Avec une grille dynamique et des scoops réguliers, la première télévision privée algérienne a insufflé un coup de jeune dans le paysage audiovisuel national. Son credo : l'info en continu. Un peu de BFM TV, un zeste de CNN, un soupçon de BBC. Le tout baignant dans un océan d'Al-Jazira. Le fulgurant succès d'Ennahar TV, première chaîne privée, en termes d'audience, dans le nouveau paysage audiovisuel algérien récemment débarrassé du monopole de la télévision étatique, doit beaucoup à ce cocktail conçu par les deux promoteurs de cette chaîne d'info en continu : les journalistes Anis Rahmani et Souad Azzouz, son épouse. Toutefois, la réussite ne tient pas uniquement à la forme s'inspirant de modèles anglo-saxons, français ou arabes. Ennahar TV s'est très vite distinguée par ses scoops. Dix mois après son lancement, le 6 mars 2012, cette chaîne est la première à donner l'information sur l'attaque terroriste, le 16 janvier 2013, du site gazier de Tiguentourine, dans le Sud algérien. Un mois plus tard, elle refait parler d'elle en annonçant avant tout le monde, le 28 février, la mort de l'émir d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abdelhamid Abou Zeid, tué par l'armée française dans le massif Tigharghar au Nord-Mali. Pour la concurrence nationale ou étrangère, Ennahar TV devient la référence en termes d'actualité sécuritaire dans la région. Mieux : selon un rapport d'Euromed, Ennahar TV, citée régulièrement par les chaînes françaises d'information en continu, BFM TV et LCI, l'est désormais par les généralistes TF1, France 2, Canal+ et M6.
Moyenne d'âge de la rédaction : 23 ans Au plan national, la concurrence est reléguée loin derrière. Selon une étude d'audience réalisée par le cabinet Media & Market Research (MMR) en mars 2014, la vingtaine de chaînes algériennes privées cumulent 21,85 % de parts d'audience. Sur cette portion, Ennahar TV détient 21,45 % devant Echourouk TV (16,3), El Djazairia (6,3), Dzaïr TV (4,53) de l'homme d'affaires Ali Haddad, Numidia News (2,35). Le succès d'Ennahar TV est certes le fruit de ses scoops. Mais pas seulement. La créativité des jingles, l'originalité des bandes-annonces, une grille harmonieuse et une direction d'antenne maîtrisée contrastent avec les mièvres performances des stations composant le bouquet public de l'Entreprise nationale de télévision (ENTV). Autre caractéristique : la jeunesse de ses effectifs. La moyenne d'âge au sein de la rédaction tourne autour de 23 ans. Comme Echourouk TV ou encore Khabar Broadcasting (KBC), Ennahar TV est le pendant audiovisuel d'un titre de presse écrite privée. Le quotidien arabophone Ennahar a été créé en 2007 par Anis Rahmani et Souad Azzouz. Il est très vite devenu le troisième support en matière de tirage. Selon les chiffres certifiés par l'association pour le contrôle de diffusion des médias, OJD, la diffusion du quotidien Ennahar en 2013 était de 285 202 exemplaires pour un tirage de 316 655. Outre les ventes, la prospérité du titre est assurée par des recettes publicitaires (8 pages sur 24) émanant à 80 % d'annonceurs privés, ce qui garantit l'indépendance du titre de la tutelle qu'exerce le pouvoir à travers l'Agence nationale d'édition et de publicité (Anep), véritable caisse de redistribution de la manne publicitaire institutionnelle et publique. "Notre bonne santé financière ne nous a pas pour autant incités à faire des folies dans le lancement de la chaîne télé, précise Anis Rahmani. Mon épouse et moi avons mobilisé 800 000 dinars (7 500 euros) pour acquérir deux caméras, une petite régie et confectionner un studio de fortune dédié aux plateaux pour les émissions de débat politique et pour les JT." Deux ans plus tard, Ennahar TV dispose d'une tour de sept étages. "La décision de spécialiser notre chaîne dans l'information en continu s'est imposée à nous, car nous n'avions pas les moyens de lancer une chaîne généraliste qui aurait nécessité la mobilisation de fonds considérables dont nous ne disposions pas, raconte Souad Azzouz. On peut faire de l'info avec les moyens du bord. En revanche, diffuser un film récent, une série américaine inédite en Algérie ou une compétition sportive prestigieuse implique l'acquisition de droits à des tarifs faramineux." Autre choix stratégique qui s'est révélé payant : la technologie de transmission du signal, qui recourt aux dernières innovations, notamment au TriCaster, un logiciel remplaçant les volumineuses régies vidéo. "Nous sommes la chaîne qui diffuse le plus de direct et nous n'avons aucun car de régie vidéo. La plupart de nos journalistes se baladent avec du matériel qui transforme la diffusion live en jeu d'enfant.
La composition de la rédaction a donné un sérieux coup de vieux à la paléolithique ENTV. C'est l'un des avantages de miser sur la jeunesse", affirme fièrement Anis Rahmani. La composition de la rédaction (60 % de filles, voilées ou non, issues de toutes les régions du pays, y compris du Grand Sud) a donné un sérieux coup de vieux à la paléolithique ENTV. Mieux, le travail d'investigation est d'excellente facture ; ce qui permet à Ennahar de créer l'événement. Leader en Algérie En mai 2014, une équipe de journalistes réalise une enquête sur la sécurité dans les maternités, publiques ou privées. En caméra cachée, elle décide de montrer à quel point il est facile d'enlever un nouveau-né dans une nurserie. Elle filme le rapt et le diffuse sous forme de sujet dans un bulletin d'information. Quelques heures plus tard, l'enlèvement d'un bébé dans une maternité de Constantine et les larmes de sa jeune maman émeuvent tout le pays. L'enquête d'Ennahar surprend la concurrence et la chaîne gagne en crédibilité. À son lancement, le budget de fonctionnement était assuré, à hauteur de 80 %, par le journal éponyme et pour 20 % par ses recettes publicitaires. Aujourd'hui, ce rapport est inversé avec seulement 20 % à la charge du quotidien. La bonne santé de la chaîne lui permet d'être présente dans tous les coins du pays, d'avoir une vingtaine d'envoyés spéciaux pour le Mondial brésilien, ou encore de diffuser en direct des images du bombardement de Gaza grâce à une équipe d'envoyés spéciaux. Leader en Algérie, Ennahar TV cible également la diaspora. C'est ainsi qu'elle est la seule chaîne privée algérienne à être présente sur les bouquets de trois opérateurs ADSL français (Free, SFR et Bouygues) sur quatre. Des négociations sont en cours pour que la chaîne soit disponible aux Etats-Unis et au Canada. Décriée pour avoir soutenu le quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, Anis Rahmani se défend d'être engagé "dans une thèse politique ou idéologique. Notre seul engagement est de défendre la stabilité du pays. Notre choix au profit du candidat sortant n'a obéi qu'à cette seule considération".
Un couple, deux journaux et une télé D'une histoire d'amour est née une aventure intellectuelle. Anis Rahmani, 43 ans, et son épouse, Souad Azzouz, sont les heureux promoteurs d'Ennahar TV. Ils se sont connus au début des années 2000, à la rédaction du quotidien arabophone El-Khabar. Tous deux spécialistes de l'information sécuritaire, lui s'occupait de celle émanant des maquis et elle disposait de sources crédibles dans le camp adverse, celui des militaires. Anis et Souad ont multiplié les scoops. Jalousie et incompatibilité d'humeur au sein de la rédaction. Ils quittent, en 2004, El-Khabar pour rejoindre l'autre grand quotidien arabophone, Echourouk. Au bout de deux ans, ils se marient puis décident de voler de leurs propres ailes. Et fondent, en 2007, leur journal avant de se lancer dans l'aventure audiovisuelle cinq ans plus tard. Aujourd'hui, Anis est à la tête du groupe Ennahar composé du quotidien éponyme, d'un quotidien sportif, Echibak ("le filet"), et de la chaîne. Quant à Souad, elle est directrice des rédactions de tous les supports. Le couple dirige au total 425 personnes, une équipe installée dans deux tours jumelles de 7 étages dans le quartier huppé de Saïd Hamdine.