Unie et libre, telle que proclamé par les « libérateurs » tournant le dos aux promesses rendues évanescentes le jour même de la chute de l'ancien régime ? Le drame libyen indiffère dans un pays livré aux démons de la guerre civile, à la menace séparatiste, à la montée des tensions communautaires et tribales. Dans l'effondrement brutal de ce qui fut la « Jamahiriya », l'émergence des « thowars », légitimés par la participation au processus de démantèlement du régime de Kadhafi, consacre le nouveau centre du pouvoir qui se structure dans les « conseils militaires » locaux et les principales régions (Misrata, Zenten). Face au CNT, vidé de toute substance, la loi des miliciens, lourdement armés et confortés par l'impunité légalement consacrée, est omniprésente pour défendre leur « zone d'influence » acquise ou les privilèges de toutes sortes : telle brigade pour exiger le paiement contre la remise de Seïf El Islam, détenu par la tribu Zenten, telle autre pour régler par la force un conflit d'intérêt ou, tout simplement, faire plier le CNT déficitaire et impuissant. La dérive milicienne a provoqué le ras le bol de la population civile qui s'est mobilisée à plusieurs reprises pour dénoncer ces « faux révolutionnaires » aux revendications bassement matérielles. C'est au prix fort, en vies humaines, que se règlent les contentieux, comme ce fut le cas, au sud, à Sebha (plus de 147 morts et 395 blessés en 6 jours de combats), à l'ouest, lors des affrontements sanglants opposant les Berbères de Zouara et des villes voisines (18 morts et 250 blessés), et la prise d'assaut du siège du gouvernement à Tripoli. La violence est de règle. Avant-hier, la mort d'un jeune, survenu près du checkpoint d'El Gawercha (ouest de Benghazi) tenu par la police militaire, a mis le feu aux poudres. Les combats faisaient rage entre une brigade de Benghazi et la police assiégée dans son QG d'Abouhdima. Plus tôt dans la journée, des miliciens de la brigade Al-Awfya de la ville de Tarhouna, à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Tripoli, avaient pris d'assaut l'aéroport de Tripoli, bloquant le trafic aérien, pour dénoncer le mystérieux « enlèvement » de leur chef, Abouajila Al-Habchi, avant que les autorités ne parviennent à les chasser et à reprendre le contrôle « total » de la situation. Des dizaines d'assaillants (30 à 40 selon le vice-ministre libyen de l'Intérieur, Omar al-Khadrawi) ont été arrêtés et leurs armes saisies. Cette poussée fiévreuse intervient au moment où le nouveau régime tente de convaincre la population et la communauté internationale de sa capacité à assurer la sécurité dans le pays à la veille des élections d'une constituante maintenues pour le 19 juin. Peine perdue ? Le défi des « thowars », pourtant intégrés par milliers dans les ministères de la Défense et de l'Intérieur, représente une menace sérieuse sur la sécurité et la stabilité. Des brigades récalcitrantes se refusent à toute dissolution même dans le cas de la réintégration, tandis que d'autres, chargées de surveiller les frontières ou d'assurer la sécurité dans plusieurs régions, n'hésitent pas à recourir aux armes pour imposer leur diktat, voire se livrer au racket. Triste sort pour un épilogue aussi tragique. Si le déficit sécuritaire est pleinement et totalement posé, la gestion revancharde pousse à la dékadhafisation incarnée par le premier procès de l'ancien chef des services de renseignement extérieur présenté, hier, au tribunal de Tripoli. Bouzid Dorda est une figure de proue du régime déchu. Il a occupé le poste de Premier ministre, de représentant libyen à l'ONU et, depuis 2009, de chef de renseignement en remplacement de Moussa Koussa. Arrêté, en septembre à Tripoli, il est accusé notamment d'avoir « ordonné aux forces des services de sécurité extérieurs de tuer des manifestants et tirer des balles réelles sur eux », de constitution d'une forcée armée de sa tribu et d'« abus de pouvoir ». La démarche qui se veut un moyen de restauration de l'image u CNT, coupable de pratiques dégradantes et de torture, approfondit le fossé communautaire davantage aggravée par la discorde et le refus de la réconciliation timidement lancée, au Caire, par El Gadhaf Dam et l'émissaire du président du CNT, en la personne d'Ali Sallabi. La rencontre des espoirs de retrouvailles a fait chou blanc. Elle a été dénoncée par des membres du CNT et des personnalités exprimant leur « extrême inquiétude » et stigmatisant le « mépris du sang et des objectifs de la révolution du 17 février » et exprimant leur « extrême inquiétude ». Ni paix civile ni réconciliation : un drame aux allures suicidaires.