Cette assertion est sortie comme une fusée de la bouche de La Doudja, native de la Casbah. Elle raconte que « depuis la nuit des temps, les Casbadjis, dans leur majorité, accueillaient le mois sacré par des rituels. Pour commencer, durant Chaabane, le mois qui précède Ramadhan, il est des personnes et même des familles qui jeûnent question de préparer le corps aux privations de la nourriture du lever au coucher du soleil. C'est de cette façon qu'on ne souffre pas de faim et de soif et nos parents et grands- parents nous disaient que jeûner pendant Chaabane est une Hikma », affirme La Doudja. Concernant les préparatifs, cette octogénaire qui est, également, arrière grand-mère explique, que « les familles algériennes faisaient des provisions de smen, d'épices, de couscous, de semoule pour confectionner le pain, de raisins secs, de tomates séchées ainsi que de vermicelle artisanal (F'daouch). Les femmes se rassemblent dans le patio des douirates ou sur la terrasse, et tout en discutant de tout et de rien, travaillaient dans la joie et la bonne humeur. Elles commencent par acheter de grandes quantités de tomates de petits calibres de préférence. Sur des clayettes, elles coupent en deux le fruit qu'elles salent généreusement et l'exposent au soleil. Une fois la tomate bien dégorgée, elle est placée dans des bocaux pour la chorba », explique-t-elle. Le vermicelle est confectionné avec une pâte à base de farine, de sel et d'eau. « Le pâton est trituré entre le pouce et l'index pour obtenir des fils aussi fins que possible. Séché sur des tamis, le vermicelle est bien rangé dans des bocaux pour épaissir les potages et autres soupes. Les épices sont achetées en grains ou en écorces puis moulues et bien conservées pour parfumer aussi bien les plats que les gâteaux ». D'autres femmes iront jusqu'à préparer de l'eau de fleur d'oranger avec la « ketara », un alambic pour distiller le suc des fleurs d'orangers. Le liquide obtenu sert à parfumer le plat de hem lahlou, le kalb ellouz, les ktayefs, m'helbi et autres gâteaux. « Il exhale une odeur particulière dans toutes les maisonnettes et celle qui possède un alambic est très sollicitée avant et après Ramadhan », dira La Doudja. Elle ajoutera que « d'autres familles font des conserves, dans de grands bocaux, d'aubergines, de poivrons et d'olives dont chacune a le secret ». Sur la meida où trône la fameuse chorba, on y trouve l'anchois agrémenté d'ail, de persil et d'huile d'olive, des piments verts très forts et très fins pour « taquiner » le palais, et le h'miss à base de poivrons verts et de tomates grillés, arrosés généreusement d'huile d'olive, le tout servi dans de petites assiettes en terre cuite ». Les autres préparatifs concernant l'accueil du Ramadhan d'antan, consiste à chauler les maisonnettes, acheter des plantes notamment le basilic qui a le pouvoir de repousser les moustiques. Dans les courettes, plusieurs jolies plantes sont choisies pour la circonstance, et alignées sur un bord, aux couleurs chatoyantes pour ajouter un air de bienvenue. D'autres familles plus aisées, achètent de la vaisselle et du tissu d'ameublement. Selon La Doudja, il est inconcevable d'accueillir Ramadhan dans la saleté et une vaisselle ébréchée. Pour recouvrir matelas et canapés, un tissu spécial est acheté et cousu pour égayer les douirates. Actuellement, La Doudja constate, avec dépit, que ces traditions ont perdu de leur « aura ». Seules quelques familles algéroises qui se comptent sur le bout des doigts sont encore attachées à ces coutumes. Les douirates ont laissé la place à des villas, des appartements où le « chacun pour soi » est érigé en règle de conduite. « Ramadhan a perdu de son charme », dira t-elle avec amertume. Avant, les soirées s'étiraient avec des « boukalates » et des discussions à bâtons rompus, faute de radio et de télévision. Les visites des grands parents au bled étaient incontournables durant Ramadhan. « Que reste t-il de cette affection envers les aînés et le carême avec ses propres senteurs ?... », fera t-elle remarquer. Abordant le volet aide et solidarité durant Ramadhan, cette octogénaire affirmera que « les familles pauvres étaient prises en charge dans la discrétion. « Ou bien le repas est partagé, ou bien les achats sont faits pour être distribués en cachette, c'était l'esprit et l'essence même du jeûne : Manger à sa faim et penser aux autres sans gaspiller la moindre miette », a-t-elle souligné.