de l'Asie (80%) vers l'Afrique. A l'avenir, le continent africain devrait accueillir 40% des aides publiques japonaises au développement. En attendant, le Premier ministre japonais, Yasuo Fukuda, a annoncé mardi la décision de son pays de doubler d'ici à 2012 son aide à l'Afrique pour soutenir les efforts de développement du continent. Actuellement de 1,7 milliard de dollars/an, celle-ci sera portée à 4 milliards de dollars/an et sera consacrée au développement, entre autres, des infrastructures et au soutien des transferts des technologies. De hauts responsables japonais ont aussi indiqué hier que leur gouvernement créera un fond doté d'une enveloppe de 2,5 milliards de dollars pour garantir les investissements qu'effectueront à l'avenir les entreprises japonaises sur le continent. Pour prouver que le Japon ne s'intéresse pas uniquement aux matières premières africaines, il est prévu qu'une délégation d'une centaine d'hommes d'affaires nippons présidée par un haut responsable japonais entreprenne une tournée en Afrique avant la fin de l'année pour se faire une idée sur les opportunités d'investissement qu'offrent les pays africains. Au titre des règlements des conflits — domaine dans lequel semble vouloir également s'investir le Japon — l'on a annoncé la tenue à Yokohama, en marge des travaux de la TICAD IV, d'une commission ad hoc entre le Soudan et des pays frontaliers pour tenter de désamorcer la crise qui secoue la région de l'Afrique de l'Est. C'est aujourd'hui, lors de l'ouverture des travaux de la conférence internationale sur le développement de l'Afrique (TICAD), qui s'étaleront jusqu'au 30 mai, que le Premier ministre Yasuo Fukuda dévoilera les détails de cette sorte de « plan Marshall » japonais pour l'Afrique. A signaler, en outre, que le Japon vient de fournir à l'Afrique, l'Afghanistan et aux Palestiniens pour plus de 53 millions de dollars US d'aide alimentaire. Il s'agit du premier versement des 100 millions de dollars promis par le Japon le mois dernier au titre de l'aide alimentaire d'urgence sur trois mois. La majeure partie de cette aide sera distribuée par le biais du Programme alimentaire mondial (PAM) au Soudan, au Kenya, à l'Ouganda, à l'Afghanistan, aux Palestiniens et à d'autres régions souffrant de carences alimentaires chroniques. Tokyo a fait savoir aussi qu'il allait accorder 560 millions de dollars US pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en Afrique. Ajouter à cela, le Japon, qui accueillera le sommet du G8 au début du mois de juillet à Hokkaido (nord), s'est engagé à faire du développement du continent africain une priorité lors de sa présidence en 2008 du groupe des pays les plus industrialisés de la planète.