Un parcours artistique vivant où dominent une philosophie de vie et un goût prononcé pour la prise de risques. En fin d'études, vous aviez soutenu un mémoire sur le tatouage. Qu'est-ce que ce travail vous a apporté ? Depuis mes débuts, je reste sur le même questionnement. Qu'est-ce que la peinture ? A quoi sert-elle ? Qu'est-ce qu'elle apporte ? Toute création est une marche qu'on entame sans connaître l'issue. Il y a des gens qui prennent des chemins tout tracés, d'autres qui prennent des raccourcis. Dans ma vie de plasticien, je crois que j'en ai pris beaucoup et ils m'ont obligé à aller vers d'autres champs… Mais quand on prend des raccourcis, c'est qu'on connaît sa destination ? Un peu, oui. Quand on commence, on a envie d'arriver vite à son style et d'être vu, connu et reconnu. Après, comme disait Djamel Amrani, on fait des rencontres contagieuses. Je suis quelqu'un de très influençable, dans le bon sens, je veux dire sensible. Quand je rencontre une personne qui m'apporte, je n'hésite pas à apprendre d'elle. J'écoute, j'observe, je m'imprègne. Pas seulement des artistes, cela peut être un berger ou un marchand de légumes. S'il m'apprend quelque chose, ne serait-ce qu'un mot, il peut rester longtemps dans ma mémoire. Et cela agit sur mon travail. Vous comptez bien sûr parmi ces personnes Martinez qui a été votre professeur d'atelier… Il a été pour beaucoup dans mon évolution. C'est un artiste qui n'a pas eu la place qu'il mérite. J'aime dans son parcours, la période Aouchem et celle actuelle. J'ai l'impression qu'entre les deux, il a perdu du temps. Ce qu'il faisait au temps d'Aouchem était déjà avant-gardiste. Ses totems, ses créations en fil de fer, ses questionnements sur les rites… c'était déjà de l'art conceptuel. Comment voyez-vous le mouvement Aouchem avec le recul ? J'ai beaucoup discuté de ces questions avec Martinez. Je lui disais qu'il fallait faire renaître Aouchem. Ce n'est que plus tard, avec des amis étudiants dont Yamo, Djafar, Ould Mohand, Kichou et d'autres qui sont devenus des artistes connus, qu'il a compris qu'il y avait quelque chose à faire. Ce que je reprochais aux aouchemistes, c'est qu'ils travaillaient sur le signe en tant que forme en délaissant le contenu. Un signe est comme un verre : il peut être empli d'eau, de thé, de vin… C'est donc le contenu du verre qui compte par rapport à la forme. Selon vous, Aouchem a généré un formalisme ? Oui. Dès qu'on voyait un signe, on disait que vous étiez aouchemiste. Là est le danger, créer en quelque sorte une recette. Une école peut créer des recettes, c'est facile car il suffit d'appliquer des modes d'emploi. Aujourd'hui comment considérez-vous votre propre parcours ? Quand j'étais étudiant, j'avais demandé à Khadda de le rencontrer. A l'époque, il y avait très peu d'expos. On entendait parler de certains peintres sans les voir. Il a accepté de me recevoir chez lui. C'était une rencontre mémorable. Je lui ai montré quelques peintures. Il m'a demandé de les lui laisser une semaine et quand je suis revenu les reprendre, il avait écrit un petit texte sur mon travail. C'était énorme pour un jeune étudiant ! Ce texte a fait beaucoup pour moi. Khadda m'y disait : heureusement que tu ne connais pas encore le Tassili. Tu peins un Tassili imaginaire. Si tu le visitais, tu ne pourrais plus le faire. Cette idée de peindre à travers un imaginaire a germé en moi. Je me suis dis : je peins quelque chose que je pense connaître et c'est tant mieux. Après, ma peinture a pris vraiment le chemin de l'abstraction. Maintenant, je reviens à une peinture de sujet avec une pointe de figuration après près de 15 ans. Pour revenir au tatouage, ce qui m'avait intéressé, c'est que les auteurs de ces œuvres, comme les peintures rupestres ou le graffiti, nous sont inconnus. Il ne reste que la trace de leurs gestes. J'ai donc pris ce qui s'efface avec le temps : l'usure, l'empreinte… Plus tard, dans mes émissions à la radio, cette thématique est apparue aussi, comme cette année, avec timithar, l'empreinte, un mot très beau que j'ai pris du berbère marocain qui veut dire trace, ruine, vestige… Il vient sans doute de l'arabe athar ? Peut-être oui, un mélange des mots. En 91-92, vous avez séjourné à la Cité internationale des arts de Paris. Vous auriez pu rester en France comme tant d'autres. Vous ne le regrettez pas ? Non. A cette période, je lisais Ibn Arabi. Un de ses textes qui m'a marqué. Un maître demande à son disciple : « Qu'est-ce qu'un homme de bien ? ». Réponse bête de l'élève : « Celui qui sait faire la différence entre le bien et le mal ». Non, lui dit le maître. Et pendant des années, l'élève parcourt le monde avant de rentrer bredouille. Le maître lui dit alors : « C'est celui qui, entre deux choses identiques, sait choisir la meilleure ». Je prends toujours l'exemple de deux pommes : même couleur, même apparence, poids, taille. L'artiste c'est celui qui dit : je préfère celle-là. Nous, les Algériens, on ne choisit pas : djib bark (ramène seulement), maaliche (ça ne fait rien)… Finalement, l'art apprend aux gens à choisir. Quand on peut choisir, il faut choisir. Sinon, on choisit pour vous. Plus tard, dans la politique, on a entendu des gens dire qu'entre la peste et le choléra, on ne choisit pas. C'est une erreur. Même devant la mort, un être préfère être tué par balle que périr par le feu. Il faut toujours ramener les projections philosophiques à la vie. La Cité des arts a été une expérience très intéressante. J'ai rencontré des gens venus d'horizons divers C'était aussi la première fois que j'avais un atelier. Ici, j'étais connu pour être un artiste SDF. Je dessinais dans les cafés, les gens se demandaient où je peignais. Un artiste nomade, hébergé pas des amis, dont Martinez, Issiakhem, Kateb Yacine… Etre SDF chez des gens pareils, ça valait le coup, non ? C'est sûr et c'est pourquoi je ne regrette pas. Vous êtes un décorateur apprécié au théâtre et au cinéma. Œuvres alimentaires ou passion ? Franchement, les deux. Maintenant, je vis de mon travail d'artiste. Avant, je vivais de mon travail de peintre seulement. Quand j'étais à la galerie Esma, j'ai vécu un peu de ça. Je n'avais pas trop d'exigences personnelles, ça marchait assez bien. Maintenant, mes exigences dans l'art, mes lectures, mes voyages, mon loyer et mes charges, m'obligent à travailler en dehors de ma peinture. Mais, au départ, il y avait une curiosité. A la fin de mes études, j'ai eu une bourse pour l'Allemagne, mais à cause du service national, j'y ai renoncé. Tant mieux, car si j'étais parti, je n'aurais jamais fait le chemin que j'ai parcouru. Vous vous souvenez de ma première exposition au centre culturel de la wilaya d'Alger en 1981. La même semaine, j'ai commencé à Algérie Actualités. J'y ai rencontré des gens magnifiques, une vraie école, importante pour moi comme pour le journalisme algérien. La même année aussi, j'ai travaillé au TNA avec des gens merveilleux comme feu Medjoubi, Ziani-Chérif, Fellag etc. Le cinéma est venu plus tard. Fellag m'a présenté à Hadjadj qui cherchait un décorateur pour Machahou et il m'a donné ma chance. Aucun de ceux-là ne se prétendait artiste et ils m'appelaient l'artiste ! Le cinéma et le théâtre ont enrichi mon écriture picturale, le geste, le mouvement, la présence humaine, le temps durant la représentation ou la projection. Vous n'êtes plus rattaché à une galerie. Pourquoi ? Il y a des gens qui recherchent un peu leur liberté. J'ai quand même été avec la galerie Esma pendant plusieurs années et Top Action pendant quelques autres. Reste qu'on a souvent envie de faire autre chose. Mon travail évolue vers un travail expérimental et une galerie ne peut pas t'attendre pour faire tes expériences. En ce moment, par exemple, je travaille dans des congélateurs industriels. Je réalise avec de la glace un couple qui s'embrasse. Et je filme pendant qu'ils fondent. Je suis obligé de sortir de l'atelier pour cela. Il y a eu la création du MAMA. Qu'en attendez-vous ? J'espère que ce musée va fonctionner comme les autres dans le monde. Je ne pas juger car il est en formation. Je suis sûr en tout cas qu'il arrivera à accueillir pas mal d'artistes contemporains algériens mais aussi étrangers car c'est justement l'échange dont nous avons besoin. Il est encore tôt mais je pense que c'est déjà une très belle chose. Les artistes et le public algérien attendaient une institution comme celle-là. En tous cas, je suis prêt à y participer. Beaucoup de gens ont pensé que j'étais contre ce projet. Ce n'est pas vrai, je peux être critique quand il le faut, une critique constructive surtout pour des normes qui respectent l'artiste. Sinon, j'ai couvert toutes les expos du MAMA dans mes émissions radio en invitant le public à y aller. Et j'espère que nous arriverons au niveau des Emirats arabes Unis qui ont progressé en quelques années dans l'art contemporain. J'ai exposé deux fois à Abou Dhabi, dont mes affiches de cinéma et de théâtre et j'ai pu m'en rendre compte. Qu'avez-vous en chantier actuellement ? Je travaille sur l'habillage du CD de Djamel Allem, produit par Réda Chikhi. Djamel m'a toujours associé à ses travaux et c'est un ami. Pas d'exposition en vue ? Pas pour l'instant. J'ai appris à prendre mon temps quand je suis pressé. Je continue à peindre bien sûr. J'achève une sorte de trilogie sur les Tournants, les Marchants et les Dormants. Les gens qui tournent en rond et changent d'avis ; ceux qui marchent et croisent d'autres et ceux qui dorment, en bien ou en mal, car dormir est aussi une des plus belles choses au monde. Le rapport entre la sociologie, la politique et la peinture m'intéresse. Mais actuellement, c'est surtout le travail sur le givre qui me passionne car il sort complètement de mes capacités personnelles de peintre. C'est un défi avec une matière que je ne maitrise pas comme auparavant avec le feu, l'eau, le goudron… Cela m'oblige à me dépasser. Je ne me refuse rien comme influence, comme apport extérieur et comme risque, le trébuchement possible, comme dans la vie. Je ne veux pas me perdre dans l'émerveillement, mais être conscient de mes blessures et de mes douleurs.