« Lemdah » est un genre, à la fois masculin et féminin qui ne se pratiquait uniquement lors des veillées mortuaires. Il accompagnait des manifestations profanes comme les séances de hadra, de pèlerinage aux mausolées et permettaient de vivre une religion qui n'était pas qu'un ensemble d'interdits ou de menaces. Il suffit de relire quelques pages de « Poèmes kabyles anciens » de Mouloud Mammeri pour découvrir l'enracinement de cette tradition dans la Kabylie précoloniale. De nombreuses pièces ont été également réunies par Youcef Nacib dans son livre « Poésies religieuses du Djurdjura ». Elle s'est poursuivie grâce à voix aussi connues comme celle de Mokrane Agawa, mort en décembre 2010 ou de Chérifa. Dans le répertoire de Hssissen, Akli Yahiatene ou de Slimane Azem ou Abchiche Bélaid louer la gloire de Dieu, son prophète ou mettre à l'index des comportements qui contreviennent à la loi religieuse était fréquent. Le dernière production, l'album de l'Adieu, d'un des grands interprètes de la chanson kabyle s'inscrit dans une lignée qui a eu ses maîtres de la parole scandée sous les rythmes lents ou trépidants du bendir. Taleb Rabah s'est dans le passé confronté au chant religieux ayant enregistré avec l'orchestre de la radio El Mahmoudia dédié à un genre quelque peu déclassé. Même si depuis quelques années, des jeunes troupes ont mis sur le marché des CD. L'ultime CD de Taleb Rabah qui compte quatre chansons remet à l'honneur celui-ci. La voix qui a perdu quelque peu de sa vigueur salue dans « Esslam Allah fellawen » les saints tutélaires, si nombreux sur les crêtes. Sur un fond de violon, c'est une élégie à l'honneur de ces êtres pieux. Elle ressuscite cette ambiance des ziaras chez Cheikh Mohand Oulhocine, Sidi Slimane ou Wedris où s‘apaisent et guérissent les tourments du cœur. Une chorale donne la réplique comme pour rappeler le caractère collectif de ces productions entonnées par les Khouanes. « Dans Rabbi Athnahmed » (gloire à Dieu), l'artiste rappelle les vertus du repentir et la condition de l'homme qui doit toujours se garder des mauvaises actions et des paroles en prévision du jour où l'argent ne rachètera personne. Une ode au tout puissant et au Prophète dotés de pouvoirs de pardon. La troisième chanson reprend ce thème de la personne dont l'ultime acte devrait être la quête du pardon de son créateur. « Ighass yarka, arouh Itaka » ( les os pourrissent et l'âme se fortifie) chante Taleb. Il semble mettre en musique la sourate Ezzilzal qui promet à chaque créature justes rétributions et châtiments. Le dernier titre « Wouzileth Attas » (elle est trop courte) est un rappel que la religion, la croyance en les prophètes et messagers de Dieu est le salut pour l'être humain. Le passage de tout mortel sur terre est une simple escale. Dans la tradition culturelle algérienne, d'expression arabe ou amazighe, la musique et la parole ont toujours accompagné la pratique de la religion. Là, se love une des caractéristiques de cet islam tolérant paisible de nos ancêtres. Il est si différent de celui que cherchent ceux à imposer qui s'abreuvent à d'autres sources.