Par Mohamed Chebila, commandant de l�ALN Les ind�pendances du Maroc et de la Tunisie vont permettre � la r�volution alg�rienne de disposer de bases ext�rieures pour approvisionner les Wilayas en armes et en �quipements militaires. Ce sera l�op�ration dite de �l�acheminement�, ainsi que l�a intitul�e le colonel Amara Bouglez, commandant de la Base de l�Est, de d�cembre 1956 � f�vrier 1958. La n�cessit� pour les Fran�ais de trouver une solution aux probl�mes militaires auxquels ils sont d�sormais confront�s sur le terrain, et dans l�impossibilit� de recourir, pour plusieurs consid�rations, au droit de poursuite d�une ALN accus�e d�attaquer puis de se r�fugier derri�re la fronti�re internationale, les conduit � opter pour l��dification de fortifications le long des fronti�res de l�Alg�rie, remettant au go�t du jour le phantasme co�teux de l�ing�nieur Maginot. La th�orie du �champ clos� est tr�s vite d�fendue par les strat�ges de l��tat-major ennemi. Les barrages fortifi�s commencent � �tre �difi�s � partir de mai-juin 1957, le long de la fronti�re avec la Tunisie. Cet ouvrage qui tient son nom, dans sa version initiale, d�un de ses initiateurs, le ministre Andr� Morice, finira dans sa phase finale par rendre tr�s difficiles le passage et le d�ploiement des forces alg�riennes. Dans cette contribution, le commandant Mohamed Chebila, acteur de la guerre de Lib�ration nationale, �voque pour les lecteurs du Soir d�Alg�rie ce qu��tait en r�alit� cette ligne infernale, comment elle a �volu� dans le temps, ainsi que les parades que l�ALN a mis en �uvre pour tenter d�y faire face. Lorsque la guerre d�Alg�rie �clate, les Fran�ais ne prennent pas tout de suite la juste mesure des �v�nements. Roger L�onard, gouverneur g�n�ral, et le commandant en chef des forces fran�aises pr�sentes en Alg�rie, le g�n�ral Cherri�re, pensent qu�il s�agit d�une de ces rebellions que l�ordre fran�ais a eu d�j� � affronter et qu�il a su m�ter rapidement par le recours � la force. Ils ignorent tout de la maturation du projet d�ex�cution des architectes de la r�volte. L�esquisse du 8 mai 1945 a d�finitivement convaincu ces derniers de la n�cessit� d�inscrire leur projet dans le long terme, en �vitant la concentration des moyens et les canevas qui ont fait la preuve de leur inanit�. L�envoi de renforts de CRS d�s le d�but de l�ann�e 1955 laisse appara�tre que les responsables en charge de la s�curit� de la colonie s�attendent � des d�bordements dans des cadres urbains. Seul l�Aur�s, o� les combats sont imm�diatement importants et �tendus gr�ce � l�excellente pr�paration de Mostefa Benboula�d, et au volontarisme de Abb�s Laghrour et de ses compagnons, est investi par les troupes d�un sp�cialiste en �affaires indig�nes�, le g�n�ral Parlange, qui multiplie les offres d��aman� en direction de �sidi� Abb�s. Les r�giments de troupes mercenaires, L�gion �trang�re, tabors marocains, transfuges indochinois et goumiers recrut�s localement ont fort � faire dans cette r�gion au relief tourment� et peupl�e de farouches montagnards. Cette approche folklorique des �v�nements due � une trop grande assurance de soi, � une m�connaissance crasse du sentiment profond des Alg�riens et aux contraintes du r�gime parlementaire de la IVe R�publique, permet au Front de lib�ration nationale d��tendre son entreprise et de l�asseoir durablement. La doctrine des �tats-majors fran�ais, partant de postulats archi-faux, g�n�re des solutions inefficaces. Le quadrillage, c'est-�-dire l�implantation horizontale de postes fixes, permettant une vue d�gag�e sur les lointains, inspir�e des fameux hameaux strat�giques vietnamiens, n�emp�che nullement les mouvements des formations de l�ALN. La mont�e en puissance du Front de lib�ration nationale qui a su rassembler sous sa banni�re les forces vives du peuple alg�rien permet � l�ALN d��tendre son action. Le constat que font les Fran�ais de la situation est d�courageant. Ils n�ont plus face � eux quelques groupes de �hll� hantant les djebels de l�Aur�s mais une innombrable arm�e de gu�rilleros pr�sents dans chaque asp�rit� du territoire alg�rien. Le congr�s de la Soummam r�uni � l�initiative de Larbi Ben Mhidi et de Abane Ramdane est le r�sultat d�une pr�occupation : encadrer la mobilisation des Alg�riens pour donner � l�ALN une autre vitalit� physique et fournir les armes � m�me de traduire l�engagement et l�abn�gation en succ�s militaires. Le directoire politique de la R�volution, repli� pour des raisons tactiques imp�rieuses sur la Tunisie, anim� par Belkacem Krim, Abane Ramdane, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobal, r�ussira � faire de l�ann�e 1957 celle du grand bond en avant. Le colonel Amara Bouglez, commandant de la Base de l�Est, sera, apr�s les membres �minents du directoire supr�me issu du congr�s, l�homme de l�ann�e 1957. Les compagnies d�acheminement d�armes qu�il constitue et qu�il dirige vers les wilayas de l�int�rieur cr�eront une situation nouvelle pour les troupes ennemies. La nouvelle donne sur le terrain, marqu�e par un renouveau de pugnacit� des unit�s de l�ALN partout o� les armes leur sont parvenues, conduit � des changements au sommet de la hi�rarchie militaire fran�aise. Avec leur d�gagement d�Indochine et leur retrait de la Tunisie et du Maroc, les Fran�ais sont d�sormais en mesure de renforcer et de r�organiser leur machine de guerre. Les pi�ces ma�tresses de leur dispositif de combat, leurs atouts d�terminants sont les r�giments parachutistes de la l�gion �trang�re et de para-commandos, auxquels sont adjoints des �l�ments de secteurs et des moyens en aviation et en artillerie. Leur entra�nement, la nature de leurs armements (acquis � prix d�or aupr�s de l�alli� am�ricain ) et la rapidit� de leur intervention, gr�ce � l�utilisation de l�h�licopt�re, les d�signent � la mission de poursuivre, de fixer et de tenter de d�truire tout �l�ment hostile accroch�. Au d�but de l�ann�e 1958, la zone Est constantinois o� se joue le destin de la guerre dispose de 15 groupements mobiles, tels ceux des colonels Jeanpierre et Buchoud qui joueront un grand r�le dans la bataille, dite de �Souk-Ahras�. Parall�lement � ce d�ploiement de forces sans pr�c�dent, les �tats-majors planchent sur la probl�matique n�e du nouveau contexte g�opolitique r�gional. Comment venir � bout d�un mouvement ind�pendantiste soutenu par la population, disposant de groupes arm�s qui ressuscitent aussit�t qu�ils sont d�truits, et qui b�n�ficie, depuis l�acc�s � l�ind�pendance du Maroc et de la Tunisie, de bases pour l�entra�nement et l�approvisionnement ? Ils vont adapter leur strat�gie � la nouvelle donne. L�id�e d�une s�rie de fortifications �rig�es le long des fronti�res voit le jour. La th�orie du champ clos Le g�n�ral Hugues Silvestre de Sacy, chef du service historique de l�arm�e de l�air, �crit � ce sujet : �Les barrages vont devenir, � partir de leur cr�ation en 1957, une pi�ce ma�tresse du dispositif militaire en Alg�rie et un souci majeur de tous les commandants en chef.� Le g�n�ral Challe, sur la p�riode correspondant � son commandement des forces fran�aises en Alg�rie, fait �tat de cette pr�occupation de l��tanch�it� des fronti�res et rejoint sa directive n�3 du 18 d�cembre 1959, dans laquelle il affirme que le succ�s de la poursuite de son plan d�pendra de trois points principaux : �Conservation du secret, pr�paration des op�rations, mais surtout l��tanch�it� des fronti�res, � laquelle je veillerai personnellement et que je vous demande, chacun en ce qui le concerne, de consid�rer comme une t�che essentielle.� Et le g�n�ral de Sacy de conclure : �Tout le plan Challe a repos� sur cette id�e fondamentale de �champ clos� n�cessaire pour que se tarisse le ravitaillement de l�ALN.� Le barrage, dans sa version initiale, n��pousait pas le trac� de la fronti�re alg�ro-tunisienne, mais suivait une ligne continue d�El-Kala au nord jusqu�� N�grine au sud. La marge, quelquefois large de plusieurs dizaines de kilom�tres entre le barrage et la fronti�re, avait pour but de faciliter l�intensit� des feux de l�aviation et de l�artillerie sur les formations de l�ALN en mouvement vers l�ouest dans une zone vid�e de sa population. Le quotidien de cette population, accus�e de ravitailler l�ALN, �tait d�j� dans ces zones, avant qu�elles ne soient d�cr�t�es interdites, tr�s difficile. Les massacres et les incendies puis les d�portations dans des camps de �regroupement� o� elle est livr�e aux manipulations des officiers des SAS tyranniques et brutaux l�ont r�duite � une indescriptible mis�re. Le barrage a d�abord �tait une simple cl�ture d�alerte, plus ou moins difficile � franchir, puis � le besoin cr�ant l�organe � il deviendra, au gr�s de son renforcement, une zone d�arr�t, soit dans l�enchev�trement de ses obstacles soit dans ses proches environs. Ces obstacles �taient constitu�s par des r�seaux de barbel�s, des champs de mines anti-personnel et surtout par des fils �lectrifi�s superpos�s aliment�s, 10 km en amont et 10 km en aval, par des groupes �lectrog�nes mis en place sous des abris b�tonn�s. La configuration �tait la suivante : r�seau de barbel�s c�t� Tunisie, r�seau �lectrifi� central, r�seau de barbel� c�t� Alg�rie. Le r�seau �lectrifi� �tait pi�g� par des fils de fer barbel�s qui passaient entre les fils �lectriques pour rendre leur franchissement encore plus difficile. Les �lectrom�caniciens en charge de l�alimentation en �lectricit� �taient en liaison permanente avec les patrouilles blind�es. Les EBR (engins blind�s de reconnaissance), et les autres v�hicules tout-terrain (Dodge 6/6, Jeeps �Delahaye� et chars AMX13) courent sans cesse le long des abords imm�diats de la ligne, selon le principe de �la herse�. Les chars AMX finiront par �tre plus ou moins s�dentaris�s (emboss�s) dans des positions aptes � les rendre moins vuln�rables aux tirs des armes antichars que mettra en action l�ALN dans tr�s peu de temps. L�activit� motoris�e des d�fenseurs du barrage a �t� rendue possible gr�ce � d��normes travaux d�infrastructure r�alis�s par les sapeurs du g�nie, le travail forc� des Alg�riens et par des entreprises priv�es. La surveillance du barrage �tait assur�e par les diff�rentes articulations de l�arm�e fran�aise pr�sentes sur le terrain : arm�e de terre, aviation et artillerie. Voil� ce qu��crit, � ce sujet, un officier fran�ais, le lieutenant Jaques Vernet, charg� de la protection d�une portion du barrage en 1959-1960 : �A la tomb�e de la nuit, balayage de la portion de r�seau relevant du r�giment par un �l�ment blind�, puis mise en place des blind�s de surveillance sur des points pr�cis. Arriv�e et mise en place de la compagnie d�infanterie port�e. Veille radio permanente sur le Channel qui regroupe le bataillon, la compagnie, les �lectrom�caniciens et l�aviation. Tout le personnel est en alerte� Au lever du jour, balayage par la m�me patrouille sur la totalit� du secteur pour relever les indices� d�une tentative de franchissement.� Lorsque, au cours de la nuit, un passage est suspect�, l�artillerie coupl�e � un syst�me radar entre en action. Le syst�me atteindra un haut degr� de sophistication avec l�introduction de nouveaux mat�riels provenant essentiellement des unit�s des Forces fran�aises en Allemagne : le radar AN/MPQIO am�ricain et le COTAL fran�ais. Lorsque l�ALN sera dot�e de mortiers lourds, les Fran�ais emploieront des SDS DRMT�2A qui permettront de d�terminer l�origine exacte d�un tir gr�ce � la mise en �quation, par un calculateur �lectronique coupl� au radar, de la trajectoire de l�obus ennemi. C�est ce type de mat�riels qui entrera en action contre les CLZ (Compagnies lourdes zonales) et les bataillons de l�ALN qui op�rent � sa port�e. Dans ses m�moires de guerre, le futur g�n�ral-major Khaled Nezzar relate en ces termes comment l�unit� qu�il commandait en 1961 a �t� prise � partie par le couple radarscanons � la suite d�une attaque men�e par ses hommes : �Le dispositif fin pr�t, le jour J est arr�t� et l�heure H fix�e � une heure apr�s minuit� mise en place de nos pi�ces� je jette un coup d��il � ma montre. Il ne reste qu�un quart d�heure avant l�attaque� Le feu de mes propres canons et de mes mitrailleuses provoque en retour une vigoureuse riposte� Les obus de l�ennemi �clatent autour de nous.� Cette capacit� � s�adapter aux moyens sans cesse am�lior�s de l�ALN est le r�sultat d�une r�flexion permanente d�officiers d��tat-major disposant d�une formation et d�orientations claires de leur hi�rarchie qui les rendent aptes � remplir au mieux les missions attendues d�eux. Khaled Nezzar, qui a perdu cette nuit-l� des officiers de valeur, a �t� victime de canons �parallax�s� au radar. L�arriv�e des coups des hommes de Nezzar a �t� int�gr�e par les tables de tir en temps r�el et communiqu�e aux artilleurs. Lorsque l�unit� de l�ALN, durement malmen�e par la riposte d�croche, elle est poursuivie, pas � pas, par des obus de mortiers guid�s, sans doute, par les �chos r�percut�s par un deuxi�me radar de veille. Les moudjahidine ne devront leur salut qu�� la nature du terrain. (Je cite Khaled Nezzar parce que c�est un des rares moudjahidine qui, � ma connaissance, a relat� en d�tail son exp�rience du barrage fortifi�). Toujours selon le brigadier-chef Philippe Alix, : �D�s le troisi�me trimestre de 1957, six postes radars-canons sont op�rationnels. Au d�but de l�ann�e 1958, leur nombre est port� � neuf et des sections de radars mobiles leur sont adjointes en 1960.� L��dification de ces postes s�est accompagn�e de travaux d�infrastructure importants, pistes, routes et ouvrages d�art pour acheminer les mat�riaux et le ravitaillement et pour assurer, en permanence, l��volution du syst�me en fonction de l�adaptation de l�ALN � ce dernier. Le dispositif ennemi destin� � contrer les attaques des unit�s de l�ALN dans la r�gion d�El-Kala est un exemple parfait de ce qui �tait install� tout le long du barrage. Il d�montre que la vigilance �tait permanente. Ecoutons ce qu�en dit le capitaine Philipe Fouquet- Lapar, longtemps en charge de la surveillance et de la protection du barrage dans la r�gion de Souk Ahras-El Kala : ��Nous constituons une r�serve d�attaque. De nuit, des d�tachements constitu�s d�une section et d�une patrouille d�automitrailleuses sont mis place � proximit� des diff�rents postes tenus par les chasseurs alpins. De jour, des reconnaissances de compagnies ont lieu p�riodiquement� elles ont pour but d�interdire toute installation de l�ALN�� L�arm�e de l�air fran�aise a �t� mise tr�s fortement � contribution, en exploitant toutes ses possibilit�s, pour rendre le franchissement du barrage p�rilleux. La reconnaissance a�rienne pour v�rifier l��tat physique de l�obstacle et de d�celer d��ventuelles traces de franchissement et l�appui feu. Elle a align� de nombreuses escadrilles d�avions l�gers d�appui (EALA), �quip�es des redoutables T6 ou T28, des h�licopt�res Pirate, des MistralF47 Thunderbolt et AD4 Skyraiders. Gr�ce � ses moyens particuliers, l�arm�e de l�air fran�aise a �tendu ses missions au-del� de l�espace a�rien alg�rien, le plus loin possible, pour emp�cher le ravitaillement de l�ALN par voie maritime ou a�rienne. Les B2 interviennent en mission lucioles d��clairage du champ de bataille, ou en mission de bombardement. Les concentrations de l�ALN, destin�es � d�truire des portions du barrage pour permettre le passage vers l�Alg�rie, sont surtout contr�es par des forces terrestres o� l��l�ment blind� domine. Les chars AMX 13 et les automitrailleuses rapides et silencieuses sont les pi�ces-ma�tresses du dispositif. La concentration de l�implantation des forces ennemies, sur une petite portion du barrage, � la hauteur de la ville de Souk-Ahras, donne un aper�u quant � la densit� et � la profondeur du dispositif. Pas moins de treize implantations de la sortie est de Souk-Ahras � la petite ville de Taoura (Gambetta) ! La r�action de l�ALN a connu trois grandes phases. La premi�re est marqu�e par une course effr�n�e pour prendre de vitesse les constructeurs du barrage et introduire le maximum d�armes en Alg�rie. Elle durera de f�vrier 1957 � mai 1958, jusqu�� la conclusion d�sastreuse pour le COM, de la grande bataille de Souk-Ahras men�e par le quatri�me bataillon de la Base de l�est, renforc� par des forces des Wilayas I, II et III. Le danger de la r�alisation d�un rideau de fer destin� � isoler le champ de bataille alg�rien pour mieux venir � bout de l�ALN est relativement occult� en 1957 et 1958 par les �v�nements qui mettaient la Tunisie alg�rienne en effervescence. La deuxi�me phase est celle du volontarisme sanglant du COM, dont le chef, int�griste du sacrifice supr�me, refuse d�admettre les r�alit�s nouvelles du terrain et contraint les moudjahidine � affronter les fortifications fran�aises sans moyens cons�quents pour en venir � bout. Il faut souligner, pour rendre hommage aux sacrifices des hommes de l�ALN qui se sont attaqu�s aux d�fenses du barrage pendant cette p�riode qui va d�avril I958 � janvier I960, date du d�but de la prise de fonction effective de Houari Boumediene, que l�activisme du COM a contraint le g�n�ral Challe a ordonner le doublement du barrage fortifi� pour faire face � la pression constance de l�ALN. C�est pendant cette p�riode que des passages r�ussis de la ligne ont �t� effectu�s par de grands responsables de l�ALN (Tahar Zbiri, Ali Soua�, Ali Kafi, Hadj Lakhdar Abid et de tant d�autres). Pendant cette p�riode, les franchissements �taient effectu�s par des unit�s de l�ALN tr�s entra�n�es pour des passages �clairs, effectu�s apr�s une approche prudente et �un arr�t sur image� destin� � donner de meilleures chances � l�ultime bon en avant. Les moyens utilis�s sont la toute simple cisaille coupante, qui avait le d�savantage d�alerter les �lectrom�caniciens et de d�clencher les tirs de l�artillerie et des op�rations de recherche, puis, l�exp�rience aidant, le cisaillement sera fait de telle sorte � ne pas provoquer l�interruption du courant par la mise en place judicieuse de d�rivations. Les barbel�s �taient d�truits par des explosifs charg�s � compression dans des tuyaux m�talliques de diam�tre 50 mm environ, appel�s �bangalore�, l�explosion venait � bout, en m�me temps, des mines antipersonnel dont les glacis avant et arri�re �taient truff�s. Quelques fois, la coupure de la ligne �lectrifi�e �tait faite � dessein �grossi�rement� dans le but d�attirer sous le feu de nos armes antichars les blind�s de �la herse�. Lorsque l�h�catombe des v�hicules ennemis deviendra insupportable, l�arm�e fran�aise restructurera son dispositif pour agir de pr�f�rence par le couple radarscanons pour �viter de d�placer, et donc d�exposer, ses pions. Les canons mis en couple avec les radars sont le 105 TF, le 105 mod�le 36 et le 155 GUN. Les canons et les radars sont coupl�s en fonction de leur port�e voisine. Le 16 mai 1958, nous �tions une petite unit� tentant de franchir la ligne pour �valuer �in vivo� ses hauts et ses bas. L�approche de l�obstacle a commenc� � 17h dans le but d�atteindre ses premi�res d�fenses juste apr�s la tomb�e de la nuit. Nous avons abord� le champ de mines avec pr�caution. La progression est lente. Nous avan�ons � la queue leu leu, ploy�s en deux. Le premier �de cord�e� auscultait soigneusement le sol � l�aide d�une ba�onnette. Il mettait le pied l� o� l�instrument ne rencontrait aucune r�sistance. Nous suivons derri�re, en positionnant le pied exactement sur l�empreinte du sien. M�tre apr�s m�tre, nous atteignons, tout en coupant les barbel�s, les fils sous tension. Arriv�s au contact, nous creusons un boyau sous la ligne afin de ne pas alerter l�ennemi. Trois des n�tres sont d�j� de l�autre cot�, lorsque le quatri�me, Moussa Khadraoui (dit Guerroum) au lieu de continuer � ramper au plus pr�s du sol, l�ve brusquement la t�te. Il heurte, du visage, le fil le plus bas. Il reste coll� au c�ble. J�ai la pr�sence d�esprit d�appuyer, avec la pelle que j�ai encore � la main, sur ses �paules. Je parviens � le lib�rer de l�emprise mortelle. Nous le tirons vers l�arri�re. Moussa est devenu bleu. Pendant que j�intime l�ordre � ceux qui sont d�j� pass�s de continuer plus avant, j�essaie de r�animer Moussa. J�arrive � lui faire desserrer les m�choires en ins�rant la pointe de mon poignard entre ses dents. Est-ce qu�on peut survivre � trois mille volts ? Oui quand on est sedratien. En tous cas, c�est l�explication que Moussa donnera en se r�veillant. L�immortel Sedratien gardera pour le restant de ses jours une profonde cicatrice en travers du visage. En nous affairant autour du bless�, nous avions oubli� le champ de mines. Nous avons sans doute eu la baraka. Je rapporte cette exp�rience pour d�crire les difficult�s que rencontraient les moudjahidine face � la ligne Morice. La troisi�me p�riode commence avec la prise en main de la situation par l�EMG, compos� de Houari Boumediene, Ali Menjeli, Slimane-Ahmed Ka�d et Azzedine Zerrari. Le r�alisme intelligent des responsables de l�EMG, � leur t�te Houari Boumediene, inaugure l��re de la r�flexion, de la pr�paration patiente, de la mise en �uvre de moyens mat�riels cons�quents, et de la d�signation aux postes de commandement des unit�s de combat de grands professionnels, tels les jeunes Alg�riens qui ont d�sert� l�arm�e fran�aise pour servir leur pays, Khaled Nezzar, chef du 25e bataillon, Selim Sa�di, Abdelmalek Gu�na�zia, Abdennour Beka, Slimane Hoffman, Abdelkader Chabou, Mohamed Boutella, etc., ou des v�t�rans de l�ALN de grande exp�rience � l�image de Abderrazak Bouhara, 33e bataillon, Bouhadja Ali, 24e, Ch�rif Braktia 19e, Mohamed Salah Bechichi 27e. Ahmed Terkhouche 11e, Mohamed Attailia 15e, Dib Makhlouf 17e, etc. Cette troisi�me phase est celle de la guerre d�usure qui finira par miner la volont� de l�ennemi. L�EMG, lorsque les moyens lui seront fournis, sera en mesure de lancer des offensives d�envergure sur le barrage sur des fronts �tir�s sur plus de 100 kilom�tres. C�est le cas dans les nuits du 27 au 30 novembre, du 19 au 20 d�cembre et du 21 au 23 janvier 1961 en mettant en �uvre des mitrailleuses de 12/7, des mortiers de 81, et des canons sans recul. Les hommes de l�ALN, malgr� le d�luge de feu qui s�abat sur eux, d�truisent de grandes portions du barrage (de un � trois kilom�tres). La construction du barrage fortifi�, d�s l�implantation des premiers piquets, n�a jamais laiss� indiff�rent les responsables de la Base de l�Est ou ceux de la Wilaya I. Amara Bouglez a multipli� les tourn�es � l�int�rieur et les envois de missions d��tudes et d��valuation. J�ai eu l�honneur de commander personnellement une de ces missions compos�es d�officiers de la Base de l�Est et de la Wilaya I. Les barrages fortifi�s continueront � �tre am�lior�s sans arr�t jusqu'� la veille du cessez-le-feu. Ils �taient maintenus au maximum de leurs possibilit�s pour emp�cher l�ALN stationn�e c�t� Tunisie de rentrer en Alg�rie en cas de rupture des n�gociations et surtout pour continuer � tarir la source des armes. Il y a lieu de dire que l�arm�e dite �des fronti�res� n�a jamais con�u son r�le comme celui d�une garde pr�torienne de Houari Boumediene pour lui permettre de conqu�rir le pouvoir, mais comme une partie indissociable de l�ALN. La cat�gorisation des moudjahidine qui ont lutt� sous la direction directe de l�EMG en �planqu�s� des fronti�res est une atteinte � la m�moire des milliers de chouhada, tomb�s face � l�ennemi. Je me souviens que quelques jours avant la proclamation du cessez-le-feu du I9 mars 1962, les bataillons de l�ALN menaient encore des op�rations offensives. Des centaines de moudjahidine tomberont encore une semaine avant le silence d�finitif des armes. Leurs compagnons ne les ont jamais oubli�s. Je voudrai, parce que j�ai �t� t�moin pendant des ann�es des grandes souffrances de notre peuple, dire, au nom de beaucoup de mes compagnons, que l�exigence de repentance que formulent de temps en temps certains, et peu importe de ce que pourrait �tre leur r�action � la lecture de ce que j��cris ici, que les moudjahidine n�ont que faire de la repentance de l�Etat fran�ais. Que ceux � qui l�ind�pendance de l�Alg�rie est rest�e en travers de la gorge gardent leur hypocrite repentance. Nous ne sommes pas concern�s par leurs psychodrames, nous ne sommes pas concern�s par leur nostalgie de l�Alg�rie de papa, ni par leurs comm�morations folkloriques ni par leurs envol�es �namour�es en direction de leurs Fran�ais musulmans � la poitrine charg�e de ferrailles puant la paille br�l�e des mechtas incendi�es. Contentons-nous de veiller sur notre m�moire. Demandons � ce que les plaques fix�es au coin de nos rues, par des �diles press�s, ne soient plus orphelines. Au fait, petit fr�re �g� de vingt ans, qui sont donc Sebti Bouma�raf, Ab�s Laghrour ou Abderrahmane Oumira ?