Les cliniques privées médicales étrangères s'installent en Algérie à l'instar de celles spécialisées en ophtalmologie, mais les équipes médicales qui y exercent sont à ce jour inconnues de la commission des équivalences au niveau du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et du conseil de l'Ordre des médecins. Les tutelles semblent être passives devant cet état de fait qui risque pourtant de conduire de graves dérives en termes de santé publique. L'équipe cubaine, exerçant à la clinique de Djelfa, inauguré, en avril dernier dans le cadre d'un accord de coopération avec l'Algérie dans le domaine médicochirurgical des yeux en vue de l'implantation de quatre centres hospitaliers à Ouargla, Béchar, El Oued, Djelfa et de trois autres à Sétif, Tlemcen et Tamanrasset, en est un exemple. La quarantaine de médecins exerçant au sein de cette structure ne sont pas inscrits au tableau de l'ordre. Il en est de même pour les médecins espagnols de la clinique algéro-espagnole Loila El Djazair, qui ne sont pas permanents en Algérie. C'est ce que confirme le Dr Bekkat, président du conseil de l'Ordre des médecins. Sans douter de la qualité et de la qualification de ces spécialistes, le Dr Bekkat affirme que ces médecins sont inconnus à l'ordre des médecins. « DESACCORD AVEC LA LOI » Pour lui, les textes de loi sont pourtant clairs. « Nul ne peut exercer la fonction de médecin, chirurgien-dentiste et de pharmacien sans être inscrit au tableau de l'ordre, sous peine d'encourir à des sanctions prévues par la loi art 204 chapitre 5 », a-t-il souligné en précisant qu' « il s'agit d'un exercice illégal ». Dans le cas où ces médecins ont des autorisations d'exercice délivrées par le ministère de la Santé, il se trouve que « la décision est en désaccord avec la loi pour l'inscription. Des dérogations peuvent aussi être délivrées, à condition que ces médecins présentent leurs diplômes à la commission des équivalences qui, elle, est habilitée à donner une équivalence autorisant l'exercice dans des structures de santé publique ou privée », a t-il ajouté. Ainsi, le Dr Bekkat Berkani signale que l'ordre est disposé à examiner les demandes d'inscription au tableau à titre temporaire aux collègues étrangers à condition qu'ils constituent un apport positif et de modernité à la médecine. Des interrogations continuent d'être soulevées au sein de la profession qui estime que l'Algérie n'a pas besoin de faire appel à des cliniques privées et à des spécialistes étrangers pour un but lucratif. Ils s'interrogent ainsi, s'il y a réellement nécessité et dans quel segment se pose-t-elle en faisant référence au sept hôpitaux privés cubains qui vont s'installer en Algérie, dont le premier a été inauguré à Djelfa en avril dernier. Ce dernier, d'une capacité de 120 lits construit sur un terrain de 3 ha acquis à un dinar symbolique baptisé Amitié-Algérie-Cuba, serait-il seulement au service des malades algériens ? La question reste posée pour certain, mais suscite des inquiétudes pour d'autres. Des spécialistes, en la question, doutent fort de « la qualification technique de ces équipes cubaines qui ne sont pas productrices de haute technologie. Au niveau scientifique, elles ne se sont pas aussi distinguées. Les revues hispaniques, anglophones ou russophones ne regorgent pas de publications ophtalmologiques des Cubains. Leurs spécialistes sont titulaires d'un bac plus 8 ,alors que les Algériens sont déclarés médecins ophtalmologistes avec un bac plus 12. La différence est de taille. Les pathologies traitées par ces équipes sont prises en charge parfaitement par les Algériens, que ce soit dans les centres hospitaliers privés ou publics », font remarquer des ophtalmologues qui dénoncent l'exclusion de ces établissements créés dans le cadre de la coopération algéro-cubaine du personnel médical et technique algérien qualifié. « Ce qui est perçu comme attentatoire à la dignité des ophtalmologues algériens, particulièrement les jeunes. ISOLAT EPIDEMIOLOGIQUE EN ALGERIE L'objectif visé, outre l'aspect lucratif, serait selon certains observateurs « de recueillir des données génétiques pour des études de recherche », sachant qu'il existe, en Algérie, un véritable isolat épidémiologique particulièrement intéressant pour tout ce qui est recherche génétique et immunologique. « L'enjeu est important », a-t-on signalé, en précisant que de telles pratiques participent ainsi à priver les Algériens de données fondamentales. Nos interlocuteurs estiment que des règles de fonctionnement doivent êtres mises en place afin d'exiger de tous les étrangers souhaitant exercer la médecine en Algérie, l'inscription préalable au tableau du conseil de l'Ordre des médecins algériens, qui est lui même subordonné à la délivrance d'une équivalence des diplômes par les structures compétentes relevant du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. « Il est clair que le dossier des équivalences de ces équipes cubaines est traité de manière politique », regrette-t-on. Ce qu'a déclaré le Pr Ailem, président de la Société algérienne d'ophtalmologie, lors de son congrès annuel en décembre 2006, à propos de ces cliniques et « du transfert du patrimoine génétique national sans contre partie risque de se confirmer ». « Au moment où nous commençons à acquérir des plateaux techniques de haut niveau dans les structures publiques et privées, nous constatons l'implantation de cliniques privées étrangères en dehors du cadre législatif réglementaire existant dans le but essentiel et certainement lucratif mais aussi à des visées de recherche génétique sans que l'Etat algérien ne puisse les contrôler dans ce domaine. L'Etat algérien se doit de baliser le terrain », a relevé un groupe de jeunes ophtalmologues en faisant référence au traitement médiatique réservé à cet établissement par l'ENTV, le jour de son inauguration par l'ex- ministre de la Santé, Amar Tou, en présence de professeurs algériens en ophtalmologie, qui « s'apparente à une publicité gratuite ». Par ailleurs, beaucoup d'autres anomalies sont relevées au niveau de ces établissements privés étrangers, notamment les prix pratiqués pour les différents actes pris en charge. Au niveau de la clinique algéro-espagnole, la visite médicale est assurée par des médecins algériens qui préparent les malades pour les médecins espagnols, qui sont présents à la clinique selon la programmation du nombre de malades. « Ils viennent durant une semaine pour opérer les patients et ils repartent », avons-nous appris. La consultation (fond d'œil, tension oculaire, questionnaire classique) revient à 5000 DA. Ce que les malades payent généralement entre 600 et 1000 DA dans les structures privées algériennes en attendant la publication de la nomenclature de tarification des actes médicaux. Certaines interventions chirurgicales coûtent entre 100 000 à 500 000 DA, alors qu'elles le sont dans les hôpitaux publics et privés algériens à des prix moindres. Ces honoraires appliqués au vu et au su de tout le monde n'ont apparemment pas gêné les tutelles, à savoir le ministère de la Santé et celui de la Sécurité sociale. D'autant que ces frais ne sont pas remboursés par la sécurité sociale. Interrogé à propos des médecins étrangers exerçant en Algérie, le chargé de la communication au ministère de la Santé affirme : « Les personnels médical et paramédical, travaillant à l'hôpital cubain de Djelfa, ont tous été autorisés par le ministère de la Santé, suite à l'examen des dossiers de chacun d'eux par les services compétents du ministère de la Santé » et préciser, par ailleurs, que « ces autorisations ont été notifiées avant le début de l'activité de cet établissement ».