Sur son « tableau de chasse », achalandé de noms ramenés avec « zorna et bendir » puis biffés de ses tablettes, Algérie Télécom est en passe de détenir le triste record national en termes de disgrâces. Trois ex-PDG et pas des moindres ont été déjà poussés à la porte de sortie en moins de 24 mois. Lamentablement. Il s'agit de Brahim Ouarets, écroué pour une affaire de dilapidation de biens publics en mai 2006, Kheireddine Slimane, exclu pour, dit-on, ses « contre-performances » en décembre 2007 et tout récemment l'infortuné Mouloud Djaziri. De l'intempestif limogeage de ce dernier, les gazettes ont fait leur chou gras. C'est que l'homme a refusé la muselière. D'ailleurs, ses vérités ont fait bougrement mouche et surtout lézardé la « sérénité olympienne » des pouvoirs décisionnels. A la lumière de cette polémique qui demeure étrangement entourée d'un épais secret de l'alcôve, des interrogations se posent et pèsent sur la façon peu orthodoxe avec laquelle les pouvoirs publics en Algérie « traitent » les gestionnaires des EPE et autres cadres. Aujourd'hui, les PDG ou DG des EPE sont-ils choisis selon des critères de compétences et d'aptitudes hautement avérés ? Qui prime dans les choix de ces mêmes cadres : le C.V. bardé de diplômes ou le clientélisme et la cooptation ? Jouissent-ils d'une totale autonomie de gestion consacrée, d'ailleurs, par le code de commerce ? Ont-t-ils, en trois mots, les coudées franches ? Autres temps… mêmes mœurs ! Ouvert à une concurrence tous azimuts, mondialisation oblige, le marché économique national traîne à son pied comme un boulet une noria de pratiques « contre nature », nées au lendemain des années Boumediène. Les propos de Djilali Hadjadj, journaliste et président de la section algérienne de Transparency International, ONG de lutte contre la corruption, basée à Berlin en Allemagne, sont révélateurs de la prédominance au plus haut niveau de l'Etat du clientélisme et de l'allégeance au prince du moment. Selon lui, la gestion des carrières des dirigeants d'EPE n'obéit pas aux lois en vigueur, mais répond beaucoup plus à des « tractations et des luttes intestines au sein du pouvoir et des décideurs ». Dans ce contexte, il est utile de rappeler un fait saillant qui semble s'inscrire dans le cadre de ces luttes muettes « in vitro » de l'appareil de l'Etat. Mars 1996, l'Algérie, alors exsangue, voit désespérément ses « cerveaux » prendre la direction d'autres cieux bienveillants. L'ancien chef du gouvernement, Mokdad Sifi, promulgue une circulaire portant la mise en place d'un système de sélection sur la base de candidature. Objectif : constituer un fichier dans lequel sera puisée l'éminence grise nationale. La directive n'a pas longtemps survécu après son départ. Son successeur l'a annulée illico presto sans véritables raisons. Voulait-on placer d'autres personnes plus sûres ? Rien n'est moins sûr ! M. Hadjadj pense que les personnes à la tête des EPE n'ont jamais eu les coudées franches pour diriger d'une manière autonome et sans interférences leurs entreprises. D'après lui, la soumission et l'allégeance sont la clé de voûte pour se voir déployer le tapis rouge de la reconnaissance officielle. S'il est avéré que certains PDG, DG ou cadres, souvent laudateurs, courbent docilement l'échine devant la pression, il se trouve que certains « électrons libres » réprouvent ce genre d'immixtions. D'où parfois des coups de sang inattendus et bruyants. « Autonomie de gestion virtuelle » M. Benyounès, président de l'Union nationale des entrepreneurs publics (UNEP), parle pour sa part, d'une forme « d'interventionnisme » qui ne dit pas son nom. « Les Sociétés de gestion des participations (SGP) doivent agir normalement par le biais de l'assemblée générale de l'entreprise. Or, entre une assemblée générale et une autre, il y a des interventions directes via les SGP ou le ministère. L'autonomie n'a pas été exercée complètement », déplore-t-il. Mieux encore, il avoue que les lois portant autonomie des EPE instituées en 1988 n'ont pas été appliquées. « Les entreprises étaient sous le monopole. Ce passif lourd n'a pas été pris en compte au moment de l'entrée en autonomie », explique-t-il. M Benyounès ira jusqu'à dire que l'autonomie de gestion, quoique consacrée par la loi, est virtuelle. Il déplore le fait que les chefs d'entreprises soient l'objet d'une « suspicion étouffante ». A ses yeux, l'ordonnance n°07-01 du 1er mars 2007, relative aux incompatibilités et obligations particulières attachées à certains emplois et fonctions ou de l'extension des missions de l'IGF (Inspection générale des finances), ne permet pas aux gestionnaires des EPE de travailler librement. « On est amenés à prendre mille précautions », dira-t-il. Il faut relever, par ailleurs, que les pouvoirs publics assistent les yeux mi-clos à une saignée à blanc des entreprises économiques. Le ver est-il dans le fruit ? Certainement ! Surtout à voir de plus près les scandales à répétition qui n'en finissent pas de ternir l'image de marque de l'Algérie. Les mécanismes de lutte mis en place pèchent par « l'absence de volonté manifeste », estime le représentant de TI en Algérie. Dire ou taire le mal ? Importante et nécessaire à la fois, l'implication de la société civile dans la dénonciation de la corruption est réduite à sa plus simple expression dans la loi de 2006. Une épée de Damoclès trône sur la tête des dénonciateurs de cas avérés de corruption. De quoi désespérer le plus probant et consciencieux des responsables. En effet, au lieu d'inciter les services concernés à diligenter des commissions d'enquête sur les faits liés à la corruption, celle-ci (la loi) privilégie plutôt des sanctions contres « les dénonciations calomnieuses ». De nombreuses personnes, qui croyaient naïvement défendre l'intérêt de leur entreprise, n'ont pas hésité à tirer le diable par la queue. Résultat : sont-ils nombreux à être épargnés ? Echantillon : ancien responsable syndical et cadre à l'Etablissement national de navigation aérienne algérienne (Enna), Tahar Bououni, a été chassé de son entreprise comme un « vulgaire malfrat », dira-t-il, et ce, pour avoir dénoncé le détournement et la dilapidation de biens publics au sein de l'Enna. La machine répressive, se souvient-il, n'a pas tardé à actionner son bras. Licenciement et représailles. Selon lui, il a même passé 17 jours à la prison d'El Harrach pour une action en justice qui avait été intentée à son encontre pour une affaire d'agression, de surcroît sans témoin sur un agent de sécurité de l'Enna. « Une affaire cousue de fil blanc », dénonce-t-il. M Bououni n'a pas été épargné par la « vendetta administrative ». Il s'est retrouvé sur un autre chemin de croix pour bénéficier des avantages de sa retraite. Cet épisode témoigne, si besoin est, sur l'exercice périlleux de prendre le chemin de la dénonciation en Algérie. En somme, il ne faudrait pas s'étonner si des responsables et cadres des entreprises ou d'institutions étatiques gardent, la mort dans l'âme, la langue dans la poche. Mouloud Djaziri, qui a dégainé la sienne vitriolée, a-t-il versé dans la dénonciation calomnieuse ou a-t-il vu juste ?