En effet jusqu'à 1840, Tlemcen offrait le triple attrait d'une campagne délicieuse de verdure, de fleurs, de variété dans les aspects, la douceur des lignes et des paysages, de nombreux monuments d'art musulman érigés dans le style hispano-mauresque qui font que cette ville n'a pas sa pareille en Algérie sous ce rapport, d'une population aisée, ayant conservé vivaces, avec la foi islamique, ses croyances, ses traditions familiales et sociales, son costume et ses mœurs, ses industries si originales et encore si prospères. C'est bien encore ici qu'est vraiment la capitale religieuse, intellectuelle et artistique du pays. L'une des chances de Tlemcen est d'avoir conservé de son glorieux passé, une série de très beaux monuments, des mosquées surtout, rappelant « le peuple industrieux qui, avant l'arrivée des corsaires, avait fourni des architectes à l'Alhambra », aux monuments de Séville et de Fès. Que de trésors d'art musulman ont été accumulés dans les enceintes de ces vieux remparts en pisé dont les pans de murs et les tours de flanquement attestent la solidité et sont d'un si pittoresque effet avec leur ceinture de verdure et de jardins ! LES MOSQUEES, TOUTE UNE HISTOIRE On a dit que la première mosquée de Tlemcen fut fondée, par Idris I, en 790, à Agadir et que la Grande Mosquée de Tlemcen date de 1136. Mais toutes deux furent agrandies et dotées de hauts minarets, que l'on admire encore, vers le mi1ieu du XIIIe siècle. Les plus beaux monuments que l'on visitera à Tlemcen sont du XIIIe au XVe siècle, à l'époque où cette ville était la capitale du Maghreb central et la rivale de Fès, la Mérinide. Les uns sont dus aux rois de Tlemcen et ceux-là, à l'exception du minaret d'Agadir (XIIIe s) et de la petite Mosquée de Sidi Lahcene (près de Sidi El Haloui) datant du XVe siècle, implantés dans la ville à l'image de la Grande Mosquée (XIIe et XIIIe s), Mosquée de Sidi Belahcene (musée actuellement) fin du XIIIe s), Mosquée d'Ouled El Imam ( du XIVe s.), Mosquée du Méchouar, Mosquée de Sidi Senoussi (XIVe s), Mosquée de Sidi El Benna (XVe s)... sont les principales. Les autres sont l'œuvre des deux rois mérinides, maîtres de Tlemcen, au milieu du XIVe siècle. Il s'agit d'El Eubbâd à savoir la mosquée et ses dépendances (1339), Médersa (1346), Palais du Sultan (en ruine, date imprécise) et ceux de Sidi El Haloui (Mosquée et dépendances 1353), les imposantes ruines de Mansoura (XIVe s) dont on ne vantera jamais trop la subtilité du décor et la majesté de l'ensemble du minaret en pierres de taille (les autres minarets sont en brique) rappelant les minarets almohades de Rabat (Tour Hasan), de Marrakech (Koutoubiya), de Séville (Giralda). Cette époque du XIIIe-XIVe siècle correspond à la période classique du style architectural hispano-mauresque. La décoration intérieure des beaux édifices publics et privés, religieux et civils, était faite, dans une des médersas mérinides de Fès, dans les revêtements des murs. A la base des murs, dans les édifices privés et les médersas surtout rarement dans les mosquées sont des lambris de faïence, aux combinaisons multiples d'émaux polychromes. Au-dessus de ces lambris se développent les arabesques florales, épigraphiques ou géométriques des plâtres sculptés comme de la dentelle, jusqu'aux corniches des bois sculptés et quelquefois peints, soutenant les plafonds. Ceux-ci sont en cèdre sculpté et peint, comme à la Mosquée de Sidi El Haloui, à celle de Sidi Belahcene (Musée) et dans la salle principale de la Médersa d'El-Eubbad, ou bien en plâtre à entrelacs géométriques. Les coupoles des « Mihrab » (au milieu de la face sud des Mosquées) sont en plâtre à stalactites, comme aussi la voûte des porches (Mosquée de Sidi Boumediene et la coupole de la travée précédant le Minaret de Mansourah. Le bois de cèdre a servi aussi à faire les ventaux de portes, et des grillages en moucharabieh et en assemblage de planchettes sculptées et peintes. VESTIGES ET DECORS A Tlemcen, le décor en faïences polychromes pour les revêtements des murs des salles et du patio a presque complètement disparu durant les années 1830 à l'image des vestiges du Palais du Sultan). Il devait cependant exister à la Médersa d'El-Eubbâd et dans quelques autres palais. On en a retrouvé d'importants vestiges à la Médersa Tachefiniya déposés au Musée, dans le palais de la Victoire (tous, disparus) et à la Mosquée de Mansourah (simples débris) par exemple. Le marbre onyx, jaunâtre et translucide, abondant dans la région tlemcénnienne encore aujourd'hui a donné des fûts de colonne, des chapiteaux d'une robuste élégance et de ce type particulier aux Mérinides dont le Musée de Tlemcen donne tant de spécimens ainsi qu'au niveau de la Mosquée de Sidi El Haloui, Mausolée de Sidi, Mosquée Sidi Bellahcene...). On en faisait aussi des carreaux pour le pavage de l'atrium des Mosquées et des Médersas, des vasques et bassins à ablutions, des dalles murales donnant des inscriptions de h'bous, des stèles funéraires... Le bronze a servi à faire des lustres de Mosquées, des heurtoirs et placage de vantaux comme à la porte de Sidi Boumédiene ; ce placage, ainsi que le lustre de la Grande Mosquée, ont été reconstitués par l'artiste tlemcénien Si Mohammed Benkalfate. Dans les Mosquées de la bonne époque on remarque l'élégante silhouette, l'harmonie des proportions et le classique décor des minarets quadrangulaires en brique. La décoration des quatre faces est obtenue par des réseaux de briques en saillie sur le plan du fond. Assez souvent, des faïences polychromes semées discrètement donnent une note brillante et heureuse sur le fond mat et monochrome de la brique nue (minarets des rois de Tlemcen et celui de Mansoura qui est en pierre de taille). Parfois, comme à Sidi Boumediene, à Sidi El Haloui, de larges frises de mosaïque de faïences formant des polygones étoilés couronnent le minaret au-dessous des merlons. MAUSOLEES ET SAINTS PATRONS Dans toute mosquée de cette époque, il y a une partie de la salle principale de prière qui est très décorée ; c'est le mihrab. Véritable splendeur des mosquées de Sidi Bellahcene et la grande mosquée, qu'on ne trouvera nulle part ni au Maroc ni en Espagne. Mais si l'on s'attarde un peu ici à travers les monuments des XIIIe et XIVe siècles, il n'en manque pas d'autres qui pour ne pas appartenir à l'époque classique, sont eux aussi curieux et intéressants. Ce sont, par exemple, les nombreux sanctuaires et mausolées qui dans la ville et hors de la ville abritent le tombeau de quelque saint. Ces édifices sont Sidi Yaqoub et surtout Sidi Boumediene considéré comme étant le plus riche et le plus curieux de tous puisqu'il abrite, depuis 1197, le corps du grand Patron de Tlemcen, ou ceux des Sidi Yaqoub, Sidi Daoudi, Sidi Brahim, de Lalla Setti, ... Ce sont ces blanches coupoles qui couronnent un petit monument, ces toits de tuiles vertes de tel ou tel blanc sanctuaire, qui dans notre ciel bleu, dans la verdure dorée de notre paysage tlemcénien, donnent leur note de couleur locale éclatante et si heureuse de ligne. Ils nous rappellent que sous ces bouquets de vieux oliviers, de térébinthes séculaires, vit une population fidèle aux croyances de ses pères et qui dans son existence paisible n'oublie pas d'offrir aux divinités de ces lointains ancêtres l'hommage fervent de son inébranlable foi.