Les combats contre les jihadistes implantés dans le nord syrien prouvent la volonté des Kurdes d'instaurer une autonomie territoriale et économique sur une région où ils sont majoritaires, à l'instar de leurs frères d'Irak, selon des analystes. Une trentaine de combattants islamistes et kurdes ont été tués cette semaine en deux jours de heurts, qui ont abouti à l'expulsion des fondamentalistes dans une ville frontalière avec la Turquie. "Les Kurdes poursuivent des intérêts qui leur sont propres, en l'occurrence éliminer les obstacles à l'établissement d'une entité proto-étatique dans le nord de la Syrie. Or les jihadistes sont l'un des principaux obstacles", assure Thomas Pierret, expert de la Syrie et des mouvements islamistes. Pour lui, "les Kurdes exploitent un contexte défavorable aux jihadistes, notamment l'hostilité croissante de la part de l'Armée syrienne libre (ASL, rebelles) et de la population ainsi que des grandes puissances". Ces accrochages surviennent en effet au moment où les tensions se sont exacerbées entre l'ASL --rebelles soutenus par des pays arabes et occidentaux-- et le Front Al-Nosra et l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), deux groupes affiliés à Al-Qaïda qui combattent également le régime de Damas. Charles Lister, expert auprès du IHS Jane's Terrorism and Insurgency Centre à Londres, relève que ces accrochages surviennent alors qu'il est prévu que ce vendredi soit annoncée une déclaration sur l'autonomie kurde dans les "régions libérées" de Syrie. Ils coïncident également avec le premier anniversaire du départ de l'armée de Bachar al-Assad de neuf localités kurdes qui sont alors passées entre les mains de cette communauté. Les Comités de protection du peuple kurde (YPG), la milice qui combat les extrémistes, sont la branche armée du Parti de l'union démocratique (PYD), émanation syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme "terroriste" en Turquie. Le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu a mis en garde vendredi l'YPG contre toute velléité autonomiste car elle "aura pour effet d'envenimer les combats, et d'aggraver la situation intenable en Syrie". En fait, il s'agit d'une bataille pour le contrôle de cette région. "Il y a de bonnes raisons de croire que cette déclaration d'autonomie a retenti comme un signal d'alarme pour les islamistes, car cette région isolée était devenue très importante, notamment pour les jihadistes qui peuvent la transformer en un refuge et bénéficier des revenus de champs pétroliers qui s'y trouvent", souligne M. Lister. L'écrivain et analyste politique kurde syrien Farouq Hajji Moustapha confirme que "les Kurdes ne veulent pas que les forces islamistes dominent leurs régions". "Les déclarations d'islamistes disant vouloir créer leur Etat dans nord de la Syrie ont suscité de grandes craintes chez les Kurdes, c'est pour cela qu'ils sont prêts au combat et à protéger les puits de pétrole contre toute partie étrangère", ajoute-t-il. Les Kurdes représentent environ 15% de la population syrienne et sont surtout présents dans le nord. Ils usent en Syrie de la même stratégie que leurs frères irakiens, qui ont profité des crises successives en Irak pour imposer au pouvoir central de Bagdad une autonomie complète. "Ils savent mettre de côté leurs divergences et s'unir quand ils font face a des problèmes", souligne Farouq Hajji Moustapha. Mais "il est trop tôt pour dire que les jihadistes sont en train de perdre", relève M. Pierret, même s'"il est clair qu'ils font face à des milices kurdes bien armées et déterminées (...) et que l'ASL n'est pas mécontente de voir l'EIIL prendre des coups". Selon M. Lister, lancer une bataille pour expulser les jihadistes placera l'YPG dans une situation difficile, même si cette milice est "militairement, logistiquement et tactiquement nettement supérieure à ce qu'elle était il y a un an, peut-être grâce à l'aide du PKK". En tout cas, un autre expert du Moyen-Orient, Aron Lund, relève que l'état-major de l'ASL et l'opposition syrienne ont appelé "les différents groupes de l'ASL à ne pas se laisser entraîner dans ces combats secondaires". Dans un communiqué commun publié jeudi, ils "condamnent les combats entre frères" avant de les mettre en garde "de ne pas tomber dans le piège des affrontements internes suscités par le régime assassin" de Bachar al-Assad.