Un mois après les évènements, Berriane renoue avec la sérénité. Les violences qui ont endeuillé les familles des deux communautés mozabite et arabophone ont causé des blessures difficiles, mais pas impossibles à panser. Quelques familles ont fini par partir après avoir tout perdu. Pour tous les notables, l'espoir est néanmoins permis grâce à la réussite des examens de fin d'année. Berriane (Ghardaïa) : De notre envoyée spéciale Quelques camions de police à l'entrée et à la sortie de la ville, et des policiers d'intervention sillonnant les artères. Berriane donne l'impression de renouer avec la sérénité. Magasins et administrations fonctionnent normalement, et les jeunes, agglutinés autour des nombreux cafés de part et d'autre de la ville, discutent le plus normalement du monde. La ligne de démarcation, tracée par un cordon de sécurité déployé lors des évènements du 16 mai dernier, a disparu. Les quelque 2000 policiers et gendarmes ramenés en renfort pour rétablir l'ordre dans cette ville sont toujours présents, mais sont plus discrets qu'il y a un mois. Tout semble baigner dans l'huile, en dépit d'une blessure profonde engendrée par les dernières violences qui l'ont secouée entre le 16 et le 18 mai dernier. Les affrontements entre Mozabites et arabophones ont fait deux morts et au moins une soixantaine de blessés, alors que les dégâts enregistrés sont énormes : 240 logements et 35 commerces incendiés. Une situation tellement difficile qu'elle a fini par pousser au départ au moins cinq familles composées de plus d'une trentaine de personnes. Le départ a été dur, mais « réfléchi », nous déclare un des voisins, expliquant que « ces familles ont déjà perdu deux des leurs, tués lors des évènements de 1990, et cette fois-ci elles ont perdu leurs maisons. Elles habitent Kef Hamouda, l'un des quartiers qui ont été le théâtre d'affrontements les plus violents. Elles ont été menacées de mort et ont fini par abandonner leurs biens ». Les proches que nous avons pu contacter sur place à Berriane refusent que les noms de ces familles soient rendus publics. Néanmoins, ils racontent qu'elles sont parties à l'étranger, où un des leurs est installé depuis des années. « Ce dernier était chargé de préparer le terrain pour leur accueil », explique notre interlocuteur. Il précise que les familles ont déjà appelé (par téléphone) leurs proches leur annonçant leur arrivée dans de bonnes conditions. La nouvelle fait vite le tour de la ville, mais sans pour autant provoquer une quelconque réaction. « Nous savons que cette famille a beaucoup souffert, et comme elle avait déjà quelqu'un installé à l'étranger, elle a préféré quitter Berriane. Mais ce n'est pas le souhait de tout le monde. Ici, chacun sait que Berriane est sa ville. L'exil n'a jamais résolu les crises », estime Nasreddine Hadjadj, le maire de Berriane. Il nous explique que le nombre de 37 personnes de la même famille était un peu exagéré. « Nous nous sommes rendu compte de ce départ à l'examen de la sixième lorsqu'une des petites filles de cette famille ne s'est pas présentée. Nous avons su par la suite qu'elle est partie avec ses parents et ses oncles, les quatre frères vers le Nord, sans plus. Ce qui est important, c'est que ce fait est resté un fait banal pour la population. Celle-ci est beaucoup plus préoccupée par les examens et le retour à une vie normale », ajoute le président de l'APC de Berriane. En effet, un mois après les évènements, même si les deux communautés qui vivaient en parfaite harmonie depuis des lustres ne laissent rien transparaître de leurs sentiments d'animosité, certes, en déclin, les traces de la fumée sur les murs des maisons et des magasins ainsi que les portes fracassées témoignent de la violence qui s'est abattue sur les quartiers de rive est, où résident les arabophones, et ceux de la rive ouest, où se trouvent les Mozabites. Les sinistrés se comptent dans les deux rangs. Du côté ibadite, plus de 300 familles sont recensées, parmi lesquelles une quarantaine a tout perdu et s'est retrouvée dans la rue. Elle s'est regroupée dans 18 classes d'une école primaire et d'un collège situés sur la route de Gourara, à quelques centaines de mètres d'une caserne militaire. Vivant dans des conditions inhumaines, sous une chaleur insupportable, ces sinistrés, notamment des enfants en bas âge, ne survivent que grâce à la générosité de leur communauté. Depuis, es évènements, les autorités ne sont passées qu'une seule fois pour distribuer 1000… baguettes de pain. « La réconciliation est une question de temps » Sur l'autre rive, 165 familles (malékites) ont perdu leurs maisons et commerces. Livrées à leur triste sort, elles se démènent tant bien que mal, en comptant sur une solidarité étatique qui arrive au compte-gouttes. A peine 180 quotas de provisions alimentaires à hauteur de 2000 DA par famille ont été distribués par les services de la direction de l'action sociale (DAS). Depuis, aucune visite n'a été entreprise par les autorités. Les délégations d'abord des députés composant la commission d'information parlementaire, puis celles des élus de la wilaya se sont croisées dans les maisons des notables, mais sans pour autant sortir avec une quelconque décision. « Le premier test pour la ville a été les examens de fin d'année. Nous avons avec l'aide de la direction de l'éducation fait en sorte que la sixième, le BEM et le bac se déroulent au centre de la ville. Au début, les gens avaient peur, mais après, tout s'est bien déroulé. Le taux d'absentéisme est vraiment dérisoire par rapport à celui des années précédentes. Ce qui prouve que nous pouvons vivre comme avant », déclare le maire de Berriane, Nasreddine Hadjadj, d'obédience RCD. Très dynamique, ce jeune croit beaucoup en l'avenir prometteur de sa ville. Pour lui, il « faut juste du temps pour amener les gens de part et d'autre à évoluer ». Il explique que la réconciliation entre les deux communautés ne peut être imposée par l'autorité. « Elle doit venir des gens eux-mêmes. Sinon toute initiative est vouée à l'échec. Les enfants qui ont passé leurs examens et les volleyeurs handicapés de Berriane qui ont décroché le titre de champions d'Algérie ont donné une leçon de tolérance aux adultes. Tout le monde est aujourd'hui conscient que nous ne pouvons vivre avec un mur de séparation entre les deux communautés », ajoute le président de l'APC. Pour cet élu, ce qui s'est passé à Berriane n'a rien à voir avec les situations d'émeute qui ont marqué les autres régions du pays. « Il ne s'agit pas de révolte pour le travail, le logement ou toute autre revendication socioéconomique. D'ailleurs, même les incendies n'ont concerné que les maisons et les commerces. Aucun édifice public n'a été touché. En fait, des gens malintentionnés ont attisé les animosités entre les deux communautés et incité à la violence. Les étincelles par-ci, par-là qui ont précédé les évènements n'ont pas été prises au sérieux. Les autorités ont laissé faire jusqu'à ce que la situation soit devenue intenable. Lors des premières échauffourées qui ont éclaté au mois de mars dernier, à l'occasion de la fête du Mawlid ennaboui (naissance du Prophète), seuls les locaux commerciaux ont été incendiés. Il aurait fallu, à ce moment précis, prendre les mesures qu'il fallait pour punir les auteurs. L'impuissance des autorités a poussé les incendiaires à revenir à la charge pour mettre le feu aux poudres et passer à un niveau supérieur de violence, à travers les attaques et les razzias contre les maisons. Certains habitants qui ne voulaient pas quitter leurs demeures ont été menacés de mort par leurs propres voisins. Ils ont tout abandonné pour se retrouver dans la rue », explique M. Hadjadj. Il note néanmoins que l'espoir est aujourd'hui permis, puisque les deux communautés ont réalisé à quel point ces évènements leur ont porté préjudice et nui à leur image. « La réconciliation est inévitable, il faut juste un peu de temps pour y arriver. D'ici la rentrée scolaire, tout redeviendra comme avant », souligne-t-il. M. Hadjadj conclut en affirmant que l'espoir est permis, après que le Club espoir de volley assis pour handicapés ait décroché la coupe d'Algérie. « Cette équipe est composée de joueurs handicapés des deux communautés. Même le staff technique est constitué de Mozabites et d'arabophones. Ses exploits ont mis du baume dans le cœur et poussé les gens à faire une petite pause et à se remettre en cause. » Ce sentiment est exprimé par de nombreux notables avec lesquels nous nous sommes entretenus durant notre séjour à Berriane. Les propos sont plus sereins et plus tolérants qu'il y a un mois. Est-ce la fin d'un cauchemar ? On n'en sait rien.