Le clavier des mots serait, selon certains théoriciens et praticiens de l'art pictural, vraiment indigent, voire incapable de rendre toutes les nuances de la pensée. Un tel jugement, quelque peu, sinon trop expéditif, pourrait s'appliquer aussi à la palette des peintres depuis le grand branle-bas impressionniste de la fin du 19e siècle. Ne dit-on pas, depuis Eugène Delacroix (1798-1863), que la passion d'écrire est allée de pair avec celle de peindre ? Elle aurait même gagné le monde des musiciens à travers le grand compositeur Hector Berlioz, (1803-1869), qui avait, lui aussi, une belle plume. Même si chaque créateur artistique a su bien garder sa bergerie, le chevauchement entre peinture, musique, sculpture et expression littéraire a permis de donner naissance à nombre d'écrits hautement littéraires. Au 6e siècle déjà, le poète, Antar Ibn Chaddad (525-615), s'exclamait dans sa fameuse ode : « Les poètes, me laissent-ils quelque chose à empiécer ? ». Pourtant, la poésie était encore une terre qui ne demandait qu'à être défrichée ! Lui faisant écho, trois siècles plus tard, le grand prosateur, Al-Djahiz (776-868), devait trancher sur le vif : « Les idées sont, pour ainsi dire, étalées en bordure de route, et les écrivains n'ont donc qu'à faire leur choix ! » On pourrait en dire autant pour tout ce qui toucherait aux divers secteurs de la création artistique puisque le même écho assourdissant se reproduit sous toutes les latitudes. En contemplant les œuvres picturales depuis la naissance du mouvement impressionniste, on pourrait bien s'interroger si vraiment le gros de la production du coloriage a pris fin avec les peintres de ce mouvement. En effet, depuis Claude Monet (1840-126), la cohorte des artistes-peintres semble s'être exprimée de manière très pointue, au point de nous faire croire que tout a été dit en matière de couleurs. Celles-ci ont été le sujet par excellence de tous les impressionnistes qui en ont, en quelque sorte, raclé le fond. Pourtant - c'est là l'essence même de la création artistique et littéraire à la fois -, tout reste à dire dans le monde de la peinture comme dans celui de la littérature même si, parfois, l'horizon vient à s'assombrir aux yeux des écrivains comme ceux des peintres. Il reste qu'il est plus aisé de varier en littérature plutôt qu'en peinture. De fait, depuis la fin de l'ère impressionniste, les peintres ont eu à expérimenter diverses approches qui, si elles ne se ressemblaient pas beaucoup dans le fond, trahissaient, en revanche, une espèce de déroute vis-à-vis des sujets abordés dans leurs œuvres picturales. Victor Hugo, Paul Valéry, Henri Miller, Henri Michaux et tant d'autres grands écrivains dessinateurs sont là pour nous démontrer qu'il est toujours facile d'enjamber le monde de la création artistique sans pour autant croire à cette indigence qui, au dire de certains critiques, frapperait le clavier des mots uniquement. De leur côté, les peintres n'ont cessé de prouver que la palette des couleurs ne risquait pas d'être épuisée.