Les éléments de l'Armée nationale populaire ont réussi, en ce mois d'avril le parachèvement d'un long, périlleux et ardu travail de déminage. Du côté de Moughel, près des frontières marocaines, on a planté symboliquement des arbres, à la place. Un signe d'espoir, la vie qui remplace la mort pour ces populations qui continuent, même après l'indépendance, à compter leurs morts, des blessés, les membres estropiés et qui ne doivent leur salut qu'à des prothèses. Ils étaient nombreux à témoigner lors de notre passage avec les membres de l'Association Machâal Chahid de ce qu'étaient ces zones infranchissables, clôturées de barbelés, électrifiées et jonchées de mines antipersonnelles... C'est en pleine Guerre de libération que les généraux français décident de dresser ces lignes pour empêcher le contact des combattants avec leurs bases arrière, le Maroc et la Tunisie, et empêcher leur ravitaillement.... L'armée française procédait par réquisition, en forçant les Algériens à participer sans rétribution à la construction des fortifications. Selon les historiens, de tout temps, des hommes « civilisés » ont cru pouvoir vivre durablement à l'abri de la menace des peuples « barbares » en s'entourant de murs ou d'autres lignes fortifiées. L'Afrique du Nord a vu les Romains construire un alignement de fortins jalonnant un obstacle continu fait d'un mur et d'un fossé propres à « décourager les incursions des nomades berbères insoumis ». Quinze siècles plus tard, en 1840, le maréchal Valée avait, lui aussi, entrepris la construction d'un obstacle de même type, pour empêcher les cavaliers de l'émir Abdelkader d'attaquer les collines du Sahel et plaine de la Mitidja, occupées et colonisées par les Français. Pendant la Révolution, à la frontière marocaine, on verra le premier barrage du général Pédron, commandant le corps d'armée d'Oran qui construira en juin 1956, un réseau de barbelés entre la frontière et la RN 7. Il sera renforcé à partir de novembre 1956, et quadrillé par le minage et l'électrification. Le ministre de la Défense français de l'époque, André Morice, décidera le 26 juin 1957 de généraliser cette expérience de façon à réaliser en quelques mois le bouclage des deux frontières. A l'Ouest, la « ligne Pédron » empruntera la route et la voie ferrée reliant Oran à Bechar en traversant l'Atlas saharien. A l'Est, la « ligne Morice » suivait la route et la voie ferrée de Annaba à Souk-Ahras et Tébessa. LA FRANCE DOIT AVOIR « UNE ATTITUDE CIVILISEE » ET RECONNAÎTRE SES CRIMES A Moughel, plusieurs moudjahidine nous parlent de ces mines et barbelés électrifiés érigés à l'Ouest, du côté de la frontière marocaine. Abderrahmane Bentaleb, ancien moudjahid, porte encore les séquelles d'un combat renouvelé avec la mort, il éprouve des difficultés, vu son âge et son état de santé, à tenir longtemps debout. Il replonge quand même dans ces souvenirs douloureux où l'on s'en sort, des fois, par miracle car il ne faut surtout pas alerter les postes de commandement de l'ennemi. Ce dernier a « fortifié tous les points de passage des moudjahidine » qui ont pour mission de rallier leurs bases arrières au Maroc et assurer un ravitaillement en armes des troupes de l'intérieur. Un autre moudjahid prend le relais, il est mineur et démineur, des hommes rares qui doivent déblayer le terrain à la Kabita de l'ALN. M. Boufedji nous montre comment il sectionnait avec des tenailles le barbelé juste pour créer un passage aux djounouds tout en repérant les mines qu'il faut éviter avec précaution. « Ce n'était facile » reconnaît-il. D'ailleurs, une fois la compagnie de l'autre côté de la barrière, les responsables se posaient la question « comment vous avez pu ? qui vous a aidé ? » tellement la mission était périlleuse, raconte M Boufedji. Mais certaines tentatives n'ont pas toutes étaient réussies puisque « on a pu compter jusqu'à 400 victimes » a reconnu cet artificier qui a suivi une formation spéciale. Après l'indépendance, ces mines, cadeau empoisonné de l'armée française, ont continué leur sale besogne avec environ 300 victimes supplémentaires. Ils étaient trois, aujourd'hui, la cinquantaine, à se remémorer leur triste accident. M. Bensayad, aujourd'hui cadre supérieur dans une institution financière, énarque, n'avait que dix ans lors du drame. C'était en 1969, au collège on demande à son groupe de « chercher des corps fossilisés pour les besoins d'un TP de science ». Il fouillait en toute insouciance dans la terre lorsqu'il reçoit la déflagration de l'engin. Malgré les deux mains amputées, il a pu gravir les échelons, fait des études universitaires et mener une vie de famille bien tranquille. « L'essentiel pour lui est que la France reconnaisse ses crimes ». « Elle doit avoir une attitude civilisée » sur cette question, nous disent ces témoins. Ils en appellent à la « responsabilité de l'ONU et à celles de toutes les ONG. » Au Musée de la ville, l'histoire de la région de Béchar est restituée aux visiteurs, à travers nombre de documents. Dans celui de Kendsa, trente kilomètres plus loin, ville minière qui comptait une présence plus forte des colons français, tout est bien conservé. Des photos de moudjahidine, des lampes de pétrole aux autres outils utilisés par les mineurs, y compris un morceau de barbelé qui rappelle le champ de mines