Rendez-vous scientifique s'il en est, cette rencontre a été consacrée, entre autres, au romancier dans l'acculturation, l'histoire du système éducatif colonial en Algérie au regard de l'œuvre de Mouloud Feraoun et à la manière qui permettra de rendre l'auteur de « La terre et le sang » accessible à un public de jeunes. Universitaires, enseignants de littérature française, auteurs et conférenciers, ont tenté de cerner l'œuvre et la vie de Mouloud Feraoun. Frappé d'ostracisme, accusé d'assimilationniste, l'écrivain n'a pourtant pas cessé d'œuvrer, durant sa courte vie, à l'instruction des enfants des pauvres. Ouvert à la culture de l'autre, il n'a jamais renié la sienne. Djohar Amhis, enseignante de langue française à la retraite et auteure, a insisté sur la nécessité de relire l'œuvre feraounienne, en décolonisant le regard que l'on a sur lui. « Mouloud Feraoun est le produit de son époque », a-t-elle précisé d'emblée, estimant que l'écrivain n'a pas eu l'intention de réaliser une œuvre esthétique au sens moderne du terme. D'ailleurs, a-t-elle argumenté, « quand nous lisons, nous berbérophones, ses romans, nous avons l'impression de lire dans notre langue maternelle ». Elle a reconnu, cependant, la difficulté qu'a la jeune génération de lire l'œuvre de Feraoun, malgré sa simplicité, en raison du manque de connaissances linguistiques. L'universitaire égyptien, Youssef Shaabane, s'est appesanti, lui, sur la traduction des romans d'auteurs algériens de graphie française en Egypte. M. Shaabane a noté, à ce propos, que les écrivains algériens d'expression française sont beaucoup lus dans son pays. « La terre et le sang », a-t-il dit, est l'œuvre la plus aboutie et la plus profonde, étant donné qu'elle traite de la problématique de l'identité et de la culture. Mohamed Sari, universitaire, a traité, lui, du thème « Feraoun vu par les lecteurs arabophones ». Il a souligné que certains qualifient l'écrivain d'assimilationniste, sans tenir compte de son œuvre. D'autres, par contre, le lisent du fait qu'il est assassiné par l'Organisation de l'armée secrète (OAS). M. Sari a, par ailleurs, déploré le manque de professionnalisme de certains traducteurs. Youcef Nacib, également universitaire, a mis en avant l'attachement authentique et viscéral de Feraoun à sa culture ancestrale et à son pays. Pour étayer ses dires, il a précisé que ce n'était pas par hasard que Feraoun a consacré un livre à la poésie de Si Moh-u-M'hand, qu'il considère comme un socle culturel, ajoutant qu'« on ne peut pas tenir grief à l'auteur d'utiliser les manuels scolaires, faits par l'académie française, à connotation coloniale. Feraoun n'y était pour rien. Il a milité à sa manière pour l'indépendance de son pays ». FERAOUN A MILITE AVEC SA PLUME M. Nacib trouve anormal d'en vouloir à Feraoun d'avoir appris aux enfants à lire. « C'est un faux procès », a-t-il ajouté. Il suffit de lire son « Journal » pour le comprendre. A ceux qui doutent encore du nationalisme de l'écrivain, M. Nacib a rappelé que « de Fort National, il envoyait chaque mois sa cotisation ». Les participants à ce colloque, pour rappel, ont à l'unanimité mis l'accent sur la symbolique et les spécificités littéraires de l'écrivain. Ils ont aussi rappelé la nécessité de relire son œuvre, parce que, ont-ils pensé, « les premières n'ont pas su relever les véritables dimensions de sa vision des choses ». Alors que Nadjet Khedda, universitaire, a démontré le caractère « ouvert » du roman « Le fils du pauvre », une œuvre qu'elle qualifie « d'universelle », Djouzi Lenzini, enseignant universitaire, a focalisé son intervention sur les similitudes entre Feraoun et Camus. « Si les deux hommes étaient amis, leur amitié aurait été difficile, malgré leur appartenance au même milieu social et les valeurs de sincérité et de lutte contre toute forme de violence qu'ils partageaient, les deux écrivains ont eu des divergences de vues concernant des questions importantes », a-t-il affirmé à ce propos. Satoshi Udo, chercheur japonais, a tenté, lui, de faire une comparaison entre les auteurs japonais et algériens de formation occidentale. Avec force arguments, il a démontré la différence du regard porté sur ces écrivains dans les pays, en raison de leur ouverture sur la culture occidentale. Pour lui, « la formation de Feraoun et son rapport humaniste ne devraient pas être perçus comme un besoin assimilationniste, ni considérés comme trahison ». La technique d'écriture de Feraoun a été aussi évoquée. Anne Roche a fait savoir, dans ce cadre, que la langue utilisée par le romancier est complexe en raison de son environnement. Universitaire, Sabiha Benmansour s'est appesantie sur l'ancrage des écrivains francophones algériens dans le pays profond. « L'attachement de Feraoun et Dib à leurs régions est une écriture de soi qui pousse le lecteur à voir ce que l'on refuse de montrer et bien qu'écrites en français, ces œuvres regorgent de codes enfouis dans la mémoire collective algérienne et qui constituent des portes sur l'Algérie profonde », a-t-elle argumenté.