Telle une phrase cinglante et vrombissante de tourments, le serpent d'acier filait à grande vitesse vers un cadavre encore chaud sur une plage vide comme un rectangle (…). Tout un pays s'était décidé à plonger, la tête la première, dans le néant, silencieusement et inéluctablement, ne lui restait-il pas à lui, Djoudet Malakout (1), commissaire de police à la retraite, qu'à se hisser vers le haut ? En criant. Criant plus fort que sa chute… ». Quelle audace, (Adlène Meddi aurait préféré dire : quel culot !), écrire un « polar » tout en distillant de belles épigraphes poétiques ! Pourtant, Adlène Meddi l'a fait ou plutôt « l'a commis ». En bon écrivain, cultivé, bon vivant, blagueur (dans le bon sens), cultivant l'humour noir et… blanc, il a « craché » toutes les facettes de son « génie algérois », méditerranéen, « sudiste » (par rapport au Nord, à l'Europe !), africain et berbéro-arabe (je vise sa culture personnelle) dans La prière du Maure (2) Déjà, le titre (La prière du Maure). Le Maure (3) c'est Djoudet Malakout, mort -vivant qui brave toutes les… morts ! A la fin, on l'achève pour de bon : « Le tueur retint son souffle, comme pour prendre une photo, et pressa sur la détente. Sur le sable léché par la mer, le corps de Djo (Djoudet Malakout) s'affaissa. » Comme son ancêtre « Le Maure », Djo attendait cette mort avec une passion « jurghurtaienne ». Juste quelques secondes avant sa plongée dans l'au-delà, il se confesse : « Je suis la nuit et ses reflets bleus sur les murs d'immeubles loin de ton lit de mort, femme aimée et fauchée par une autre mort. Je suis, et je me souviens de toi, de ce cancer qui t'a emportée alors que j'étais pris par les balles, la kalachnikov et le pays tout entier. Je suis mes massives et inutiles excuses. Je suis ce père indigne que le fils a renié. Je suis ta part morte, fils bien aimé et éloigné. Vie portée comme une douleur. Et enfin ce moment pour sortir, partir de cette douleur comme une balle qui brusquement se libère du canon d'une arme. » Jughurta, qui a « délaissé » sa femme (4) pour aller combattre les Romains a certainement pensé la même chose, ou à peu près la même chose, quelques secondes avant sa mort, lui qui était pris par « le pays tout entier ». Le Maure rebelle (pourrait-il être autrement, lui qui n'a jamais connu… la paix, tellement les envahisseurs et autres vautours étaient nombreux !) voyage jour et nuit (même dans ses rêves cauchemardesques) les cadavres. Avec le temps, ils sont devenus (pour lui) des cadavres de rois encore glorieux déposés au jardin de la mort où la peine a son havre… Et, au-delà, c'est l'horizon d'acier, le cercle des hauteurs d'Alger et la horde éternelle, galopante de ces sombres fantômes, de ces rapaces vautours que le vent pousse devant lui à coups de fouet et de hurlement de… mort ! Le Maure de Adlène Meddi ne parle que de… mort ! Djo, le commissaire d'Alger des années 1990 confondait le bonheur et… La mort. En fait, la plupart des Algériens confondaient, à l'époque, bonheur et… mort ! Mais, La prière du Maure est un beau roman. Il est beau comme La veuve de M'hamed Issiakhem, ce portrait exécuté par notre célèbre peintre en 1959, pour symboliser les horreurs de l'armée coloniale. En effet, La veuve a un visage décharné, des yeux horrifiés et des traits de… morte ! Mais quel beau tableau, s'exclament tous les connaisseurs depuis… 1959 ! Certains disent même que c'est le plus beau tableau de M'hamed Issiakhem, que c'est La Joconde de… l'Algérie. Le roman de Adlène Meddi a cette belle couleur des Maures, des Dieux africains. Il n'a rien à envier à L'Aveugle au pistolet, de Chester Himes ou à Pas d'orchidées pour miss Blandish de James H. Chase, deux romans noirs et beaux comme… la mort, comme le Maure, l'éternel mort ! 1) Alias Djo qui veut dire en arabe : ambiance, mauvaise humeur. Djoudet Malakout veut dire « Le généreux Dieu », ou « Le généreux royaume des cieux » 2) Edition Barzakh, Alger 2008. 3) D'après Charles A. Julien : « Les Maures » sont les cousins des « Numides ». Le dernier royaume des Maures s'étendait de l'actuelle Maurétanie à Sétif. 4) Elle était la fille de Boukhos Le Maure. Ce dernier a invité Jughurtha chez lui, soi-disant pour reprendre son épouse, mais en fin de compte, il l'a livrée aux Romains.